Indonésie - Les contrastes du Nord de Sumatra : la métropole de Medan, les plantations et les volcans

L’île de Sumatra a longtemps fait figure de far-west indonésien : occupée par une forêt ombrophile dont la biodiversité est parmi la plus élevée du monde, avec des espèces animales et végétales devenues emblématiques, elle est également depuis l’époque coloniale traversée par un front pionnier qui a largement déforesté l’île du sud vers le nord. Périphérie voire marge éloignée dans l’ombre portée de Java, Sumatra est très inégalement intégrée au reste de l’archipel et aux flux mondiaux. À côté des métropoles qui s’étendent et des vastes plantations de palmiers à huile destinées à alimenter les marchés mondiaux, les forêts et les espaces ruraux qui occupent les volcans du centre de l’île semblent encore très enclavés. Les éruptions répétées du volcan Sinabung depuis 2010 mettent en évidence la permanence des risques dans un espace à l’écart, loin des métropoles et hors des destinations touristiques plutôt tournées vers le lac Toba ou les forêts du Nord. Les paysages visibles sur cette image reflètent ainsi ces contrastes multiples, typiques des espaces ruraux excentrés des vastes pays en voie d’émergence.

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Légende de l’image satellite

Cette image du nord-ouest de Sumatra, a été prise par le satellite Sentinel 2B le 6 juin 2018. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.

Ci-contre, la même image satelitte issue de Sentinel-2B, présente quelques repères géographiques de la région.

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Repères géographiques

Présentation de l’image globale

Les contrastes du Nord de Sumatra :
la métropole de Medan, les plantations et les volcans

Medan, une agglomération excentrée

L’image représente la province de Sumatra-Nord, dont on aperçoit dans la partie septentrionale une partie de la capitale, Medan. Il s’agit de l’une des principales agglomérations indonésiennes : la ville-centre comprend plus de 2 millions d’habitants et l’aire urbaine dépasse les 4 millions, ce qui la place au niveau des grandes métropoles javanaises (Jakarta, Surabaya, Bandung et Semarang).

Excentrée au nord de Sumatra, juste au sud de la province autonome d’Aceh, Medan est à l’écart du cœur dynamique de l’archipel indonésien qui s’organise autour de la Mer de Java suivant un axe portuaire allant du hub de Singapour jusqu’à Surabaya. Résolument tournée vers l’intérieur plutôt que vers la mer, Medan joue un rôle essentiel de capitale régionale concentrant des fonctions urbaines métropolitaines (universités, hôpitaux, administration centrale de la province, grands centres commerciaux). Elle joue un rôle essentiel de relais du pouvoir pour les marges indonésiennes du nord-ouest (Aceh, archipel des Riau) et a connu une croissance rapide depuis les années 1990.

À ce titre, elle bénéficie d’un aéroport international qui a remplacé, en 2013, l’ancien aéroport de Polonia dont on remarque sur l’image la bande sud-ouest – nord-est de la piste désaffectée. Il a été abandonné car il apparaissait sous-dimensionné et dans l’incapacité de s’étendre, puisqu’il s’est retrouvé enkysté dans la partie sud de l’unité urbaine. Elle s’étale en doigts-de-gant principalement vers l’Est, le long d’un axe routier que l’on peut suivre jusqu’au littoral.

Ce dernier apparaît dans l’angle nord-est de l’image : il s’agit du rivage méridional du Détroit de Malacca. Son aspect régulier et l’apparence turbide de ses eaux montre qu’il s’agit d’une côte basse, nourrie par les alluvions limoneuses des nombreux fleuves qui parcourent cette partie de Sumatra. Celles-ci, en s’accumulant sur le littoral, favorisent l’envasement et la formation de marais maritime couverts d’une végétation dense appelée la mangrove, qui fut longtemps le repaire privilégié des pirates écumant les eaux du Détroit de Malacca.

Des espaces ruraux contrastés : grandes plantations et systèmes vivriers

Le long de cette route principale, en arrière du littoral, on remarque également les motifs paysagers réguliers des plantations de palmiers à huile qui représentent la principale spéculation agricole des grandes îles équatoriales d’Indonésie : Sumatra, Bornéo et Sulawesi. Les chemins d’exploitation rendent visibles le découpage géométrique des parcelles. S’y étendent à perte de vue les alignements de palmiers à huile, dont la culture a été identifiée comme la principale responsable de la déforestation très rapide en Asie du Sud-Est insulaire. L’Indonésie produit près de la moitié de l’huile de palme mondiale, qui, du reste, est avant tout abondamment utilisée pour cuisiner les fritures, très répandues dans les habitudes culinaires indonésiennes.

L’autre principal producteur est la Malaisie, qui possède également de vastes plantations. Le palmier à huile a remplacé l’hévéa imposé par les Hollandais à l’époque coloniale, pendant la Seconde Révolution Industrielle très demandeuse en caoutchouc.

La vaste île de Sumatra a ainsi longtemps fait figure de périphérie voire de marge agricole où la forêt ombrophile était repoussée vers le nord face à l’avancée d’un front pionnier attirant des travailleurs originaires des campagnes javanaises surpeuplées. De nouveaux fronts pionniers se sont créés depuis les années 1980 sur Bornéo puis sur territoire indonésien de la grande île de Papouasie – Nouvelle-Guinée.

Sur sa partie méridionale, l’agglomération de Medan s’étale également en suivant les orientations du réseau routier, à partir duquel on peut observer une densification en mitage dans des espaces ruraux agricoles (petites rizières, cultures fruitières, restes épars d’anciennes plantations d’hévéas). À la différence des grandes plantations de palmiers à huile ou des vastes rizières consacrées à l’exportation et aux grands marchés urbains indonésiens, l’agriculture du sud de Medan est plus tournée vers des systèmes économiques artisanaux voire vivriers plus à l’écart des circuits de l’économie de rente et de la production céréalière.

 Ces espaces agricoles, aux densités légèrement inférieures à celles que l’on peut trouver sur Java, cèdent peu à peu la place à la forêt à mesure que l’on se rapproche des grands massifs volcanisés qui traversent le centre de l’image selon un axe nord-ouest – sud-est parallèle à la subduction qui les a produits.  

Un espace volcanisé : le Sinabung et la caldera de Toba

La partie centrale puis inférieure de l’image montre l’épine dorsale volcanique de l’île de Sumatra. Les alignements de volcans qui traversent l’île se poursuivent ensuite vers l’île de Java puis les Petites Îles de la Sonde. Deux édifices apparaissent remarquables sur l’image. D’abord le Sinabung, un stratovolcan de taille modeste, mais dont on repère aisément les récents dépôts formant un tablier pyroclastique clair très visible sur son flanc sud-ouest (voir Zoom).

Plus remarquable, ensuite, est la vaste caldera du Toba, dont une partie du lac occupe le Sud de l’image. On appelle « caldera » un édifice volcanique qui s’est effondré sur lui-même après une éruption ayant vidé sa chambre magmatique. Il en résulte une dépression topographique subcirculaire ou oblongue de plusieurs centaines de mètres de profondeur et d’une superficie allant de quelques kilomètres à plusieurs dizaines de kilomètres ; elles sont parfois occupées par un lac, comme à Toba.

La caldera de Toba s’étend sur plus de 85 km de longueur suivant l’alignement nord-ouest – sud-est des failles de subduction, pour une largeur maximale de 35 km. Le lac est occupé en son centre par une île appelée Samosir, dont l’image montre la partie septentrionale. Elle est vraisemblablement produite par le remplissage progressif de la chambre magmatique et qui regonfle peu à peu l’édifice volcanique autrefois effondré. La super-éruption du Toba qui aurait produit cette caldera remonterait à la fin du Pléistocène, il y a environ 75.000 ans. D’une intensité extrême, elle aurait émis une quantité telle de cendres dans l’atmosphère qu’elle aurait été responsable d’un refroidissement climatique pendant quelques années.

La région du Toba fait partie des sites touristiques prisés au départ de Medan. L’île de Samosir accueille depuis les années 1970 des randonneurs occidentaux, dont le point de ralliement se trouve à Tuk-Tuk, situé sur la petite presqu’île visible à l’Est. Le littoral lacustre est investi par des dizaines d’hôtels de standing variable mais aussi de petites pensions de famille dont les plus anciennes sont tenues par d’anciens hippies européens qui ont depuis des décennies essayé de faire de Tuk-Tuk un haut-lieu du tourisme alternatif.

Vers l’intérieur de l’île, le peuplement est essentiellement organisé en petits hameaux dévolus aux cultures vivrières et à l’élevage bovin, structurés autour d’une petite église puisque la population de Toba, les Bataks, est traditionnellement protestante. Sans atteindre les densités élevées des volcans javanais, les volcans du nord de Sumatra accueillent également des communautés rurales attirées par l’excellente qualité des sols.

Le réveil du Sinabung en 2010 montre que les volcans de Sumatra, y compris le Toba, ne sont pas éteints et que le risque de crise voire de catastrophe demeure toujours élevé, à plus forte raison dans des espaces en périphérie. Le séisme de Padang en 2009 dans la partie centre-ouest de l’île, le séisme et le tsunami d’Aceh en 2004 révèlent la permanence des aléas d’origine géodynamique sur cette vaste île périphérique, dans l’ombre portée de Java, mais où les enjeux deviennent de plus en plus stratégiques avec le développement métropolitain de ses centres urbains.

Le zoom d’étude

Le volcan Sinabung en éruption depuis 2010


Ce zoom représente le stratovolcan du Sinabung, qui culmine à 2460 m d’altitude. L’image représente la très nette opposition qui existe entre les flancs du volcan. On repère une morphologie typique des volcans indonésiens, en forme de cône découpé par des radiales et dont la partie sommitale est constituée par des dômes et des coulées de lave. On voit particulièrement bien les différentes langues de lave qui s’étirent sur le versant oriental. La couleur très claire de ce dernier est liée aux dépôts pyroclastiques émis par les éruptions du volcan.

L’image montre que le Sinabung est moins densément peuplé que les volcans javanais, en particulier le Merapi. Néanmoins, on y remarque toutefois la très forte occupation de sa plaine annulaire où les parcelles agricoles sont nettes, indices de densités rurales élevées. Les formations superficielles issues du volcan permettent de former des andosols aux propriétés pédologiques recherchées pour l’agriculture. Ces sols volcaniques sont issus des retombées aériennes mais aussi de la remobilisation des dépôts pyroclastiques par les lahars. L’image montre nettement ces processus morpho-sédimentaires à l’œuvre dans les cours d’eau qui longent le sud du cône volcanique.

C’est le 29 août 2010 que l’activité éruptive a soudainement repris après plus de 400 ans de sommeil. Depuis lors, les coulées pyroclastiques - anciennement nommées « nuées ardentes » - se succèdent sur la partie Est du volcan, laissant ce tablier pyroclastique de 4 km de rayon. En 2016, 7 personnes ont été tuées par les éruptions du volcan. Au total, en une dizaine d’années, le volcan fit une vingtaine de victimes. La situation d’urgence a été décrétée en 2013, conduisant à l’évacuation de 4800 foyers soit plus de 20 000 personnes.

Les minorités ethniques y sont nombreuses, en particulier les Karo, dont les revenus dépendent d’une économie agricole qui a été complètement déstructurée par les éruptions répétées du volcan. Les champs recouverts par les dépôts pyroclastiques sont inutilisables pour l’instant et le bétail abandonné. La discontinuité des éruptions et les évacuations massives ont permis de protéger à court terme les populations exposées.

Néanmoins, ce sont les conséquences économiques et sociales à long terme des déplacements de populations désormais sans travail qui posent question. Elles montrent que la situation d’urgence, qui s’étale sur la durée, révèle une vulnérabilité sociale et économique encore élevée des sociétés rurales dans les périphéries de l’archipel indonésien.


Zoom d'étude

Images complémentaires

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Sur cette vue, apparait la partie sud de l'agglomération de Medan et sa croissance démographique et urbaine périphérique.

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Le système de la grande plantation, du littoral vers l’intérieur

Le système de la grande plantation, le long du fleuve

Le Lac Toba, un système régional spécifique.

Documents complémentaires

Site Géoimage du CNES

Edouard de Bélizal : Indonésie – Java. Le Mont Mérapi : un volcan actif aux nombreux aléas mais très habité.

Laurent Carroué : Indonésie. Bornéo : déforestation et front agricole de l’huile de palme dans le Kalimantan oriental.

Florent Lacroix et Gregory Vlerick : Indonésie - Semarang : une grande ville littorale face à des défis multiformes, entre croissance et résilience

Sur le site Géoconfluences de l’ENS de Lyon

Edouard de Bélizal : Le volcan Mérapi (Indonésie) : espaces et temporalités, du risque sur un volcan indonésien singulier. 

Bibliographie et sources

De Bélizal E., 2017. "Vivre avec le volcan : un modèle de résilience menacé en Indonésie". Métropolitiques.


De Bélizal, E, Lavigne F., Hadmoko D.S., Degeai J.P., Dipayana G.A., Mutaqin B.W., Marfai M.A., Coquet, M., Le Mauff, B., Robin, A.K., Vidal, C., Cholik, N., Nurnaning, A., 2013. "Rain-triggered lahars following the 2010 eruption of Merapi volcano, Indonesia: A major risk". Journal of Volcanology and Geothermal Research n°261, 330-347.

Sarrazin C., Gautier E., Hollé A., Grancher D., De Bélizal E., Hadmoko D.S., 2019. "Resilience of socio-ecological systems in volcano risk-prone areas, but how much longer? Assessment of adaptive water governance in Merapi volcano, Central Java, Indonesia". GeoJournal n°84-1, 183-213.

Contributeur

Edouard de Bélizal, agrégé et docteur en géographie. Classes Préparatoires aux Grandes Écoles du Lycée public de Saint-Just (Lyon), membre du laboratoire Mosaïques, UMR 7218 CNRS.

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