Canada - Churchill : un isolat surbarctique sur les bords de la Baie d’Hudson

Churchill (ᑯᒡᔪᐊᖅ, Kuugjuaq) est une toute petite ville du nord de l’Etat fédéré du Manitoba, au Canada. Elle est située sur la bordure sud-ouest de l’immense Baie d’Hudson sur la rivière Churchill qui se jette dans la baie. Très peu peuplée, avec moins de 1.000 habitants, elle compte l’un des rares ports en eau profonde du passage du Nord-Ouest, passage navigable de l’Arctique canadien. Face à de très fortes contraintes naturelles et très dépendante de ses fonctions logistiques, la ville est à la recherche de nouveaux leviers de développement comme le tourisme.

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Légende de l'image

Images satellite de l’embouchure de la Churchill et de la ville de Churchill, en bordure de la baie d’Hudson, prise le 23 septembre 2018. 

Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2018, tous droits réservés.

L'image ci-contre indique quelques repères géographiques de l'image générale

Présentation de l'image globale

Churchill (ᑯᒡᔪᐊᖅ, Kuugjuaq) et la Baie d’Hudson

Un site exceptionnel dans le sud-ouest de la Baie d’Hudson à la jonction de trois grands biomes

L’image est centrée sur la côte sud-ouest de la Baie d’Hudson, dans l’Arctique canadien à 58°46’ de latitude nord. On distingue venant du sud la rivière Churchill qui se jette dans la baie, qui est également connue par les populations autochtones Cris comme la Missinippi (« grande rivière »). Longue de 1 600 km, la Churchill draine un bassin hydrographique de 283 000 km2, soit l’équivalent de la moitié de la surface de la France métropolitaine, après avoir pris sa source dans l’Etat fédéré du Saskatchewan à seulement 421 m d’altitude. Mais le développement des grands projets hydroélectriques lancés par Hydro-Manitoba a fait tomber son débit annuel moyen à Churchill de 1 200 m3/seconde à 510 m3/s. En effet, environ 60 % de ses volumes sont détournés depuis 1977 vers le grand complexe du fleuve Nelson qui se trouve 150 km plus au sud (hors image). On retrouve dans cette partie occidentale des rivages de la Baie d’Hudson le pendant des grands travaux réalisés par Hydro-Québec dans la partie orientale de la Baie James (complexe de La Grande Rivière-Radisson).

L’espace qui se déploie sur l’image se situe au croisement de trois principaux biomes. Premièrement, au nord se trouve la Baie d’Hudson dont les eaux couvrent une immense surface de 822 324 km2. Cette immense baie intérieure, de seulement 125 m. de profondeur en moyenne, se déploie sur 960 km d’ouest en est et sur 1 390 km du nord au sud. Par l’étroit Hudson Strait, au nord-est, elle se rattache à l’Océan glacial arctique.  Deuxièmement, au nord-est de la région se déploie la toundra arctique, caractérisée par un paysage rocailleux et la formation de mousses et lichens quand la glace et la neige fondent de manière saisonnière. Troisièmement, au sud enfin, de retrouve un paysage de taïga, ou forêt boréale, avec peuplements d’épinettes noires cependant très clairsemés car nous sommes là aux limites septentrionales.

La région se situe sur le bouclier canadien. Celui-ci représente environ 50 % de la masse terrestre du Canada et recouvre l’archipel Arctique, la quasi-totalité du Québec, remontant ensuite jusqu’au Nunavut et au Territoire du Nord-Ouest. Ce milieu spécifique représente aujourd’hui un important potentiel de ressources, notamment pour les forêts de conifères et l’installation de barrages hydroélectriques.

Un milieu subarctique : thermokarst, pergélisol et grande faune sauvage

On remarque sur l’image des petites étendues d’eau à proximité de la côte. Il s’agit de lacs de thermokarst, apparus en raison de la fonte du pergélisol. Le pergélisol - ou permafrost - est un sol gelé en permanence, depuis au moins plusieurs dizaines d’années. Quand la température moyenne annuelle du sol est inférieure à 0°C, le permafrost se forme, parfois sur plusieurs kilomètres de profondeur. Mais quand cette température moyenne annuelle augmente et dépasse le point de congélation, la glace contenue dans la couche supérieure du pergélisol – soit « la couche active » - fond. Cela entraîne la formation de ces petits lacs de thermokarst, qui regèlent durant l’hiver, et posent alors de vrais problèmes d’érosion, surtout quand la couche active est épaisse.

L’image a été saisie au mois de septembre, ce qui explique l’absence de glace. On peut cependant observer qu’elle commence à se former notamment à l’est de la ville, mais aussi le long de la ligne de côte (cf. couleur blanche à l’est). La baie d’Hudson est en effet intégralement gelée de manière saisonnière durant l’hiver. La glace commence à se reformer vers la fin septembre pour ne fondre qu’à la fin mai.

Bien que la ville soit à la même latitude que des villes comme Aberdeen (Ecosse) ou Stockholm (Suède),   Churchill a un climat subarctique, c’est à dire caractérisé par des étés courts et frais notamment, avec moins de quatre mois ayant une température moyenne supérieure à 10°C. La température annuelle moyenne est négative (- 6,9°C). Si les températures montent à 7°C en juillet et aout, le gel s’installe de novembre à mai, avec des températures hivernales basses (-26,8°C en décembre, - 30,7°C en janvier et – 29°C en février). On y a relevé des records de froids de -45,4° en moyenne mensuelle en février 1979. Les 432 mm de précipitations annuelles s’y traduisent par d’abondantes chutes de neige.

L’image souligne enfin remarquablement les mouvements des sédiments le long de la côte comme en témoignent les différentes couleurs des eaux qui varient du bleu au brun profond. La plume – c’est à dire la masse d’eau provenant de la rivière et qui se jette dans la baie - est d’ailleurs particulièrement visible.

Ce site d’estuaire, combiné à la présence de glace saisonnière, rend l’habitat particulièrement favorable aux bélugas, mammifère marin notamment reconnaissable par sa couleur blanche et que l’on peut observer chaque été à Churchill. Les ours polaires sont également très nombreux, la glace saisonnière étant pour eux un habitat favorable. La présence de cette grande faune sauvage est d’ailleurs un des principaux arguments du développement touristique de la ville. Le potentiel est complété par le Parc National Wapusk, qui s’étend au sud-est jusqu’à Port Nelson et au nord-ouest parle Parc provincial de la Rivière Caribou aux limites entre le Manitoba et le Nunavut.

Churchill : un ancien et important poste dans la traite des fourrures

L’histoire de la baie d’Hudson est riche et ancienne. On y retrouve des traces d’occupation humaine remontant environ à l’an 1 000, et la ville est fondée sur les territoires traditionnels des Dénés et des Cris. Les Européens y arrivent relativement tôt, et c’est l’explorateur Jens Munk qui est le premier à se rendre dans la région en 1619. La première installation permanente date de 1717, lorsque la Compagnie de la Baie d’Hudson établit un comptoir pour la traite des fourrures et la chasse à la baleine. Les populations autochtones étaient nomades et vivaient de la chasse au caribou notamment, se déplaçant alors en suivant les troupeaux qui migraient plus au sud pendant l’hiver. Le comptoir commercial, un fort de bois, est transformé en 1741 en un fort de pierre, puis pris en 1782 par Lapérouse lors de son expédition de la Baie d’Hudson dans le cadre des rivalités anglo-françaises.

Ce poste de traite insérant la région dans la première mondialisation était devenu un point important pour les populations autochtones qui venaient échanger les fourrures contre des armes et des denrées alimentaires. Le fort a été rasé puis restauré et on peut en distinguer les contours sur l’image, à l’ouest de l’embouchure de la rivière près de l’Eskimo Point, témoin du passé commercial de la ville. Le quartier général des activités de la Compagnie était situé à quelques kilomètres au nord-ouest de Churchill alors que la York Factory se trouvait à l’embouchure du fleuve Nelson.

Churchill : un important débouché maritime drainant un large hinterland continental

Le déclin du commerce de la fourrure au XIXème siècle entraîne aussi le déclin progressif de la ville. Mais tout bascule pendant la Première Guerre mondiale lorsque les autorités décident d’y établir le seul port en eaux profondes sur la Baie James et donc les rivages de l’Océan glacial arctique.

Celui-ci est relié par le chemin de fer de la Baie d’Hudson à la ville de Le Pas qui se trouve 1 300 km au sud-ouest dans le Manitoba. D’orientation nord/sud entre Churchill et Weir River,  il s’oriente ensuite vers le sud-ouest en empruntant le couloir de la Nelson River pour drainer ensuite tout le nord de l’Etat du Manitoba et l’est de l’Etat du Saskatchewan dans les Grandes Plaines. D’importance nationale, il facilite le transport de marchandises, notamment l’exportation des céréales des Grandes Plaines. Il s’agit donc du principal port arctique canadien, et du seul port de la façade nord à être connecté au réseau ferroviaire nord-américain. On peut distinguer sur l’image la voie ferrée, à proximité du port, et qui descend ensuite vers le sud, le long de la rivière.

D’une base militaire étatsunienne aux études scientifiques sur l’Arctique

Le développement de la ville a aussi été porté par les fonctions militaires, comme dans de nombreuses localités de l’Arctique nord-américain. Entre 1942 et 1960, soit durant la Deuxième Guerre mondiale puis le début de la Guerre Froide, les États-Unis y établissent une base aérienne à huit kilomètres à l’est de Churchill. Puis de 1956 à 1984, le Churchill Rocket Research Range, situé à 23 km à l’est de la ville et conjointement développé par les Etats-Unis et le Canada, s’est spécialisé dans le lancement de petites fusées pour l’étude de l’atmosphère des hautes latitudes. Enfin, le site accueille depuis 1976 le Churchill Nothern Studies Centre qui mène des recherches scientifiques sur les écosystèmes, le climat et la faune arctiques. 

La base militaire pour sa part a ensuite été reconvertie en un aéroport civil qui permet de relier la ville à quelques destinations au Canada et à Winnipeg, la capitale provinciale du Manitoba, localisée environ 1 000 km au sud. On le distingue bien sur l’image à quelques kilomètres à l’est de la ville.

Zoom d'étude

Churchill, entre fonctions logistiques et développement touristique

Comme le montre l’image, la ville de Churchill s’est développée sur la pointe en rive gauche de l’estuaire de la Churchill  dans une zone insumbmersible à 29 m. d’altitude. Plus à l’est se remarquent différentes installations, en particulier les pistes de l’aéroport. Nous sommes ici dans un veritable bout du monde. Vers l’est, une route est parallèle au rivage sur quelques dizaines de kilometres avant de s’orienter au sud pour s’achever vers un lac.  Mais le veritable axe de communication vient du sud, avec en particulier le tracé de la voie ferrée, veritable cordon ombilical reliant cette toute petite ville arctique au sud du Canada. Dans cet espace désertique marqué par les trés fortes contraintes du froid et de l’éloignement,  la ville ne compte que 900 habitants en 2016, contre 1 300 habitants en 1981 (- 31 %). Ce déclin démographique témoigne de la précarité de sa situation économique et de la forte dépendance local envers les cycles (logistique, tourisme…).

Un lourd passé colonial : sédentarisation et assimilation forcées

Comme le montre l’image, on ne note qu’un seul établissement de population de taille modeste à l’embouchure de la rivière. Avant l’arrivée des Européens, la population autochtone était nomade et vivait de la chasse, au rythme de la migration des caribous. Quand la Couronne britannique a commencé à céder des territoires à la Compagnie de la Baie d’Hudson afin d’établir des postes commerciaux, la Compagnie a développé des relations commerciales avec les populations autochtones, et notamment les Dénés et les Cris. Mais si les Cris sont devenus sédentaires, les Dénés ont conservé leur mode de vie nomade, ne se rendant au poste de traite que pour échanger des fourrures contre des armes et des denrées.

En 1956, les Dénés ont été relocalisé de force dans la municipalité de Churchill dans le cadre d’une politique d’« assimilation » menée par le gouvernement canadien. Sans préparation ni infrastructure d’accueil, les conséquences ont été dramatiques pour cette population. Dans un contexte géopolitique nouveau porté par la montée des revendications des populations autochtones ces dernières décennies,  le gouvernement fédéral leur a présenté en 2016 des excuses officielles.

Une ville face à la crise  des fonctions logistiques  liée aux contraintes du milieu

Les infrastructures portuaires et ferroviaires connaissent dans la région des difficultés majeures. A la fin des années 1970 alors que le port était à son apogée, environ 700 000 tonnes de céréales étaient exportées annuellement par la Compagnie canadienne du blé, à partir du port de Churchill. Le gouvernement du Canada était propriétaire du Port depuis sa construction, ainsi que des 830 km de chemin de fer qui reliaient la ville à la municipalité de Le Pas, au Sud.

Comme on peut le voir sur l’image, la voie ferrée passe dans une zone de pergélisol instable : les inondations et affaissement de terrain sont courantes, ce qui implique des coûts d’entretien très importants. Le Gouvernement a alors décidé de privatiser et de céder le port et la voie ferroviaire à la compagnie américaine Omnitrax en 1997, pour un prix symbolique. Le port demeurait dynamique grâce aux exportations de la Compagnie Canadienne du Blé. Mais en 2012, le gouvernement du Canada la démantèle et les grands exportateurs se sont alors tourné vers des canaux d’exportation plus facilement accessibles comme Vancouver à l’ouest sur le Pacifique ou le Saint-Laurent à l’est vers l’Atlantique. Les exportations transitant par le port de Churchill ont alors drastiquement chuté, pour passer sous la barre des 200 000 tonnes. À cela s’ajoutent les difficultés rencontrées par la compagnie pour faire face aux inondations, qui la conduisent en 2017, suite à des inondations majeures, à cesser toute activité ferroviaire et portuaire.

Les populations locales ont subi de plein fouet cet arrêt des activités, dans la mesure où l’approvisionnement se faisait désormais exclusivement par cargo aérien, entraînant ainsi une augmentation significative des prix. En août 2018, le port et la voie ferroviaire sont rachetés par l’Arctic Gateway Group, dans le cadre d’un partenariat public privé, impliquant les Premières Nations et les communautés du Manitoba. Après plus de 18 mois de travaux, les premiers trains de marchandises ont pu faire leur retour à Churchill. Le trafic portuaire demeure lui encore limité, depuis notamment le démantèlement de la Compagnie canadienne du grain. Une première expédiions de grain a été annoncée en septembre 2019, signifiant une reprise lente du trafic sous la direction de l’Arctic Gateway Group. 

Un potentiel touristique intéressant

Grâce à sa situation en bordure de la baie d’Hudson et le long de la rivière Churchill, la ville constitue, comme nous l’avons vu, un milieu favorable pour plusieurs espèces, notamment les bélugas et les ours polaires. La ville se targue d’ailleurs d’être la « capitale de l’ours polaire ». Ils sont en effet très nombreux lorsque la glace se retire de la baie et les habitants ont pour habitude de laisser les portes de voiture ouvertes pour pouvoir s’y réfugier en cas de rencontre avec un ours. D’importantes actions de sensibilisation ont été menées par le gouvernement avec la population locale pour essayer de limiter les risques liés à cette cohabitation et les attaques sont désormais très rares. L’observation d’ours polaire représente un important potentiel touristique et plusieurs entreprises d’excursions ont ainsi vu le jour dans la petite ville.

La présence de la rivière Churchill est également favorable à la présence saisonnière de bélugas. Le potentiel touristique est là également avec plusieurs entreprises qui proposent des excursions de plongée ou de kayak avec ces grands mammifères marins. Enfin, bien que située sous le cercle polaire, la ville est tout de même localisée à une latitude suffisamment septentrionale pour que des aurores boréales soient visibles en hiver.


Zoom présentant la ville de Churchill  située au bord de la baie d'Hudson à l'embouchure de la rivière Churchill.







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L'image ci-dessus indique quelques repères géographiques de la région de Churchill.

Ressources complémentaires

Pour en savoir plus sur les relocalisations forcées : Laugrand, F. B., Oosten, J. G. & Bilgen-Reinart, Ü. (2011). La « relocalisation » des Dènès sayisis et des Ahiarmiuts dans les années 1950 : au-delà des blessures ouvertes, la résilience des chasseurs de caribou. Recherches amérindiennes au Québec, 41 (2-3),99–116.

Sur le site Géoconfluences

Farid Benhammou et Rémy Marion, « Arctique : Les dessous géopolitiques de la protection de l'ours polaire », Géoconfluences, mars 2017.

Sur le site Géoimage


Canada. Iqaluit : au cœur de l’Arctique canadien, entré enjux géopolitiques et changements climatiques

Canada. La Grande - Baie James : un des plus grands complexes hydroélectriques au monde dans les hautes latitudes froides.



Contributeur

Pauline Pic, agrégée de géographie, doctorante à l’Université Laval (Québec, Canada)