Italie - Rome : la ville éternelle

Métropole d’un Empire de 5 millions de km² puis de la Chrétienté, devenue en 1870 capitale nationale, Rome est une ville exceptionnelle autant dans l’imaginaire qu’elle suscite que dans sa réalité urbaine complexe. Ville au quotidien difficile, mais aussi « cité qui rend heureux » (C Brice, 2007) par sa beauté, palimpseste de temporalités imbriquées. C’est aussi une ville-mosaïque à la fois monumentale et désordonnée, ce dont témoigne l’image satellite qui couvre le centre historique et une partie de la « ville consolidée » au XXe siècle. Si elle n’est pas « globale » au sens économique du terme, concurrencée en cela par Milan, Rome – avec 2,8 millions d’habitants, 4,3 pour la métropole - reste d’importance mondiale par son rôle de double capitale et la place qu’elle tient dans la culture et le tourisme.
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Légende de l’image satellite

Cette image de Rome, capitale de l'Italie, a été prise par un satellite Pléiades le 18 octobre 2019. Il s’agit d’une image en couleur naturelle, de résolution native à 0,70m, ré-échantillonnée à 0,5m.

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Repères géographiques

Présentation de l’image globale

Une croissance urbaine compacte autour de la ville antique

Le palimpseste

La Ville éternelle fonctionne comme un « commutateur temporel qui met en communication différentes histoires, de par ses vestiges, qui placent le passé au cœur du présent, et par son nom même » (Djament-Tran. p 25).  

A la fin de l’Antiquité, l’Urbs telle que matérialisée par l’enceinte d’Aurélien (275) - bien visible dans la partie Sud et Est du cliché, même si toute la ville antique ne s’y limitait pas et qu’une partie de l’enceinte a disparu - atteignait entre 600.000 et plus d’un million d’habitant, selon les estimations. Avec la fin de l’Antiquité, symbolisée par le sac de 410, la population descend en dessous de 60.000, voire de 30.000 habitants, au XVe siècle. Ce qui n’empêche pas la Rome pontificale de reconstruire sa centralité à l’échelle du monde chrétien puis catholique, ce dont témoigne en particulier le « trident » baroque (zoom 1).

C’est une ville de 250.000 habitants qui devient la capitale de l’Italie unifiée en 1870. Ce choix reste au demeurant ambivalent, car Rome est choisie pour sa centralité géométrique et symbolique : elle réunit les valeurs de la République et de l’Empire, de la commune médiévale et du catholicisme etc. Mais elle l’est aussi parce qu’elle est restée au XIXe siècle à l’écart des dynamiques urbaines en essor en Europe, et de ce fait « ne concurrence aucune autre » selon les mots ironiques d’un député. Les alternatives auraient pu être Milan ou Turin, qui tient un rôle majeur dans l’unification, ou Florence, qui joua le rôle de capitale provisoire, ou encore Naples, alors la ville la plus peuplée. La croissance urbaine successive témoigne de cette ambiguïté originelle, et aussi du rôle alloué à la fois à la puissance étatique et au capital privé.

La ville compacte… et verte sacrifiée à l’automobile

Si l’expansion urbaine se fait aujourd’hui par « plaques urbaines » (Dossier Rome région), le centre de Rome témoigne de la phase d’expansion en tâche d’huile qui a suivi l’Unité.

En 1870, seulement un tiers des 1.400 ha de la ceinture aurélienne est construit, dont un cinquième de bâtiments religieux ; surtout dans la boucle du Tibre et autour de la Basilique Saint-Pierre. La superficie construite double entre en 1881 (398 ha) et 1921 (646 ha., pour 637.000 habitants). L’expansion se fait au détriment de zones vertes, présentes pour certaines depuis l’Antiquité – les horti des domaines impériaux et autres jardins, qui occupaient la moitié de la superficie de l’Urbs,  puis les villas de l’aristocratie. En témoignent encore les parcs publics de Villa Borghese, Villa Ada au Nord-Est, Monte Mario et Villa Pamphili à l’Ouest, et au Sud le début de l’immense parc de l’Appia Antica.

C’est à la voiture et aux axes radiaux, reprenant le nom des voies de l’antiquité (Aurelia, Salaria, Appia, Tiburtina, Portuense, etc.), qu’a été dévolu le rôle de structurer la croissance d’une capitale littéralement « sacrifiée à l’automobile » (Nessi, Delpirou, 2009) dans les années 1950. On repère toutefois aisément à l’Est la pénétrante ferroviaire de la gare Termini et au Sud la gare d’Ostiense, départ vers la course de la ville vers la côte des années 1930, auquel il faut ajouter la gare du Vatican et, ici hors champs,  la gare Tiburtina (zoom 4). Même si la cura del ferro des années 1990 (métro, tramway) a tenté de remédier à cette primauté de l’automobile, le réseau de transport public reste faible, ce qui ne s’explique qu’en partie par les contraintes archéologiques.

Le modèle de la ville négociée, des conventions aux accords de programme

L’image satellite témoigne de quelques velléités de contrôle de l’expansion immobilière, ainsi le plan régulateur de 1909 prévoyait six quartiers résidentiels autour de places, qui furent bien réalisés (par ex. Flaminio et Mazzini au Nord)… Mais les espaces verts qui devaient les séparer n’ont pas résisté à la pression spéculative.

En effet, trait commun avec Athènes, l’économie romaine se nourrit de sa propre croissance et entretient un système d’acteurs redoutablement efficace. Il a été décrit par Anne-Marie Seronde-Babonaux à partir de la convention signée en mars 1871 entre Mg Merode, prélat belge, et la commune pour l’ouverture de la Via Nazionale, alors en pleine campagne. Elle prévoit la cession gratuite des voies déjà tracées et des terrains nécessaires à leur prolongation, la commune s’engageant à les entretenir et à amener les canalisations, le propriétaire étant assuré de la possibilité de construire sur cette zone.

Cet exemple suivi de nombreux autres (Zoom 3 - Monteverde) - et dont les Accords de programme récents sont à certains égards les héritiers - impliquent d’un côté des capitaux privés, issus initialement de sociétés du Centre-Nord ou étrangères et de grandes familles aristocratiques romaines et, de l’autre un pouvoir communal qui privilégie sauf exception la négociation.

L’alternance entre des cycles marqués par la spéculation - le premier épisode date de 1870-1887, le plus récent de la préparation du Jubilée de l’an 2000 jusqu’à la crise des subprimes de 2008 - et des périodes de crise est dès lors un trait caractéristique de l’économie urbaine.

Le chantier permanent mais aussi le bricolage

La fonction de capitale donne lieu à une réinterprétation par l’Etat de l’espace urbain hérité, particulièrement accentuée sous le fascisme (Zoom 1 - centre). Rome est aussi une ville perpétuellement en chantier. Par le jeu combiné d’une logique de grands équipements et de grands événements au service l’un de l’autre et qui, comme dans d’autres métropoles, jouent comme autant « de points de cristallisation pour de nouveaux développements suburbains spontanés en marge des axes d’urbanisation préexistants » (Delpirou, Mourlane, 2010).

Cette problématique, bien illustrée par le Stade Olympique (Zoom 5 - stade), est aussi un des moteurs du dernier Plan Régulateur Général de Rome, équivalent du PLU français, qui date de 2008.  S’ils ne lui sont pas spécifiques, les excès de ce mode de production de la ville contribuent à assombrir l’image de la capitale. Et ce dès les scandales politico-financiers des années 1890, au bénéfice de Milan, un temps considéré comme « capitale morale » du pays et qui n’est pourtant pas épargnée par des processus similaires.

Mais dans ses interstices, la production urbaine s’opère aussi à Rome, comme dans d’autres villes méditerranéennes, par d’autres formes plus « douces ». A travers en particulier une négociation, voire une délégation, entre la Mairie et d’autres acteurs urbains que peuvent être les consortiums d’auto-construction des borgate (voir dossier Rome région) ou encore divers comités d’habitants qui investissent voire créent le cas échéant des espaces publics entérinés ensuite par la puissance publique (zoom 4 - Tiburtino-Prenestino).

Zooms d'études


Le centre historique : la ceinture aurélienne


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Le centre historique, que l’image embrasse du Cirque Maxime et du Colisée au Sud jusqu’à la place du Peuple et à la villa Borghese au Nord, et de la colline du Janicule à l’Ouest jusqu’au quartiers proches de la gare, créés après l’unification, recoupe le Municipio 1 (centre aurélien et quartiers nord : Prati, Flaminio…).

S’il ne compte que 180.000 habitants, soit 6 % de la population communale, il reste le cœur du pouvoir, tant national que catholique. Inscrit à l’Unesco en 1980, il présente une richesse patrimoniale hors du commun, même pour l’Italie.

Les sept collines, le Tibre et les lieux du pouvoir

J’ai eu connaissance des affaires de Rome longtemps avant que je l’aie de ceux de ma maison : je savais le Capitole et son plan avant que je susse le Louvre, et le Tibre avant la Seine, Montaigne cité par Djament-Tran, p 27

Le Tibre est bien visible sur ce cliché. Pourtant si Paris est indissociable de la Seine, le rapport de Rome au fleuve est plus complexe. La ville médiévale et moderne s’y appuyait. Mais depuis deux siècles, elle s’en est séparée du fait de l’aménagement des quais – lungo tevere sous Napoléon puis muraglioni - construits dans le but de limiter les inondations : celle de 1870, dévastatrice, se produisit l’année de l’annexion ; la dernière en  2012.

On devine aussi, plus ou moins, les fameuses sept collines, maintes fois remaniées au fil de l’histoire. Le Capitole, site des premiers temples, réinvesti au XIIe siècle par le pouvoir municipal dont il est toujours le siège, et le Palatin, site du sillon de Romulus, le pomerius (ensuite notablement étendu) puis des palais impériaux, sont aisément repérables. Le mont Caelius situé et l’Aventin, en partie encore couvert de couvents et jardins mais aussi quartiers aisés, sont eux aussi bien visibles dans la partie sud du cliché.

C’est moins vrai à l’Est pour les collines de l’Esquilin, du Viminal et du Quirinal. Le « trident » dominé par la place du Peuple, dont les bases sont établies à la Renaissance, a permis à la Rome baroque de Sixte Quint (1585-90) de se projeter vers eux : le Palais du Quirinal, successivement pontifical puis royal, est aujourd’hui le siège de la Présidence de la République. Le cœur du système politique italien est situé dans l’ancien Champ de Mars, au palais de Montecitorio qui abrite le Parlement, et au Palais Madame qui abrite le Sénat. Le chef du gouvernement siège au Palais Chiggi sur le Corso.

Le Vatican, un micro-Etat de 0,44 km²

Parmi les lieux de pouvoir, il faut aussi compter (image générale) avec l’Etat du Vatican, car Rome reste une ville partagée entre l’Etat italien et l’Eglise. Il est l’héritier du borgo construit autour de la Basilique Saint-Pierre (333), siège du pouvoir pontifical après Saint-Jean de Latran, situé à l’opposé. Le Vatican - dans sa configuration issue de l’Unité et précisée lors des Accords du Latran (1929) - est devenu en quelque sorte une enclave urbaine ; sans pour autant que sa centralité mondiale - et les enjeux de pouvoir connexe - soit amoindrie.

Avec une frontière longue de 3,5 km qui est invisible quand elle passe par la colonnade du Bernin, ce micro-Etat de 0,44 km2 ne reprend qu’une infime partie des Etats pontificaux, qui allaient du Latium à l’Emilie-Romagne actuels. Il est doté d’une gare qui sert de point d’arrivée aux croisiéristes de Civitavecchia (dossier Rome et sa région). Au-delà cependant, de nombreux immeubles dans la ville bénéficient du statut d’extra-territorialité.

La nouvelle Rome et les héritages antiques

La croissance démographique très rapide que connait Rome après l’unité, avec l’arrivée d’une immigration piémontaise liée à l’administration de la Maison de Savoie, puis d’Italie centrale et méridionale, se traduit par des réaménagements de l’hyper-centre. Ils sont d’abord limités, si on les compare à ceux de Paris ou même de Naples à la même époque : le corso Vittorio Emmanuele (PRG de 1883) est inauguré au début du XXe siècle dans le prolongement de la Via Nazionale.

Le fascisme - qui ambitionne de faire de la capitale d’Italie une « troisième Rome » après « celle des empereurs et des papes » - impose en revanche au centre le double enjeu de la « grandeur », Mussolini installe son gouvernement Place de Venise, et de la « nécessité » (circulation, logement, équipements). Pour ce faire, il le restructure, voire l’éventre : isolement du Capitole, dégagement de la zone archéologique cependant entamé dès Napoléon, destruction du borgo devant Saint-Pierre pour percer la Via de la Conciliation, au prix de la déportation en périphérie des habitants des immeubles démolis (cf dossier Rome région)… La Via dei Fori Imperiali devient un axe de circulation incontournable, même si elle est aujourd’hui piétonne le dimanche. Si nombre de ces aménagements sont intrinsèquement contestables – la Via dei Fori  recouvre en large part ces derniers -, l’arrivée des autobus au pied même du Colisée, ou la brusque découverte de l’énorme masse de ce dernier  à la sortie du métro, font  sans aucun doute  partie  de la théâtralité toujours renouvelée de la Ville éternelle.

Grands équipements, grands événements…

Cet espace central - dédale de rues et places invitant à la flânerie, tant célébré par l’art, la littérature et le cinéma - est pris dans une tension entre des dynamiques complémentaires à certains égards, mais qui mettent en cause la pérennité de sa vie urbaine.

A l’époque moderne, Rome s’est dotée de grands axes au service des basiliques, sites de pèlerinage, et des processions entre Saint-Jean de Latran et Saint-Pierre. La ville, alors une des plus cosmopolites d’Europe, se transforme en théâtre à ciel ouvert au service de la célébration de la foi catholique, héritage que l’Etat italien va reprendre et transformer. Le centre fonctionne en effet comme le théâtre du pouvoir, avec le cumul de manifestations catholiques  et nationales comme les cinquantenaires de l’Unité – en 1911, 1961, 2011 - partagés avec d’autres grandes villes. Ces deux logiques s’opposent en partie : à Rome comme ailleurs en Italie, la « statuomanie » de la fin du XIXè siècle (Brice, 2010) participe d’un marquage du territoire. Mais il atteint ici le gigantisme avec le Monument à Vittorio-Emmanuele (Altare della Patria), de 70 m de hauteur, inauguré en 1911 au prix déjà de la destruction d’un quartier médiéval. A l’axe catholique s’ajoutent d’autres itinéraires de manifestations, comme lors des funérailles du premier Roi d’Italie en 1878 entre le Quirinal et le Panthéon, la sépulture dans une basilique ayant été refusée par le pape.

Ces rapports entre l’Etat et l’Eglise sont aussi l’objet de collaborations : les Jubilées en particulier sont certes du ressort de la papauté mais aussi de la ville et de l’Etat. Celui de 1925 voit l’aménagement de la gare Termini et l’ouverture des catacombes. Celui de l’an 2000 - préparé par une commission Etat – Commune - Papauté a généré 35 millions de nuitées. Il a été l’occasion d’une vaste transformation urbaine : aménagement de la gare Tiburtina avec l’arrivée de la LGV, prolongement des lignes du métro, rénovation et ouverture de musées. Rome compte 85 institutions culturelles - le record italien - à dominante de musées, fondations et instituts culturels et scientifiques.

Dans le même temps, avec l’urbanisme événementiel des municipalités de centre-gauche Rutelli  et Veltroni des années 1990 et 2000, de grands équipements signés d’archistars apparaissent comme l’auditorium de Renzo Piano en 2002, les musées d’art moderne Maxxi en 2010 ou le Macro, qui surgit de façon incongrue au milieu d’un quartier de bureaux. Ils ont cherché à rompre la réputation d’endormissement culturel et de classicisme souvent accolée à la capitale, dans le cadre d’une compétition internationale toujours plus vive entre métropoles. Le Tibre fait lui aussi l’objet d’une timide mise en valeur (amorce d’une piste cyclable, artialisation…).  

Dans le même temps, diverses initiatives (nuit blanche, etc.) - en partie inspirées de celles des municipalités de gauche des années 1970 (estate romana) - participent là encore d’un modèle en acte dans bien d’autres grandes villes européennes (Berlin, Barcelone, Lisbonne…), qui encourage la transformation du centre historique en zone touristifiée et dévolue à la promenade des romains de la périphérie.

… et muséification

Si elle partage avec Venise ou Florence la pression du tourisme international, Rome reste en effet la principale destination d’Italie. Et selon le site mappa Roma, les appartements offerts sur RBNB  représenteraient  dans le centre l’équivalent des 2/3 du parc occupé par des familles en location ou en propriété, jusqu’à 70 % à Trastevere.  La zone urbanistique centro storico  - le centre médiéval et moderne - a perdu 20 % de ses habitants entre 2012 et 2017 et ne compte plus que 31 000 habitants. Dans le même temps, la multiplication des restaurants et terrasses l’investit toujours davantage. Le mélange de laisser-faire et de mesures dérisoires – comme l’interdiction de manger dans les sites patrimoniaux, édictée par le maire de droite Alemano, ou la taxe de séjour de 3,50 € imposée à RBNB ou Booking par la municipalité Raggi 5 stelle en 2018 - participe, ici comme ailleurs, de la marchandisation de la Ville éternelle.


Ostiense et Testaccio, ou la Rome péricentrale « branchée »


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Si Rome manque de logements populaires, les logements sociaux y sont tout de même une réalité, parfois spectaculaire comme le célèbre Corviale, un immeuble d’un kilomètre de long dans la périphérie Sud-Ouest (voir Dossier Rome région). De même, il faut nuancer le vieux cliché « capitale politique vs. capitale productive » opposant Rome et Milan, car la capitale a elle aussi connu dans l’après-guerre un développement productif (voir Dossier Rome région). Sur ces deux plans, les deux quartiers péricentraux montrés par le cliché - Testaccio et Ostiense - aujourd’hui touchés par des processus de gentrification, témoignent de la présence, dès la période unitaire, de visions alternatives du développement de la capitale, tôt avortées.

Un quartier ouvrier…

Testaccio, quartier ouvrier de 40 ilots géométriques, fut construit à la fin du XIXe siècle à la suite du premier PRG dans le but de doter la capitale d’une activité commerciale et industrielle autour du fleuve. Ce projet était en continuité avec les héritages pontificaux (port de Ripa grande) et antiques - l’emporium où arrivaient les marchandises remontées par le fleuve à partir d’Ostie et du port de Trajan (voir Dossier Rome-région). Et dont témoigne l’étonnante butte de Testaccio : 52 mètres de haut de débris d’amphores, aux pourtours aujourd’hui ponctués de bars et  locali. Le projet industrialo-portuaire se poursuivait de l’autre côté des murs auréliens et de la voie ferrée dans le quartier d’Ostiense (Marchés généraux), mais il sera abandonné avec l’arrêt de la navigation sur le Tibre dès les années 1940.

… en gentrification

Témoin de cette époque, la centrale thermique Montemartini a été réutilisée lors du Jubilée de l’an 2000 pour abriter un musée annexe du Capitole. La présence de l’Université Roma 3, ainsi que différentes expériences d’art urbain « alternatif », contribuent elles aussi à l’évolution rapide de ces quartiers. A l’instar d’autres quartiers péricentraux comme Garbatella au sud du cliché, ou encore San Lorenzo et Pigneto (zoom 4)… Sans pour autant qu’ils fassent l’objet d’un projet urbain suivi, même si Ostiense est une « centralité » du Plan régulateur de Rome de 2008.


La cité jardin  de Monte Sacro

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L’expansion urbaine post-unitaire se fait sur un territoire alors quasi-vide d’habitants. En effet, dans un rayon d’une trentaine de km autour de la ville, les anciens villages ont fait place au Moyen-Age aux latifundi de l’aristocratie pontificale romaine (Colonna, Orsini, etc.). Ces territoires sous-peuplés sont eux aussi rapidement investis par la croissance immobilière post-unitaire.

Héritage d’une expérience urbanistique différente de celle de Testaccio car  tournée cette fois vers les classes moyennes, mais qui témoigne aussi de la densification du bâti permise par les plans régulateurs de 1931 et 1962, le quartier de Monte Sacro  fut créé dans les années 1920 sur une colline dominant l’Aniene, un affluent du Tibre.

D’une cité jardin…

La Città-giardino Aniene avec ses  rues épousant les pentes du Mont, ses villini de deux ou trois étages (500 pour 3.000 appartements initialement), inspiré des cités jardins anglaises, est bâtie par un consortium formé entre l’Istituto per le Case Popolari (ICP) et l’Unione Edilizia nazionale dans une zone alors hors du périmètre du PRG. Ce qui permet de disposer de terrains à bas coût, sur le modèle exposé plus haut : le consortium construit, la commune apporte les services et la desserte (pont Tazio et arrivée du tramway). La Place Sempione,  au style néo-médiéval cher aux Italiens du Nord, participe de l’urbanité de ce quartier initialement destiné aux employés des ministères et des Ferrovie dello Stato.

… à une périphérie urbaine banale (ou pas ?)

Déjà au bout de quinze ans, d’autres constructions de l’ICP densifient le quartier au Nord, et rapidement Monte Sacro est rejoint par « une marée de grands collectifs » (Seronde-Babonaux, id, p 136) avec en conséquence la destruction d’une grande partie des villini initiaux. Monte Sacro alto est construit à partir des années 1960. Le quartier, aujourd’hui desservi par le métro B, commencée dans les années 1960,  compte  60.000 habitants.

La réserve naturelle de l’Aniene - autre héritage du projet initial de cité-jardin - est l’une de la vingtaine de réserves naturelles que compte l’immense territoire de la commune de Rome ; dont les deux tiers font l’objet, en théorie tout au moins, d’une protection. Surplombée par l’antique pont Nomentano, méconnu des touristes comme des Romains, elle reste peu accessible au public pour l’heure. Mais elle pourrait, comme tant d’autres sites négligés de la périphérie romaine, devenir un poumon vert et un instrument de requalification urbaine si elle faisait l’objet d’une valorisation. Ce que le Municipio III, mairie d’arrondissement dotée de peu de pouvoir, n’a guère les moyens de faire. Le site, de 620 ha., qui s’étire jusqu’au Grand raccord annulaire, est géré par l’organisme régional Roma Natura.


Tiburtina-Prenestina, le fantôme de l’axe directionnel oriental


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Cette zone est exemplaire de la complexité de la jonction entre la Rome pré-unitaire et contemporaine et des incohérences de l’urbanisme romain.

Côté centre, la Rome palimpseste

On relève à nouveau l’imbrication entre la Rome antique – la muraille aurélienne, la basilique San Lorenzo-hors les murs à l’entrée du cimetière du Verano -, et celle des décennies qui suivent l’Unité, elle-même complexe socialement. La place Vittorio-Emanuele et le quartier de la gare Termini sont d’abord destinés à la moyenne bourgeoisie – l’emploi administratif, se répartit entre le centre historique autour du Corso et les quartiers Esquilino, Ludovisi et ici Castro Pretorio.

Mais ils voient aussi se développer dans les années 1980 un quartier commercial d’immigration, même si sur le plan résidentiel, la présence des immigrés est plus diffuse  car elle est très liée aux emplois du care : ainsi, le municipio 1 (centre historique) devance nettement  le municipio 2 visualisé ici (respectivement 22,7 % et 12,7 % de la population). Ce quartier  de gare a aussi vu s’épanouir dans les dernières décennies la fonction hôtelière et les résidences touristiques. De l’autre côté de la muraille aurélienne, l’ex-quartier ouvrier de San Lorenzo est gentrifié. Ce à quoi a contribué la proximité de services métropolitains comme l’Université La Sapienza, la plus grande université italienne, l’hôpital du Policlinico et la Bibliothèque nationale de Castro Pretorio.

Du plan régulateur de 1962…

Coté périphérie, de l’autre côté du cimetière du Verano et de la ceinture ferroviaire qui relie les gares Tiburtina et Termini, on remarque le long des voies consulaires Tiburtina et Prenestina un ensemble urbain hétéroclite mêlant les grands ensembles immobiliers très denses des années 1960 et 1970, et des ensembles résidentiels moins hauts (palazzini ) voire de véritables friches urbaines, restes de la campagne romaine entre les voies consulaires.  

Ici devait surgir un pôle directionnel, partie d’un « Axe directionnel oriental » prévu par le PRG de 1962 dans le but de soulager le centre historique. Il devait fonctionner en liaison avec le quartier de l’EUR au Sud de la ville, planifié quant à lui sous le fascisme et réalisé dans les années 1950. Mais contrairement à ce dernier, qui a connu un développement tardif mais effectif, l’axe directionnel oriental ne fut jamais réalisé.

… aux centralités périphériques du plan régulateur de 2008 et à la ville négociée

Le PRG de 2008 lui préfère le concept d’une quinzaine de « centralités périphériques » aux carrefours des grands axes. Le quartier de Pietralata qui entoure la gare Tiburtina est l’une d’elles, dont l’attractivité est renforcée par l’arrivée contemporaine du métro jusqu’à Quintiliani, censé devenir son cœur. Là encore un rôle important est dévolu à l’université – La Sapienza cette fois - et à différents organismes publics comme l’Institut national de statistique (Istat). Mais la station Quintiliani reste fermée pendant six ans, puis ouvre au milieu de ce qui reste un terrain vague. La réalisation du nouveau siège de l’Istat après bien des péripéties, a été annoncée en 2019 (coût prévu : 90 millions d’euros). La centralité verra-t-elle le jour 60 ans après le projet initial ?

Pour l’heure, plus que par ces évolutions planifiées, cette zone péricentrale est aussi marquée par celles « bricolées » et négociées entre la Commune et différents city makers, qui est un aspect notable de la fabrique urbaine à Rome. Un bon exemple en est offert par le Parc des énergies, situé à l’entrée du quartier du Pigneto, quartier autrefois populaire  célébré par Pasolini et aujourd’hui lui aussi en partie gentrifié.

Il est situé sur une friche - l’ex-usine Snia-Viscosa - sur laquelle était initialement prévue la construction d’un centre commercial. Après le surgissement inattendu d’un étang lors des premiers travaux, un jardin autogéré a été occupé et aménagé par les riverains et divers comités d’artistes et de militants, et le projet initial a été abandonné (Baudry, Saadia, 2019). On retrouve ce type d’allocation de la gestion des espaces publics à des communautés de quartiers sous de nombreuses formes dans les périphéries romaines, y compris dans certains quartiers de logement social comme Tiburtina III (hors champs, plus à l’Est).


D’un grand stade à un autre, la course aux marqueurs métropolitains


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Le  Stadio olimpico de 73.000 places fut construit à partir des années 1930  par le régime fasciste au cœur de la vaste zone sportive, à environ 2 km du Stadio Flaminio - ex stade du Parti national fasciste - lui aussi bâti par Mussolini et disposant déjà de 31.000 places. Ouvert en 1953, il fut un des  atouts de l’Italie pour la candidature de Rome aux Jeux Olympiques de 1960.  Il a été rénové pour la Coupe du monde de football de 1990, et est le siège des deux équipes de football antagonistes, la Lazio et la Roma.

Le projet d’un nouveau stade concurrent, qui serait situé dans la partie sud de l’agglomération, à Magliana au sud de l’EUR - porté par l’AS Roma dès les années 1990  et relancé en pleine crise politique et financière - a suscité récemment de nombreuses polémiques au sein de la municipalité 5 stelle. Cette zone Nord accueille aussi les équipements culturels du Grand auditorium (2002) et du Maxxi (2010).

Ressources complémentaires

Bibliographie
BAUDRY S., SAADIA S., « Quels patrimoines collectifs à Rome ? Les cas du Parco delle energie et d’Ostiense, dans PELUS-KAPLAN  M-L., RIVIERE D. (dir), 2019, p 93-120
BRICE C., 2010, Monarchie et identité nationale en Italie (1861-1900), Paris, éditions EHESS
BRICE C, 2007, Histoire de Rome et des Romains, de Napoléon 1er à nos jours, Paris, Perrin

DELPIROU A., MOURLANE S., « Le stade olympique de Rome : entre vitrine politique et levier d’aménagement urbain », Métropolitiques, 27 juin 2016. URL : https://www.metropolitiques.eu/Le-stade-olympique-de-Rome-entre.html
DJAMENT-TRAN G., 2011, Rome éternelle, les métamorphoses de la capitale, Paris, Belin
INSOLERA I. 1962, rééd 2011, Roma moderna, un secolo di storia urbanistica, Turin, Einaudi

NESSI H., DELPIROU A., 2009, « Les politiques de « développement urbain durable » face aux héritages territoriaux. Regards romains sur la coordination transport/urbanisme », Flux, 1 (n° 75), pages 69 à 79

PELUS-KAPLAN  M-L., RIVIERE D. (dir), 2019, De Rome à Lûbeck et Dantzig, politiques et processus de patrimonialisation dans les villes historiques d’Europe de 1945 à nos jours, Paris, Inalco Presses, 147 p,  ISBN 978-2-85831-323-5

SERONDE-BABONNAUX A-M., 1980 Rome, croissance d'une capitale, Paris, EDISUD

Sitographie

Le site de la municipalité de Rome

Le site de Mappa Roma, le mappe delle disuguaglianze, Université Roma 3 

Contributeur

Dominique Rivière, Professeure des Universités, Université de Paris

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