7 Octobre 2022

Bolivie - Le salar d’Uyni dans le désert d'Atacama : les bouleversements du front pionnier du lithium

Au cœur de l’Altiplano andin et dans la partie septentrionale du désert d’Atacama s’étend une très vaste cuvette encadrée par de très hautes montagnes qui peuvent atteindre 5.000 à 6.000 m. Particulièrement aride, cet polarise les plus grands salars du monde, comme ceux d'Uyuni et de Coipasa. Très longtemps délaissées, ces marges désertiques se retrouvent aujourd’hui au cœur de nouveaux enjeux miniers mondiaux, du fait des immenses réserves – sans doute 60 % des réserves mondiales – de lithium qu’elles contiennent. Ces salars appartiennent au « triangle du lithium », une vaste région qui s’étend du sud de l’Altiplano bolivien jusqu’au nord du Chili et de l'Argentine. Ce brutal changement de trajectoire lié à l’exploitation d’une nouvelle ressource bouleverse la région qui acquiert en retour un rôle stratégique.
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Légende de l’image

Cette image du salar d'Uyuni, dans les Andes, au sud-ouest de la Bolivie, a été prise par un satellite Sentinel-2 le 12 juin 2020. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.

Ci-contre, la même image satelitte présente des repères géographiques de la région.

Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2020, tous droits réservés.

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Repères géographiques

Présentation de l’image globale

Le salar d’Uyni : un désert blanc en cours d’insertion dans la mondialisation

La chaîne des Andes : un milieu de très hautes montagnes

Cette image présente une très vaste cuvette centrale, occupée par une série de dépressions, encadrée par deux systèmes de hautes terres. Au centre de l’image apparaissent deux vastes étendues blanches : ce sont les salars de Copaisa au Nord et celui d’Uyuni au Sud qui s’étend sur plus de 10.000 km2. Ils sont situés au contact de l'Altiplano bolivien et de la partie septentrionale du désert d’Atacama.

A l’Ouest, le désert d’Atacama et le piémont chilien à 1.000m d’altitude s’élève brutalement vers l’Altiplano. Les milieux sont marqués par une très grande aridité. Les précipitations sont parmi les plus basses du monde avec moins de 50 mm./an. Les densités humaines sont très faibles. Le paysage est minéral, seuls quelques cactus donnent de la couleur à cet espace « lunaire ». Puis, se dresse la Cordillère occidentale constituée de très nombreux volcans qui malgré leur très haute altitude, plus de 5.000 m, sont très peu enneigés (les points blancs sur l’image).

A l’Est, la Cordillère orientale est marquée par une végétation plus dense et des habitats plus importants et plus anciens. Une vaste bande de montagnes (en marron foncé) s’étire aux fortes pentes et aux vallées encaissées. On peut observer les plis de la Cordillère orientale des Andes qui marque la fin du plateau de l'Altiplano avec Potosi, et sa mine d’argent du Cerro Rico.

Au centre de l’image, enfin, se trouve une vaste cuvette centrale d’orientation nord-ouest/sud-est. Son relief est plat et sa végétation très éparse. Les rares précipitations et les réservoirs d’eau dans les volcans ont permis une faible et constante occupation humaine depuis des siècles. Le Salar d'Uyuni en occupe le centre. Au nord, le Salar de Coipasa est en partie sous l’eau (couleur vert clair). On peut encore remarquer plus au nord, le Lago Poppo (en vert) qui est en voie d’asséchement en raison de la désertification de la région. Au sud du salar d’Uyuni, de petits salars sont visibles, ce sont les petites taches blanches.

Une zone désertique et longtemps marginale dans le pays

Nous sommes ici dans la région d’Uyuni, loin des deux pôles de la Bolivie, à 500 km au sud de La Paz, le long de la frontière avec le Chili et à 50 km à l’Est de Potosi. En effet, l’essentiel de la population, des activités et des villes boliviennes sont concentrées sur l’Altiplano autour de l’axe historique Potosi -La Paz - Cuzco. C’est dans cette région que se sont développées, les premières civilisations de l’Altiplano dont la plus célèbre est Tiahuanaco qui précède l'émergence des Incas établis à Cuzco. Un nouveau centre dynamique se développe depuis une trentaine d’année dans la plaine amazonienne à 500 km à l’Est de l’Altiplano, autour de Santa Cruz avec l’agro-alimentaire et le tourisme intérieur. Deux régions constituent des marges, ce sont le Beni amazonien au Nord-Est et le Sud-Ouest autour d’Uyuni, visible sur l’image. Ce sont les régions les plus pauvres et les moins bien reliées.

Ainsi, cette région désertique d’Uyuni est-elle restée longtemps marginale dans le pays. En effet, les contraintes y sont exceptionnelles : très hautes altitudes, aridité, froid et isolement en autre. Les précipitations s’élèvent à 100 mm/an, concentrées durant l’été austral, elles inondent souvent les rebords du salar qui devient alors le plus grand miroir du monde et le rend peu praticable.  Les températures douces la journée car ensoleillée, chutent en quelques minutes lors du coucher du soleil et descendent alors fréquemment en dessous de 0°c d’autant qu’un vent fort se lève alors. Autour du salar, les paysages sont « lunaires », alternant entre plaine rocailleuse brune et volcans.

Pour atteindre cette région, il faut plus de 10h de route de La Paz. Une route bitumée a été réalisée il y a quelques années afin de désenclaver le salar. C’est une surface parfaitement plane, sans doute la plus vaste du monde où l’horizon se confond avec le ciel quand le salar est recouvert d’eau et le ciel alors s’y reflète. Il y a plusieurs îles inhabitées sur le salar, couvertes de cactus et qui sont fréquentées par des touristes la journée. Le tourisme vers le salar se développe donc progressivement à partir du Nord et du Sud intégrant ainsi un réseau touristique andin.

En effet, l’insertion de la Bolivie et du salar dans le tourisme sud-américain s’effectue par le déversement de flux importants issus du Pérou au Nord par le lac Titicaca. A partir du Sud, les touristes, essentiellement chiliens et moins nombreux, viennent du Sud Lipez, région composée de lagunas colorées. Ainsi, la fréquentation touristique augmente-t-elle avec près de 100000 touristes par an autour du salar et des auberges se développent. L’une des 1ères est au pied du volcan Tunupa au centre Nord du salar, visible sur l’image, dans le village de Tahua. Des musiciens connus sont venus y tourner des clips tel Manu Chao et l’émission Ushuaia de France 3 a mis en valeur cette région en 2000. Le salar est donc devenu progressivement un site touristique.

D’anciennes activités continuent sur le salar d’Uyuni comme l’extraction de sel. Au bord du salar, l’agriculture repose sur l’élevage extensif de lamas et les récoltes de quinua dont la meilleure espèce est la quinua real. Sa production est ensuite acheminée vers les centres urbains et parfois exportée. Cette céréale est en effet devenue à la mode par l’alimentation bio en vogue dans les grandes métropoles mondiales. Le salar s’insère ainsi dans des flux commerciaux mondiaux.

Enfin, l'essentiel de l'activité autour du salar est lié aux mines, comme l'étain au nord-est ou l’argent au sud du salar. Cette région pauvre de Bolivie, mal reliée, peu peuplée connaît depuis une vingtaine d’années le développement d’activités minières nouvelles avec le boom vers le lithium.

Le Salar d’Uyuni face au boom minier du lithium : une marge convoitée

Cette plus grande réserve de sel au monde est issue de la disparition du lac Tauca, il y a près de 14 000 ans qui recouvrait sans doute une grande partie de l’image. La croute de sel varie de quelques centimètres d’épaisseur sur la bordure du salar à plus de 120 mètres au centre.
Sous ces milliards de tonnes de sel se trouvent les immenses réserves de lithium. Le salar appartient au « triangle du lithium » du sud de l’Altiplano bolivien jusqu’au nord du Chili et de l'Argentine. Il rassemble de très nombreux salars dont le plus grand est celui d’Uyuni. Ces salars contiennent des réserves de lithium extrêmement importantes, sans doute les plus grandes du monde selon l’USGS (près de 60 %). Avec l'importance de l'économie numérique et de la transition écologique (diminuer la consommation de pétrole et développer les voitures hybrides), le lithium devient le composant essentiel du XXIème siècle pour la fabrication de batteries des véhicules électriques.

Certains parlent donc de cette région comme de « l'Arabie Saoudite du XXI siècle ». Si la ville d’Uyuni s'est développée au XIXème siècle comme point passage des trains chargés d'étain en route vers les ports chiliens, l'exploitation du lithium permettrait un renouveau. Très convoitée la région pourrait donc devenir à sa manière un centre énergétique du monde à venir.

Zoom d’étude

L'exploitation du lithium situé au sud du Salar de Uyuni

Les immenses bassins rectangulaires sont immergés par de l’eau pompée dans les nappes phréatiques de la région ce qui génèrent des conflits d’usage avec les agriculteurs. L’asséchement des bassins, dans cette région fortement ensoleillé, produit de la saumure de laquelle est extraite le lithium. Au sud des bassins, se situe une usine de raffinage du lithium, puis une conduite mène vers la « terre ferme » et le village de Rio Grande de Potosi. L’exportation du lithium s’effectue par le Chili grâce à la voie ferrée, malgré des relations compliquées en raison des revendications boliviennes pour un accès à la mer.

Alors que l'Argentine exploite déjà fortement le lithium à travers des concessions étrangères, l'attitude de la Bolivie (et du Chili) diffère car l'Etat bolivien veut profiter de cette richesse de deux manières : d’une part, par sa position dominante éviter les spéculations et fixer les prix et d’autre part par un partenariat privé/public s'occuper du raffinement ainsi que de la production de batteries. Pour l'heure, si ce minerai est très convoité par les pays puissants et leurs multinationales, (Chine, Inde, Japon, Allemagne, France, Corée par exemple), la Bolivie n'a pas consenti d'investissement très important. Elle a signé un protocole de construction de batteries avec l'Allemagne ou encore une zone d'exploitation sur le Salar de Coipasa avec la Chine.

Il est évident que pour un pays aussi pauvre et aussi peu développé (administrativement comme structurellement), la richesse gigantesque du salar est un défi très difficile à relever malgré les intentions actuelles souverainistes du président Evo Morales.

L' image ci-dessous a été prise par un satellite Sentinel-2 le 12 juin 2020


L' image ci-dessous a été prise par un satellite Pleides (15 avril 2016)
Contient des informations PLEIADES © CNES 2016, Distribution Airbus DS, tous droits réservés. Usage commercial interdit.

D’autres ressources

Sur le site Géoimage du CNES d’autres grands salars :

Botswana - La cuvette de sel de Sowa : nouvelles ressources, marges, boom minier et environnement
https://geoimage.cnes.fr/fr/botswana-la-cuvette-de-sel-de-sowa-ressource...

Argentine - Au cœur des Andes, une ressource mondialisée : l’exploitation du lithium du salar Hombre Muerto
https://geoimage.cnes.fr/fr/geoimage/afrique-du-sud-johannesburg-une-vil...

Chili - L’exploitation du lithium dans le désert d'Atacama : nouvelle ressource stratégique et bouleversement technologique mondial
https://geoimage.cnes.fr/fr/geoimage/chili-lexploitation-du-lithium-dans...

Ressources en ligne

SÉRANDOUR Audrey (2018), Quand les savoirs font ressources : constructions sociales et intégrations territoriales. Une réflexion depuis « le triangle du lithium" (Argentine, Bolivie, Chili) », EchoGéo [En ligne], n°4|2018.
https://journals.openedition.org/echogeo/16400

SÉRANDOUR Audrey (2020), « Le "triangle du lithium" existe-t-il ? Géographie politique d’une régionalisation andine (Argentine, Bolivie, Chili) », Belgeo [En ligne], n°4|2020.
https://journals.openedition.org/belgeo/43717

SÉRANDOUR Audrey, MAGRIN Géraud (2019), « Le lithium andin entre enjeux globaux et attentes locales : chronique d’un malentendu », dans BAGGIONI Vincent, BURGER Céline, CACCIARI Joseph, MANGOLD Marie, Repenser la transition énergétique. Un défi pour les sciences humaines et sociales, Rennes, Presses universitaires de Rennes, Coll. « Espace et territoires », pp. 191-205.

Aspects techniques de la production du lithium :
https://planet-terre.ens-lyon.fr/article/lithium-or-blanc.xml#latino-am

Article d’echogéo 2018 complexe mais de nombreux documents intéressants :
https://journals.openedition.org/echogeo/16400?lang=en#tocto2n1

Un roman qui décrit la vie autour du salar : O. Magnier, Vents froids, Editions H. Jacob, 2015.

B. Mérenne-Schoumaker, Énergies et minerais. Des ressources sous tension, éd. La Documentation française, 2014.

Contributeur

Xavier Gosset, enseignant Lycée Descartes, Rabat
Luc Gosset, enseignant, Lycée franco bolivien, La Paz.

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