Mauritanie - Le massif de l’Adrar, Atar et Chinguetti : pays maure, nomadisme et tourisme saharien

L’Adrar est un massif tabulaire, entouré de grandes étendus de sable de toute part, qui se situe au nord de la partie occidentale de la Mauritanie, non loin de la frontière avec le Sahara occidental. Ce massif est connu par les deux anciennes cités-bibliothèques de Chinguetti et de Ouadane qui furent de grands centres culturels, religieux et commerciaux. Marginalisées par leur situation à l’écart des grandes voies de circulation modernes, ces deux oasis ont connu un regain d’activité avec l’apparition, au milieu des années 1990, d’une activité touristique qui était inexistante jusqu’alors. Celle-ci a été rendue possible par l’utilisation de l’aéroport d’Atar, la grande ville située au pied du plateau et qui en est la porte d’accès.
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Cette image du nord de la partie occidentale de la Mauritanie, a été prise par le satellite Sentinel 2A le 19 avril 2020. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.

Ci-contre, la même image satelitte issue de Sentinel-2A, présente quelques repères géographiques de la région.

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Repères géographiques

Présentation de l’image globale

L’Adrar de Mauritanie, Atar et Chinguetti :
pays maure, nomadisme et tourisme saharien

Un massif de grès et beaucoup de sable

La Mauritanie est un pays de sable et le massif de l’Adrar, dans le nord du pays, semble émerger des ergs qui l’entourent de toute part. L’Adrar est en réalité un grand plateau de grès dont toute la partie sud est couverte de sable. Vers l’est (et en dehors du cadre de l’image), le plateau est percé par l’impressionnant accident circulaire du Guelb er Richât, sur une quarantaine de kilomètres de diamètre. Le point culminant du massif, le Teniaggouri, a une altitude de 815 mètres.

Voici la description de l’Adrar que faisait Théodore Monod lors de sa première expédition dans cette région en 1934 : « Abordé par l’ouest, en venant de la côte atlantique, (…), l’Adrar apparaît d’abord comme un mince liseré bleuâtre sur l’horizon, comme si le pinceau de l’artiste avait, à la jointure de la terre et du ciel, légèrement "dépassé". En se rapprochant, le voyageur va découvrir la haute falaise qui marque ici le rebord d’un immense plateau gréseux grossièrement tabulaire, mais en fait, à l’échelle du piéton et du méhariste, puissamment accidenté, tout cisaillé d’oueds et de gorges s’effondrant par endroits en cuvettes, se plissant ailleurs jusqu’à présenter des bancs relevés à la verticale » (L’Emeraude des Garamantes, 1984).

La haute falaise dont parle Théodore Monod se distingue bien sur l’image : on voit son tracé sinueux qui délimite le plateau de l’Adrar à l’ouest et au nord-ouest. Ce plateau, dont l’aspect rocheux se repère par sa couleur ocre en arrière de la falaise, disparaît ensuite vers le sud sous une couverture de sable bien visible par sa couleur jaune.

La principale ville du massif, Chinguetti, se trouve au contact du substrat rocheux et de la nappe de sable qui le recouvre dans sa partie méridionale. Au sud d’Atar, la petite oasis de Terjit, riche en eau et en végétation, occupe une étroite gorge au pied du plateau.

Au cœur du pays maure

Le pays maure, composé d’un ensemble complexe d’appartenances à des tribus et des classes sociales diverses, s’étend du sud du Maroc aux frontières septentrionales du Sénégal et du Mali, et de l’Océan atlantique jusqu’à la Boucle du Niger vers l’est. Sur sa frange sud-est, dans la région de Tombouctou, il est au contact du monde touareg. Si les deux peuples sont d’origine berbère, les Maures se sont trouvés arabisés au XVIIe siècle. Leur langue, le Hassanya, est un dialecte de l’Arabe, alors que celle des Touaregs, le Tamachek, est une langue berbère.

Lors de la conquête coloniale française, au début du XXe siècle, l’actuelle Mauritanie était organisée en quatre émirats : Adrar, Trarza, Brakna, Tagant. Celui de l’Adrar a été conquis par l’armée française en 1909.

Au début des années 1950, le géographe Robert Capot-Rey décrivait l’originalité des  tribus maures de l’Adrar et leur caractère foncièrement nomade : « La principale originalité de la société maure réside dans sa division en classes, mieux marquée même que chez les Touareg. Guerriers, marabouts tributaires, Haratin, forgerons, autant de groupes qui ont correspondu d’abord à des différences ethniques, puis à des différences de fonction. Les guerriers vivaient autrefois des redevances et du pillage ; aujourd’hui assagis et appauvris, ils se sont mis à l’élevage et quelques-uns possèdent des troupeaux aussi nombreux que ceux des tributaires ».

La pratique du pillage, appelée razzia au Sahara, était largement pratiquée par les grands nomades au détriment des villageois sédentaires de la bordure sahélienne, ou même des autres tribus nomades. Sous la pression de l’armée française et de ses groupes nomades, cette pratique a disparu au milieu des années 1930. L’exploratrice française Odette du Puigaudeau a raconté dans son livre Le sel du désert (1940) la rencontre qu’elle avait eue en 1937 aux salines de Taoudenni, à l’extrême nord du Mali, avec le dernier razzieur connu Mohammed El-Aïssaoui.
Celui-ci lui raconte sa  dernière razzia, menée quelques années auparavant, en 1934 : « Moi, El-Aïssaoui, j’ai mené trente-sept rezzou… Quand on décidait de faire un grand razzi, les R’Gueïbat donnaient les chameaux, les fusils et tout ce qu’il fallait, et quelques hommes aussi, mais c’était nous, les Touabir, qui arrangions toutes choses pour le mieux et qui conduisions les autres du Maroc au Sénégal et au Soudan, partout où il y avait de beaux chameaux et des esclaves vigoureux ». Et Odette du Puigaudeau concluait que « du point de vue d’un pirate, El-Aïssaoui pouvait être fier. En trois mois, il avait mené deux rezzou, couvert 5 000 km, dupé l’aviation et un Groupe nomade, échappé à toutes les poursuites et ramené 800 bêtes et 10 esclaves ».

Après-guerre, Robert Capot-Rey faisait le constat que les Maures de l’Adrar étaient  « exclusivement nomades, éleveurs de chameaux et de moutons ». On pouvait comptait  25.000 chameaux dans le cercle de l’Adrar. Les palmeraies étaient assez peu importantes : « Aux ressources de l’élevage s’ajoutent pour beaucoup de tribus celles de la culture. (…).  Toute le cercle de l’Adrar ne compte guère que 200.000 palmiers dont 150.000 en rapport ».

Le nomadisme est véritablement au cœur de l’identité maure et, même chez ceux qui vivent dans la capitale mauritanienne Nouakchott, aujourd’hui peuplée d’environ un million d’habitants, il reste un fondement idéalisé de leur identité. Dans tout le Sahara, la pratique du nomadisme s’est fracassée sur la grande décennie de sécheresse des années 1970 - plus précisément de 1968 à 1986, selon Pierre Rognon - qui a contraint un grand nombre de nomades à se sédentariser et à migrer vers les grandes villes, comme Atar ou Nouakchott pour les Maures de l’Adrar. Il peut paraître curieux de parler de sécheresse dans une région du monde qui se caractérise avant tout par son extrême aridité mais la sécheresse des années 1970 a apporté un déficit supplémentaire de pluviosité – et donc de pâturage – dans un désert où les ressources étaient déjà des plus réduites, rendant de ce fait la vie trop difficile pour nombre de nomades.

L’Adrar, une grande région de tourisme saharien : paysages, haut lieu et grande figure

Trois éléments fondamentaux se conjuguent pour expliquer la notoriété et le succès des principaux sites touristiques du Sahara : la qualité des paysages, l’existence reconnue d’un haut lieu et la notoriété d’une grande figure attachée à ce site.

Les paysages, tout d’abord, nécessitent d’être exceptionnels pour être susceptibles d’attirer les touristes et il n’est guère surprenant que les sites les plus visités soient situés dans des régions montagneuses. Il est ensuite nécessaire que le site puisse être organisé autour d’un haut lieu permettant de le caractériser et de le faire connaître. Ces hauts lieux sont généralement des lieux élevés et ils ajoutent presque toujours une dimension d’ordre sacré ou spirituel aux éléments culturels ou historiques qui en forment le substrat mais qui ne peuvent cependant les définir qu’en partie. Enfin, l’analyse du phénomène touristique au Sahara montre que les sites les plus illustres et les plus fréquentés sont ceux auxquels une grande figure historique reconnue est fermement attachée (Lecoquierre, 2014).

Comme dans le massif du Hoggar, à proximité de Tamanrasset, la combinaison de ces trois principaux ingrédients du tourisme saharien – paysages, hauts lieux, grandes figures – trouve aussi un terrain d’application remarquable en Mauritanie, dans le massif de l’Adrar. Les paysages mêlent les hautes falaises, les grands ergs ceinturant le massif de toutes parts, la désolation rocheuse du plateau de Chinguetti et bien sûr l’exceptionnelle formation géologique du Guelb er Richât à l’est. Les hauts lieux sont les oasis de Ouadane et surtout de Chinguetti, considérée comme l’une des principales villes saintes de l’islam.  La grande figure est ici celle de Théodore Monod qui a effectué de très nombreuses expéditions pendant trois quarts de siècle dans cette région de la Mauritanie et y a mené sa toute dernière mission en décembre 1998, à l’âge de 96 ans.

L’Adrar : un tourisme historiquement récent face aux crises et tensions géopolitiques

Le tourisme dans cette région trouve son origine au milieu des années 1990 lorsque le début de la guerre civile algérienne a rendu ce dernier pays infréquentable pour les touristes. Dans ce contexte, la coopérative Point Afrique décida à l’automne 1996 d’ouvrir quelques vols entre Paris et Atar, ville principale de la région de l’Adrar qui était dotée d’un aéroport. Il permettait d’accéder facilement au massif et à ses deux villes anciennes de Chinguetti et de Ouadane. Atar se trouve à 75 kilomètres de Chinguetti à vol d’oiseau.

La Mauritanie était quasiment inconnue des touristes à cette époque : 137 voyageurs français seulement avaient été recensés dans le pays pendant l’hiver 1995-1996; le tourisme saharien étant organisé sur des saisons hivernale, d’octobre à mars, qui s’étendent donc sur deux années civiles. Point Afrique fût activement soutenu par l’État mauritanien et, tout particulièrement par la Société mauritanienne de service et de tourisme - SOMASERT.

Trois vols entre Paris et Atar sont organisés pendant l’hiver 1996-1997, permettant de transporter 240 personnes. A partir de la saison suivante, les chiffres augmentent rapidement pour atteindre 10.800 voyageurs en 2002. Le succès fut tel qu’un deuxième opérateur, Go-Voyage, affréta à son tour un vol par semaine à partir de la saison 2002-2003.

Mais la situation touristique commença à se retourner lorsque la Mauritanie fut le cadre de plusieurs enlèvements de voyageurs européens et d’attaques contre des militaires entre 2007 et 2009. Ces attaques étaient organisées par des groupes armés – ou katibas - affiliés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), nébuleuse djihadiste qui s’était implantée au Sahara lorsque les groupes djihadistes algériens responsables des massacres de la « Décennie noire » avaient été peu à peu repoussés vers le sud par l’armée algérienne. La multiplication des attaques et des enlèvements à partir de la fin de l’année 1990 sonna le glas du tourisme saharien pour quelques années.  

Dans la seconde moitié des années 2010, le risque djihadiste s’est peu à peu déplacé au sud vers les régions sahéliennes. Une embellie est ainsi apparue en mars 2017 lorsque le Ministère français des affaires étrangères a modifié les couleurs de la carte de conseil aux voyageurs pour l’Adrar de Mauritanie, rendant possible un redémarrage du tourisme dans le massif de l’Adrar dès l’automne qui a suivi.


Les zooms d'étude

Atar, ville majeure du nord de la Mauritanie et
porte d’entrée du massif de l’Adrar


Au pied de l’Adrar, Atar connait un climat désertique hyperaride. Les précipitations y sont en moyenne de 33 millimètres par an et les températures maximales sont de l’ordre de 45° en juillet et août.

La ville d’Atar, capitale de la région de l’Adrar, était peuplée de 25.000 habitants en 2000 et de 40.000 en 2017. Elle a donc connu ces vingt dernières années un boom démographique considérable (+ 60 %). Petite ville de commerce et de garnison, elle voyait passer chaque année le rallye Paris-Dakar jusqu’à ce que celui-ci fût annulé en janvier 2008 à la suite de l’assassinat de quatre voyageurs français à Aleg le 24 décembre 2007 puis de trois militaires lors d’une attaque à El Ghallaouiya (nord-est du massif de l’Adrar) deux jours plus tard. Ce rallye n’est plus jamais revenu en Afrique depuis.

Porte d’accès touristique pour le massif de l’Adrar grâce à son aéroport, Atar est reliée à Chinguetti par une route goudronnée qui permet de franchir aisément la falaise qui délimite le plateau. Auparavant, la piste escaladait le rebord du plateau par la difficile passe d’Amogjar, au nord de Chinguetti. C’est dans un fortin situé près de ce col qu’a été tourné le film Fort-Saganne.

Au nord-ouest d’Atar, Azougui est le site d’une ancienne cité almoravide en ruine du XIe siècle.


Zoom d'étude n°1

Chinguetti, un ancien centre religieux et culturel revitalisé par le tourisme à la fin du XXe siècle


Chinguetti a été dans les siècles passés une importante oasis et un centre culturel et religieux de premier ordre. Considérée par les musulmans comme la septième ville sainte de l’islam, elle avait donné son nom – trab Chinguetti, le « pays de Chinguetti » – à tout l’ouest saharien.

Cette cité, comme aussi Ouadane plus à l’est dans le massif de l’Adrar et Tichitt et Oualata dans le sud-est de la Mauritanie, est l’une des quatre cités-bibliothèques de Mauritanie et de nombreux manuscrits anciens y sont conservés. Ce sont des ouvrages traitant de religion, d’astronomie, d’histoire, de géographie, dont les plus anciens exemplaires datent des XIe et XIIe siècles.

Chinguetti comptait 20.000 habitants au temps de sa splendeur et à peine 5.000 au recensement effectué en 2000. C’est aujourd’hui une ville modeste, coupée en deux par un large oued et qui est envahie par le sable. Sur les bords de l’oued, sa palmeraie  organisée en plusieurs îlots distincts, se caractérise par un nombre important de puits à balancier encore en activité.


Zoom d'étude n°2

D’autres ressources

Sur le site Géoimage du CNES :

Bruno Lecoquierre : Algérie/Libye : le Tassili n’Ajjer et les deux oasis de Djanet et Ghat, entre patrimoine, tourisme international, frontières et djihadisme saharien

Bruno Lecoquierre : Algérie. Tamanrasset et le massif du Hoggar : un des grands massifs montagneux du Sahara

D’autres ressources

CAPOT-REY, R., 1953, Le Sahara français, Presses universitaires de France.

LECOQUIERRE B., 2006, « Le Point Afrique, acteur majeur du transport aérien et du développement touristique en Afrique saharo-sahélienne », Transport et tourisme, Edytem, Cahiers de géographie, n° 4-2006.

LECOQUIERRE B., 2014, « Mythes, grands espaces et aventure. Le Sahara des voyageurs et des touristes », Natures, miroirs des hommes ? (dir. S. Guichard-Anguis, A.-M. Frérot et A. Da Lage), L’Harmattan, coll. Géographie et cultures, p. 145-163.

LECOQUIERRE B., 2015, Le Sahara, un désert mondialisé, La Documentation photographique n° 8106, juillet-août 2015, La Documentation française, 64 p.

MONOD T., 1937, Méharées, Editions Je sers.

MONOD T., 1984, L’émeraude des Garamantes, Actes Sud, 1992.

PUIGAUDEAU (Du) O.,  1940, Le sel du désert, Phébus 2001

SIBERT S., TOLBA A.-M., 1999, Villes de sable. Les cités-bibliothèques du désert mauritanien, Hazan.

ROGNON P., 1994, Biographie d’un désert, le Sahara, L’Harmattan.

Contributeurs

Bruno Lecoquierre, Professeur des Universités, Université du Havre – UMR IDEES (CNRS)

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