23 Décembre 2021

La congestion du port de Los Angeles, reflet de la crise logistique mondiale

Au fil des mois, la baie de San Pedro, principale zone portuaire de la ville de Los Angeles, s'est transformée en parking à conteneurs : au mois de janvier 2021, près de 30 cargos sont visibles, fin août 40 navires sont à l’ancre, le 10 octobre, une centaine sont au mouillage au large, en attente de pouvoir décharger leur cargaison.

La justaposition d'images réalisée à partir d'images Sentinel 2 entre juin et octobre 2021 présente une vision diachronique de la baie de San Pedro et des ports contigus de Los Angeles et de Long Beach.  Les deux ports sont clairement identifiables sur l’image par les îles artificielles qui accueillent les terminaux.
 
Bien que les infrastructures portuaires s'étendent sur une portion littorale de près de 30 km, la dizaine de terminaux sont saturés de conteneurs et les six gares ferroviaires intermodales ne parviennent pas à fluidifier le trafic. Dans les conteneurs sont principalement stockés les produits asiatiques (en provenance de Chine, de Taïwan, de la Corée du Sud...) à destination de la consommation américaine. En effet, Los Angeles et Long Beach sont les portes d'entrée du territoire étatsunien, par lesquelles transitent 40 à 50% des importations conteneurisées.

La congestion des ports est telle que, le 13 octobre, l'administration de Joe Biden somme les autorités portuaires, les armateurs et les distributeurs de travailler 7 jours sur 7 et 24h00 sur 24h00 pour venir à bout des conteneurs qui s'entassent sur les terminaux.  
A partir du 1er novembre, une nouvelle mesure tarifaire contraignante entre en vigueur : les ports de Los Angeles et de Long Beach facturent aux transporteurs maritimes un supplément de 100 $ pour chaque conteneur d'importation qui stagne sur les terminaux, à partir du 9ème jour d'immobilisation pour les conteneurs transitant par la route, à partir du 3ème jour pour ceux évacués par le rail. Cependant ces mesures ne règlent en rien le problème des 800 travailleurs manquants dans ces ports, en raison de la pandémie de Covid.


Les rouages de la crise logistique transpacifique

La pandémie de la Covid 19 a entraîné de nombreuses répercussions sur le fonctionnement du commerce maritime mondial.

Face à la crise sanitaire, les compagnies maritimes ont mis à l’arrêt 11 % de la flotte mondiale. Or, au premier trimestre 2021 le trafic portuaire, qui a peu progressé dans le monde, a augmenté de 14 % aux Etats Unis par rapport à 2019 (source : Baltic and International Maritime Council). Cette bulle de la consommation américaine a été dopée par des politiques publiques de soutien aux revenus pendant le confinement (hausse des allocations sociales, chômage partiel...). Les Américains, privés de leurs loisirs, se sont rués sur la consommation de biens matériels. D’une manière générale, ce phénomène d’arrêt-reprise, multiplié par les vagues de Covid, a déstabilisé les chaînes d’approvisionnement. D’autre part, cela a entraîné géographiquement, une concentration des navires sur le commerce transpacifique au détriment d’autres routes maritimes.

 Par ailleurs, sur la façade asiatique, si le cadencement des opérations du fret maritime a été désorganisé du fait de la fermeture partielle de certains ports comme celui de Yantian (mai 2021) et de Nongbo (en août 2021) dues à des cas de Covid 19, ceux épargnés - tels Singapour, Shanghai ou Busan par exemple -  travaillent sans interruption, ce qui n’est pas le cas des ports américains. Les porte-conteneurs en provenance de l’Asie sont contraints d’attendre plusieurs jours pour décharger.

 A ceci s’ajoute, sur le territoire américain une crise du transport routier lié à une désaffection pour un métier aux fortes contraintes : salaires bas, horaires à rallonge loin de chez soi… Ce phénomène s’inscrit dans le mouvement du « Big quit » qui voit de nombreux salariés quitter les emplois difficiles, suite à la pandémie. Tout ceci concourt donc à la saturation en marchandises des entrepôts.


Une crise logistique témoignant de la désorganisation du commerce maritime mondial

Le fret maritime, clé de la mondialisation, est dépassé par la saturation actuelle des activités de transport. Les ports américains ne sont pas les seuls à vivre la congestion. Actuellement dans le monde, près de 8 millions de conteneurs équivalent 20 pieds (EVP) sont dans les ports en attente de chargement ou de déchargement. Sur la voie maritime Asie-Europe, les porte-conteneurs enregistrent un retard d’une semaine, soit 92 jours de trajet au lieu de 85, avant la pandémie. Cette congestion des ports et l’allongement des temps de transport sont des manifestations parmi d’autres de la crise logistique mondiale, notamment due au manque de bateaux et de conteneurs.

En 2008, la  crise économique et financière a influé sur le secteur de la marine marchande : dans un contexte de réduction du commerce mondial lié à cette crise, les prix du fret maritime ont logiquement baissé. Les armateurs ont alors réduit la capacité de leur flotte en privilégiant l’équipement de porte-conteneurs géants ; de 23.900 EVP pour les portes conteneurs les plus grands. La course au gigantisme a privilégié les compagnies maritimes les plus puissantes (APM - Maersk, CGA CGM Group... ) qui forment aujourd’hui un oligopole  en situation de force  pour augmenter le prix du fret. Sur les façades littorales, seuls les ports les plus compétitifs, aux infrastructures les plus modernes - quais en eaux profondes, terminaux d’une longueur de 300 à 450 mètres équipés de suffisamment de portiques pour décharger en moins de 24 h les cargaisons, quelques soient le jour de la semaine et les conditions de la marée - peuvent accueillir ces mastodontes. Or, les situations de blocage observées concernent précisément ces ports. En effet, les ports de Long Beach et de Los Angeles étaient, avant la pandémie, les deux premiers ports américains pour le trafic de conteneurs. En urgence, les compagnies de fret tentent depuis quelques mois de régionaliser leurs activités utilisant une flotte de porte-conteneurs plus petits de 13.0000 à 15.000 EVP qui peuvent accoster dans des ports moins importants.

 Par ailleurs, le manque de conteneurs est un autre facteur à prendre en compte. Leur production a été irrégulière ces derniers mois du fait de la fermeture d’usines en Chine, pour des raisons sanitaires. Or le pays assure 96 % de leur production. Ces tensions ont entraîné une hausse considérable de prix du fret maritime. En 2021, le tarif d’envoi moyen d’un grand conteneur standard équivalent 40 pieds (ou EQP) est d’environ 10.000 $, soit quatre fois plus qu’il y a un an selon le World Container Index.

Pour contourner cette hausse des prix du transport maritime, les transnationales cherchent des solutions alternatives. Certaines changent de mode de transport : ainsi les vélos d’appartement de luxe Peloton sont expédiés par voie aérienne. D’autres conteneurs sont acheminés d’Asie vers l’Europe par le rail puis la route avant d’être embarqués par bateau pour l’ultime traversée de l’Atlantique. L’entreprise Coca Cola a expédié 60.000 tonnes de marchandises - soit l’équivalent de 2.800 conteneurs -  à bord de vraquiers. Ce qui n’est pas sans risque, des problèmes d’arrimage ou de stabilité du navire pouvant subvenir.


La mondialisation mise en défaut

Cette crise met en lumière deux facteurs majeurs de fragilité de la mondialisation.

Tout d’abord, l’allongement des chaînes de production et d’approvisionnement - la fameuse supply chain - à l’échelle internationale permis par un fret maritime très peu couteux montre ses limites. Il suffit qu’un blocage se produise dans un maillon de la chaîne - congestion d’un port, blocage du canal de Suez, typhons dans la région de Shanghai... - pour que toute la chaîne logistique soit grippée.

Par ailleurs, de plus en plus d’entreprises fonctionnent depuis trente ans sur le modèle du zéro stock et des flux tendus. Cette stratégie de production et de commerce est remise en question : si le transport maritime n’est plus fiable, les entreprises pourraient anticiper les ruptures de produits en prévoyant des stocks plus importants.

Bibliographie- sitographie

« Sur les routes maritimes mondiales : une géographie de la marine marchande » Antoine Frémont, Danielle Quanin, Paul Tournier- Géographie à la carte – France culture ; 14/10/2021

« Le transport maritime subit la tempête du siècle » Courrier international du 14 au 20 octobre 2021
« Dans le port de Los Angeles il y a des marins qui patientent »- Philippe Escande- Le Monde 14/10/2021

« Routes commerciales : les points de blocage » - Dominique Seux- Une leçon de géopolitique du dessous de carte- 27/10/2021

Contributrice

 Virgine Esteve, professeure d’histoire-géographie, lycée la Serre de Sarsan - Lourdes

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