Royaume-Uni. Portsmouth et le Solent : tous les visages de la puissance maritime britannique

Sur la côte sud de l’Angleterre, Portsmouth et le Solent occupent une position stratégique dans la Manche, en position d’interface entre le Grande-Bretagne, le continent et l’espace-monde. La richesse géomorphologique du Solent offre des sites portuaires variés, tôt mis au service de la puissance maritime britannique : puissance militaire avec la base navale de Portsmouth, siège de la Royal Navy, puissance commerciale avec le port de Southampton. La région bénéficie aussi d’un « effet sud » qui a permis une mise en tourisme précoce dont le yachting qui fut inventé autour de l’île de Wight. On voir enfin émerger un ensemble métropolitain inachevé, centré sur Southampton et Portsmouth. Branchée sur les échanges avec le continent et l’espace-monde, la région du Solent est un bon poste d’observation pour observer les mutations en cours de la puissance britannique.

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Légende de l’image

Cette image de Portsmouth, petite ville portuaire et base navale située sur la côte sud de l'Angleterre, a été prise le 22 septembre 2021 par le satellite Sentinel 2B. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.

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Repères géographiques

Présentation de l’image globale

Portsmouth et le Solent : la valorisation du littoral méridional de la Grande Bretagne

Un ensemble littoral privilégié offrant une grande variété de sites et une position d’abri
« Messieurs, l'Angleterre est une île, vous en savez maintenant autant que moi sur son histoire ». La phrase de Michelet est parfaitement illustrée par cette image. Ici le littoral sud du Royaume-Uni dispose de nombreux atouts maritimes et littoraux : il s’ouvre sur la Manche, cette mer franco-anglaise à la fois riche des échanges et des rivalités Nord-Sud, mais aussi porte ouverte sur l’espace atlantique et rampe de projection de la puissance maritime britannique. Les éléments du relief présents sur l’image révèlent l’inscription de ce morceau de littoral dans l’espace Manche.

Au nord-est on aperçoit les South Downs qui forment un plateau calcaire scandé par des escarpements d’orientation nord et qui ouvrent la voie vers le bassin de Londres. Elles prolongent, sur les îles britanniques, ce que l’on appelle sur le continent le bassin parisien et son système d’auréoles sédimentaires et ses systèmes de cuestas. Plus à l’est (hors image), le plateau plonge directement dans la mer découpant les falaises des « Seven Sisters », en miroir des falaises normandes d’Etretat.

Au centre de l’image apparait le bras de mer du Solent. C’est une formation côtière qui détone sur cette partie de la rive nord de la Manche où le trait de côte a été puissamment régularisé et qui offre peu de baies profondes. L’érosion marine est ici particulièrement active. Elle a sapé les falaises calcaires au point de détacher l’île de Wight et de s’engouffrer dans une vallée fluviale pour donner naissance au bras de mer du Solent. Puis la transgression flandrienne a noyé les estuaires des vallées descendant des plateaux, formant ainsi plusieurs rias : Southampton water, ria large et profonde qui accueille un port en eaux profondes particulièrement bien protégé et plus à l’est, reconnaissables par leurs indentations, trois estuaires ennoyés : Portsmouth, Langstone et Chicester. Les rias s’ouvrent ici sur une côte sableuse qui a pu engraisser grâce à la protection de l’île de Wight. Enfin sur la côte nord de l’île de Wight l’étroite et profonde ria de Cowes offre un abri mis à profit par la navigation de plaisance. Le Solent présente la particularité d’être soumis à un régime de « double marée » fort utile pour la navigation. C’est en réalité une période de hautes eaux particulièrement longue qui s’explique par sa double ouverture sur la Manche.

Au sud, l’île de Wight est située sur l’ancienne ligne de côte et agit comme un avant poste protecteur. Sur sa côte ouest, les falaises calcaires sont exposées à la houle, bien visible sur l’image. A l’opposé, la côte est et celle de Portsmouth sont protégées de l’érosion marine et des tempêtes. Les principaux flux venant de l’ouest et du sud-ouest, l’ile de Wight explique la position d’abri dont bénéficie Portsmouth.

Le Solent est donc à bien des égards un ensemble original dans l’espace Manche. Situé à mi-chemin entre le Pas de Calais et la pointe de Cornouailles il occupe une position géostratégique. Protégé par l’île de Wight, Il offre plusieurs bons sites portuaires.

Le Solent : pierre angulaire de la puissance maritime britannique

Parcourir le Solent, c’est dérouler une grande part de l’histoire navale de l‘Angleterre. A commencer par la base navale de Portsmouth qui accueille le siège du commandement naval britannique (HQ naval Command), … depuis 1194, une continuité remarquable. Le port militaire a accompagné l’évolution de la marine britannique et reflète l’évolution de ses priorités géostratégiques selon la vision churchillienne des trois cercles : Europe, monde anglo-saxon, Empire (puis Commonwealth).

Portsmouth fut d’abord la porte d’entrée en Angleterre pour les souverains normands. La Manche est alors une « mer intérieure normande ». Puis le port accueille la 1ère forme sèche d’Angleterre, à l’époque où, en France, François 1er ordonne la construction du port du Havre (1517). C’est le moment de bascule de la puissance maritime britannique qui se tourne vers le grand large, le commerce avec les Indes puis la conquête des Amériques. La base navale de Portsmouth et le Solent acquièrent alors le triple rôle stratégique qui est encore le leur :

Portsmouth est d’abord une place forte qui protège la Grande Ile de toute invasion par la côte sud ; le Solent est parsemé d’un complexe de 27 forts construits à l’époque victorienne - les « forts Palmerston » - pour prévenir une invasion continentale, souvenir de la menace napoléonienne. Ils rendent la base navale virtuellement imprenable. Dans ce système de défense, l’île de Wight avec ses 16 forts sert de pointe de défense avancée. Portsmouth est quant à elle protégée par une série de forts visibles sur l’image au sud le long de la côte et au nord de la ville, situés sur le talus qui correspond à une ligne de côte ancienne qui marque aussi la limite de l’urbanisation de Portsmouth.

Le Solent est aussi un verrou qui permet de contrôler le trafic dans la Manche ; à mi-chemin entre le Pas de Calais et la pointe de Cornouailles, il est parfaitement placé pour contrôler l’accès à l’Atlantique pour toutes les flottes d’Europe du Nord. Sur l’autre rive, en face de Portsmouth, la France a d’ailleurs implanté le port de Cherbourg (voir notule Géoimage) pointe avancée sur la Manche qui ne bénéficie pourtant pas des mêmes atouts naturels. Portsmouth fut chargée de la surveillance du trafic sur la Manche jusqu’à Brest pour prévenir l’invasion napoléonienne.

Enfin Portsmouth joue le rôle de base arrière pour la projection de la marine anglaise sur les mers du globe et ce depuis plusieurs siècles : c’était le port d’attache du plus célèbre des vaisseaux britanniques, le Victory, qui fut ramené à Portsmouth après la victoire de Trafalgar en 1804, avec à son bord la dépouille de l’amiral Nelson. Le navire fut mis à la retraite puis transformé en musée à la gloire de la marine britannique alors au faîte de la « Pax Britannica ». La dernière heure de gloire de la base navale date de la guerre des Malouines en 1982 d’où partit le corps expéditionnaire.

Avec l’évolution des techniques militaires et des grands rapports de force géopolitiques, la situation de Portsmouth devient toutefois un handicap : les bombardements massifs de la 2ème guerre (65 000 maisons détruites) révèlent la trop grande vulnérabilité du port. Cela va pousser les autorités à déménager la construction navale vers des régions moins exposées (Nord-Ouest, Ecosse, Irlande du Nord) et à installer la base de sous-marins nucléaires à Falsane en Ecosse (voir notule Géoimage) sur des terrains plus adaptés aux besoins de la Guerre Froide.  Aujourd’hui, la fonction défensive de Portsmouth est donc devenue obsolète. La plupart des forts ont été désarmés.

Elle reste cependant le siège de la flotte britannique de surface, les bases de Plymouth et de Faslane en Ecosse la complètent et accueillent notamment les sous-marins. Si le temps est loin de la « Pax Britannica » et de la domination sans partage de la Royal Navy, elle demeure cependant la 4ème flotte militaire mondiale en tonnage avec 407.000 tonnes et 29.300 personnels et conserve des ambitions mondiales. Sa doctrine « protéger » (son territoire ainsi que les 14 British Overseas Territories), « se projeter », et « promouvoir la prospérité » en défendant la liberté de navigation, signifie bien l’objectif assigné à la Royal Navy : être capable d’intervenir à tout moment, sur toutes les mers du monde. Pour cela elle dispose d’une flotte complète : destroyers, frégates et deux porte-avions - le HMS Queen Elisabeth, lancé en 2017 et HMS Prince of Wales, lancé en 2020 - qui assurent une capacité permanente de projection permanente. Seules cinq autres puissances dans le monde disposent d’un tel équipement : États-Unis, Russie, Chine, Inde et France.

Le complexe portuaire du Solent : une interface entre les échelles nationale, européenne et mondiale

Les conditions naturelles favorables à la navigation du Solent, ont été mises à profit pour construire au fil du temps un vaste complexe portuaire multipolaire. C’est encore aujourd’hui un point essentiel du branchement britannique sur les flux mondialisés et, dans une moindre mesure, européens.

Southampton (zoom 2) avec sa position en fond de ria, son port en eau profonde et sa « double marée » est un port de marchandises important, le 2ème du royaume. L’activité y est variée : importations/exportations, grand port de croisière. Mais son développement est contraint par l’urbanisation des rives et les conflits environnementaux.  

Portsmouth (zoom 1), de son côté, a connu une évolution différente. S’il reste avant tout un port militaire, il a cependant vu son rôle évoluer. La construction navale a été déplacée du fait du fait du redimensionnement de la flotte militaire, constant depuis les années 1970 à l’exception de l’intermède des Malouines (1982). Cela a amené une diversification de ses activités. L’entrée du Royaume-Uni dans la CEE en 1973 a été l’occasion de redécouvrir sa position centrale du Solent dans l’espace Manche. Portsmouth a dès lors accompagné l’intensification des relations transmanche avec l’ouverture du terminal à ferry en 1976. Portsmouth devient une alternative à la traversée par le Pas de Calais et offre des traversées vers les îles anglo-normandes, les ports normands et l’Espagne. C’est aujourd’hui le 2ème port de ferry du pays avec 9 millions de passagers avec des liaisons vers Caen-Ouistreham, Cherbourg, Le Havre, St Malo et Bilbao.

La mise en tourisme de la côte : la mer comme terrain de jeu

L’ère de la Pax Britannica a fait émerger une nouvelle facette de la culture maritime britannique : la navigation de plaisance. En 1845, la reine Victoria construit sur l’île de Wight une résidence d’été baptisée Osborne. Dans son sillage, l’aristocratie anglaise vient en villégiature sur l’île. Un défi lancé en 1851 par le « Royal Yacht Squadron » marque l’invention de la navigation de plaisance : une course autour de l’île de Wight, qui sera gagnée par la goélette « America » qui donnera son nom à la plus ancienne course de plaisance. Aujourd’hui encore les régates de la « Cowes week » en été attirent une foule de plaisanciers. La Royal Yachting Association, basée à Hamble dans la Southampton water, joue encore un rôle prescripteur sur le monde de la plaisance en fixant les normes. Sur l’île de Wight, la ria de Cowes, profonde et étroite, est le cœur de ce paradis de la plaisance.

En face de l’île de Wight, la plage de Hayling présente une forme de mise en valeur touristique bien différente. Implantée sur le cordon littoral, abritée de la houle par l’île de Wight, elle a toutes les caractéristiques des stations balnéaires de l’ère du tourisme de masse : desservie d’abord par une ligne de chemin de fer, aujourd’hui démantelée, puis par une route, elle attire la classe moyenne londonienne. Les lotissements s’étalent sur le front de mer, en retrait de la promenade. Au centre Billy Butlin inaugure ici en 1924 le principe qui fera sa fortune au Royaume-Uni : la fête foraine installée sur la plage pour divertir les locataires de ses camps de vacances installés plus en retrait. Les camps de vacances Butlins sont encore aujourd’hui une icône de la culture populaire britannique.

Cependant le modèle touristique qui s’adressait aux classes moyennes connait un fort déclin à partir des années 1980, concurrencé par l’Europe du Sud qui garantit le soleil à moindre coût grâce au développement des liaisons aériennes « low cost ». La station balnéaire de Hayling tente de se réinventer par une montée en gamme des ses équipements :  golf, petit port de plaisance.

Un ensemble métropolitain inachevé

Le centre de la côte sud rassemble quatre entités urbaines : Poole, Bournemouth (hors image), Southampton et Portsmouth, plus l’île de Wight. Elles forment une conurbation de près de 2 millions d’habitants soumise à un processus de métropolisation. Les acteurs locaux ont tenté d’organiser cet ensemble à partir des années quatre-vingt-dix. Ils voyaient dans l’intégration européenne la possibilité de faire émerger un espace de coopération transmanche… et d’accéder ainsi à des fonds européens (Interreg).

Vingt ans plus tard, on peut constater que le processus de métropolisation se renforce : croissance de l’économie résidentielle (en particulier à Bournemouth, hors image), reconversion et croissance de l’emploi industriel et de hautes technologies à Portsmouth et Southampton, développement des connexions avec l’espace européen (aéroport de Southampton : 1.7 M passagers/an, port ferry de Portsmouth), réaménagement du front de mer de Portsmouth.

Pour autant, on ne voit toujours pas émerger une véritable structure métropolitaine cohérente. La rivalité entre Southampton et Portsmouth est toujours vive (universités concurrentes) et chacune développe sa propre stratégie d’internationalisation. Surtout, l’ombre portée de la métropole londonienne les empêche d’avoir un véritable rayonnement et conditionne largement leur dynamisme. Les acteurs locaux n’ont pas su donner vie à la « South Coast metropole » et le Brexit limite toute perspective de coopération transmanche à brève échéance.

Zooms d'étude

Portsmouth, miroir du changement de la puissance maritime britannique : de “Britannia rule the waves” à “Cool Britannia”

Portsmouth, le plus vieil établissement militaire naval du Royaume-Uni.

La base navale fondée par Henry VIII est le plus vieil établissement de la Royal Navy. Les 2/3 de la flotte militaire de surface - soit 8.170 personnels militaires actifs - sont basés ici. Les installations militaires sont toujours au cœur des infrastructures portuaires. Elles profitent de la qualité du site, parfaitement protégé des flux d’Ouest par l’île de Wight. Elle est aujourd’hui composée de quatre entités :
-    Her Majesty’s Naval Base (HMNB) Nelson est la base navale à proprement parler qui accueille les vaisseaux. La maintenance des vaisseaux est assurée dans les grands bassins à flots. Les quais ont été rallongés et l’entrée du port draguée en 2018 afin de garantir le tirant d’eau de 9 mètres nécessaire à l’accostage des deux porte-avions. La longueur des quais est suffisante pour accueillir les 2/3 de la flotte militaire de surface.
-    HMS Excellent sur l’île de Whale island accueille le Quartier Général de la Royal Navy.
-    -HMS Collingwood à Fareham fait office d’école navale,
-     et enfin HMS Sultan est le centre de formation technique, situé à Gosport sur l’autre rive.

A cela s’ajoute Marchwood Military Port au sud du terminal pétrochimique de Southampton. Construit en 1943 pour préparer le débarquement de Normandie, il servait depuis de plate-forme logistique militaire, pendant la guerre des Malouines notamment. Il a été privatisé en 2015 afin d’en diversifier l’activité. Cela illustre le recul d’ensemble de l’activité militaire.

La construction navale fut longtemps une activité essentielle pour Portsmouth. Le port disposait déjà de deux formes sèches anciennes ; la 1ère datant de 1495 où fut construit la « Mary Rose » d’Henry VIII. Mais au XIX° siècle, la construction navale prend une toute autre ampleur. Portsmouth devient la base arrière de l’Empire britannique et les besoins de la Royal Navy sont immenses. En 1858, la reine Victoria, impressionnée par la visite du port militaire de Cherbourg, ordonne de grands travaux : le chantier naval s’agrandit et s’adapte aux nouvelles techniques industrielles : 4 bassins à flot, 3 nouvelles cales sèches, 2 écluses, 4.5 km de quais et entrepôts sont construits sur 73 hectares. A cela s’ajoutent des fonderies dès lors que l’on passe aux vaisseaux à coques en acier. La population croit pour passer de 32.000 habitants en 1805 à 235.000 en 1951. Une vraie ville industrielle se développe sur le modèle d’urbanisme victorien. Pour loger les ouvriers des chantiers navals, des lotissements de maisons ouvrières mitoyennes (attached) avec leur petit jardin à l’arrière sont juxtaposés au fur et à mesure des besoins. Les bombardements de la Deuxième Guerre mondiale qui ont durement touché la ville n’ont pas altéré ce plan.

Les chantiers navals ont définitivement fermé en 2016 au profit de Glasgow entrainant une perte sèche de 1.000 emplois. L’activité se limite aujourd’hui à la maintenance sous-traitée à BAE Systems. Mais l’activité militaire a amené l’installation d’industries liées à la défense et à l’espace, qui travaillent en collaboration avec les universités de Southampton et Portsmouth. On trouve ainsi dans la conurbation Southampton-Portsmouth des acteurs majeurs comme BAE Systems, GE aviation systems, Boeing, Astrium. Le Portsdown Technology Park en est un bon exemple : à partir du centre de formation au personnel militaire naval de BAE systems, des entreprises liées au complexe militaro industriel comme Qinetiq s’installent pour développer de nouveaux équipements de combat. C’est un complexe militaro-industriel qui se développe autour de la base.

Réinventer Portsmouth : the great waterfront city

Le retrait des activités militaires a poussé le port de Portsmouth à se réinventer au tournant des années 2000. L’objectif, dans le contexte des années Blair qui souhaitait promouvoir une « cool Britannia », est pour Portsmouth de devenir la vitrine d’une puissance maritime bienveillante et ouverte sur le monde. Cela a amené un réaménagement du port et de la ville. C’est aussi une ville qui s’adapte pour conserver son rôle de figure de proue de la puissance maritime britannique.

La première étape a été le développement de l’activité du terminal de ferry installé au nord des bassins à flot. Il est inauguré en 1976 pour développer les liaisons transmanche. Au débouché des voies rapides il offre de bonnes connexions avec l’arrière-pays et permet de raccourcir le trajet vers le continent d’une heure par rapport à Southampton.

La partie au sud des bassins à flot est désormais occupée par le musée maritime à ciel ouvert des « Historic dockyards ». Il sert de trait d’union entre passé et présent de la puissance maritime britannique. Sa mission lorsqu’il ouvre en 2009 est de mettre en scène la grandeur passée de la marine britannique afin d’en cultiver la mémoire. Pour cela on renfloue le vaisseau amiral d’Henry VIII, la Mary Rose. Un bâtiment est construit spécialement afin de conserver l’épave qui doit être arrosée en permanence. On peut y voir également le « Victory » de l’amiral Nelson, vainqueur de Trafalgar en 1805, le seul vaisseau encore intact dans le monde datant de la glorieuse époque de la marine militaire à voile. Le musée est un grand succès avec plus de 850 000 visiteurs en 2019. La comparaison avec Océanopolis dans le port de Brest (voir notule Géoimage) est intéressante : quand la ville de Brest choisit de se projeter vers un projet à dominante environnementale et scientifique sur les océans, à Portsmouth on cultive et met en scène la mémoire militaire et la grandeur passée. Ces choix de réhabilitation sont révélateurs du rapport à leur histoire maritime qu’entretiennent ces deux pays.

Par ailleurs, Portsmouth cherche à se positionner comme la métropole maritime du sud de l’Angleterre. Cela nécessite une montée en gamme des activités jusque-là centrées sur la construction navale : développement de zones d’activités pour attirer des entreprises innovantes dans le domaine technologique et spatial (parcs d’activités autour des échangeurs, Portsdown Technology Park), développement de l’université de Portsmouth.

Portsmouth, entre patrimonialisation, ouverture sur la mer et tourisme

Portsmouth cherche surtout à changer son image et à mettre en scène ses nouvelles ambitions. Le premier chantier a été de la transformer en une « Waterfront city ». Pour cela il a fallu ouvrir l’accès au port, jusque-là monopolisé par l’armée, et permettre à la population de l’investir. La partie sud de la base navale, Gunwharf Quays, (l’ancienne HMS Vernon) a ainsi fait l’objet d’un programme de régénération : construction d’un centre commercial, de promenades bordées de bars et restaurants sur les quais, création de marinas (qui s’étendent également de l’autre côté du chenal) et, pour couronner le tout, la Spinnaker tower» (2005) qui du haut de ses 170 mètres devient le nouvel emblème de la ville et incarne cette nouvelle identité métropolitaine.

Enfin en 2014 le navigateur star Sir Ben Ainslie s’installe à Gunwharf quays dans un bâtiment flambant neuf, orné d’un immense Union Jack. Son ambition est de reconquérir l’America’s cup et d’organiser la compétition à Portsmouth. La ville profite de cet effet d’image pour se positionner comme la capitale de la navigation de plaisance. Deux sites sont développés pour accroître l’offre d’anneaux dans le Solent : Gosport en face de la base navale et la marina de Port Solent au nord de la ville.

Ce changement est complété par la réhabilitation du front de mer (Southsea). Les fortifications ont longtemps interdit toute construction directement sur le littoral. Cet espace libre a été mis à profit par l’industrie touristique : on peut apercevoir la jetée (« pier » à l’image de Brighton), équipement phare des stations balnéaires de la fin du XIX° siècle pour attirer et divertir les classes moyennes londoniennes. Le front de mer est transformé en parc urbain (« commons »), et interdit à la construction. Portsmouth offre ainsi un front de mer ouvert qui en même temps se conforme à la politique britannique de gestion intégrée des zones côtières. Le risque lié à l’élévation du niveau des mers est pris en compte. Partout où cela est possible, la règle est de laisser des zones tampons pour prévenir les risques de submersion.


Zoom 1


Repères géographiques


Portsmouth base militaire

Zoom 2 : L’île de Wight, un balcon sur le Solent

Un système insulaire spécifiques aux nombreux atouts

Les paysages d’Angleterre font, plus qu’ailleurs, l’objet d’une attention particulière et contribuent puissamment à la construction de l’identité nationale. L’île de Wight est une pointe avancée dans la Manche. Elle est parfois présentée comme une Angleterre en miniature où les contraintes naturelles liées à l’interaction entre terre et mer sont domptées et mises à profit pour construire un espace original. L’île de Wight regroupe deux des figures importantes de ces paysages : la campagne bocagère et le littoral, arrangés ici avec beaucoup de soin le long de deux lignes est-ouest et nord-sud.

La première est une opposition nord/sud. Elle provient tout d’abord de la structure géologique qui coupe l’île en deux parties. Le sud, appartient à l’ensemble jurassique de la côte sud anglaise. Constitué de calcaires et de craies, il forme un plateau dépourvu de réseau hydrographique de surface. Il en résulte une côte rocheuse armée de falaises calcaires. Cela contraste fortement avec la partie nord. Plus basse, couverte d’argiles, elle est parcourue d’un réseau hydrographique important ; d’orientation nord, qui a découpé des estuaires ennoyés pour former plusieurs rias : le Western Yar (Yarmouth à l’ouest), la Medina (Cowes au centre) et l’Eastern Yar (St Helens à l’est) auxquelles s’ajoute l’estuaire de Hamstead (nord-ouest).

Ce fort contraste géologique est renforcé par l’importance des connections entre l’île et le « mainland ». Quatre terminaux de ferry (Yarmouth, Cowes, Fishbourne et Ryde) relient les deux rives du Solent en moins de 30 mn de traversée. L’intensité de ces liaisons expliquent le dynamisme démographique (140 000 habitants permanents) et touristique de l’île (2.38 M de visiteurs/an). Cela profite très largement à la côte nord. C’est là que se situent les pôles urbains de l’île dynamisés par l’économie résidentielle : Cowes, Newport en fond de ria, Yarmouth et Ryde.

A cette opposition nord/sud, s’en surimpose une autre est/ouest. L’île de Wight est fortement exposée aux flux d’ouest. La houle et le vent viennent directement frapper l’ouest de l’île. A cela s’ajoute le fort courant marin de la partie ouest du Solent. Le reste de l’île profite au contraire d’une situation d’abri : les rias de la côte nord-est offrent des sites portuaires bien abrités. On trouve au sud-est la seule plage de sable de l’île dans le rentrant de Shanklin.

L’organisation spatiale de l’île de Wight

Celle-ci joue de la juxtaposition de ces deux grandes oppositions pour tirer toutes les potentialités de cet espace pourtant contraint.

Le littoral ouest se démarque par sa très faible occupation. Au sud-ouest les falaises sont soumises à une intense érosion reculent rapidement. On distingue sur l’image, à l’est de Freshwater, le recul du trait de côte. Au nord-ouest, si l’on est à l’abri de la houle, la côte est soumise au puissant courant du Solent. Pour ces raisons, l’occupation littorale est très limitée. La faible anthropisation de cette côte ouest a permis de mettre en place une politique de préservation et de mise en valeur des paysages naturels : heritage coast, Area of Outstanding Natural Beauty, fossiles des falaises de Freshwater au sud.

La côte est, au contraire, est fortement développée. Elle a fait l’objet d’une mise en tourisme précoce. La reine Victoria fait bâtir en 1845 le palais d’Osborne, un balcon sur le Solent qui rappelait la baie de Naples au prince Albert. C’est le point de départ du tourisme de villégiature et de navigation de plaisance qui a fait la fortune de l’île. Les sites portuaires abrités de Cowes, Newport, Wooton creek, Ryde et St Helens développent une offre résidentielle autour des ports de plaisance (+ de 2000 anneaux). L’activité touristique culmine au moment de la « Cowes week » en juillet. C’est la plus grande concentration de courses de plaisance au monde (plus de 1000 bateaux inscrits). C’est ici qu’a été inventé le principe de la régatte, course reine au RU, qui met en valeur l’habileté des navigateurs confrontés à des conditions de navigation très différentes (au vent, à l’abri, forts courants) dans un temps réduit.

Tourisme, nautisme et agriculture

L’île s’est ensuite ouverte au tourisme de masse grâce au développement des liaisons par ferry. Au sud-est, dans le rentrant occupé par la plage de Shanklin, on distingue une implantation touristique qui rassemble les infrastructures typiques de l’ère du tourisme de masse britannique : plage aménagée par des épis, une jetée (qui accueille des salles de jeux), une promenade en front de mer et des habitations qui s’étendent sur le ruban littoral.
On retrouve cette double opposition dans l’organisation de l’espace rural intérieur. Resté agricole, il dessine un paysage bocager traditionnel avec des bourgs ruraux de taille modeste et des écarts nombreux. Les haies vives et une dominante de prairies permanentes indiquent une spécialisation dans l’élevage.

Mais à y regarder de plus près on voit que l’évolution vers une agriculture productiviste prend un visage différent selon que l’on est dans le sud-ouest exposé (dominante de terres labourées consacrées aux cultures fourragères, parcelles de grande taille, haies arrachées) ou à l’est (abrité) où le bocage a mieux résisté. Les haies ont pour la plupart échappé à l’arrachage afin de préserver le paysage traditionnel dont sont friants les touristes. L’île profite d’un ensoleillement relativement généreux qui explique la présence de serres en retrait de la plage de Shanklin (production de tomates, champignons, fraises) ainsi que de fermes solaires. On a dans cette partie de l’île une multifonctionnalité de l’espace rural plus prononcée qui s’intègre à l’activité touristique.


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Zoom 3 :  Southampton et le Southampton water

Southampton avec sa position en fond de ria, son port en eau profonde (15 m de profondeur après les derniers dragages), sa « double marée » est un port de marchandises important, le 2ème du royaume. Le site original du port à la confluence de l’Itchen a été entièrement reconstruit après les bombardements de la 2ème guerre mondiale, puis doté d’un avant port. L’activité y est variée : importations/exportations de véhicules (820 000/an en roll on-roll off) qui occupent les grands parkings visibles sur l’image ; importation de fruits et légumes avec un terminal réfrigéré (90% des importations de bananes au RU). On peut y lire en filigrane la grande dépendance du Royaume aux importations de biens agricoles et manufacturés. Southampton est aussi un grand port de croisière. C’était le port d’attache des grands liners transatlantiques, parmi eux le Titanic. Sa disparition n’a pas mis fin au trafic de croisiériste qui a connu ces dernières années une forte croissance pour atteindre aujourd’hui 2 M de passagers (450 mouvements de bateaux/an). Carnival, 1er croisiériste mondial est basé ici.

Enfin au fond de la ria, se trouve le terminal de conteneur. Développé plus récemment, en partie sur des terre-pleins, il est bien placé pour assurer une connexion multimodale avec le reste du pays grâce au nœud autoroutier (M3, M27, A 34) et au terminal de chemin de fer visibles sur l’image. Avec 500 m de quais, on y traite 1,5 million de conteneurs, 50 % du total du pays. Sa position en fond de ria va toutefois à l’encontre de la tendance des grands terminaux de conteneurs situés en avant-port afin d’accueillir les plus grands navires. Southampton est limité dans son expansion et doit se contenter d’un rôle d’interface avec les flux mondialisés à l’échelle du Royaume-Uni. On est loin du trafic assuré par les grands ports de la Northern Range, tels Rotterdam ou Anvers.

Le port rencontre cependant des limites à son développement. L’aval est urbanisé et ne permet pas d’extensions comme c’est le cas pour les grands ports mondialisés. Sur la rive ouest se trouve le terminal pétrolier. Des réserves foncières ont été constituées, mais leur transformation se heurte au refus d’une partie de l’opinion d’artificialiser ces zones humides qui jouxtent la New Forest. Ce parc national fut constitué en réserve naturelle par Guillaume le Conquérant. Il a une forte valeur environnementale et patrimoniale. Le port est donc condamné à grandir dans ses limites actuelles. Ainsi le projet de silos à véhicules visant à stocker les voitures sur plusieurs niveaux. Southampton reste ce qu’elle est depuis l’époque impériale : un pôle stratégique qui assure l’insertion de l’économie britannique dans les flux de marchandises mondialisés. En cela elle devrait être moins affecté que d’autres par la sortie du RU de l’Union européenne.


Repères géographiques

Document complémentaire

Image complémentaire : La région de Portsmouth dans son cadre régional : le sud maritime et littoral du bassin londonien

D’autres ressources

Sur le site Géoimage du CNES

La base militaire Faslane et ses SNLE
Royaume-Uni - Faslane : la base navale sous-marine écossaise au rôle géostratégique

Cherbourg une ville, un port militaire et un arsenal maritime d’importance géostratégique
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Brest une agglomération aux fonctions militaires stratégiques à la reconquête de son identité urbaine et maritime
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Sources utiles :

Atlas Transmanche: https://atlas-transmanche.certic.unicaen.fr/fr/

Quatre histoires de la Manche, La Fabrique de l’histoire, 28/03/2019 :
https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-lhistoire/la-grande-bretagne-leurope-et-les-autres-44-quatre-histoires-de-la-manche

Contributeurs

Nicolas Bounet, professeur agrégé de géographie, lycée Théophile Gautier, Tarbes.

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