Etats-Unis - Atlanta : les métamorphoses de la métropole du Sud-Est des États-Unis insérée dans la mondialisation culturelle

« You never been to Atlanta ». Cette antienne reprise par Young Thug et Migos, deux stars de la trap d'Atlanta, style musical mondialisé, dans leur titre New Atlanta résume assez bien les représentations contradictoires qui scandent la géographie de cette ville emblématique du Sud-Est des États-Unis. Principale aire urbaine de Géorgie, dont elle est aussi la capitale, Atlanta figure parmi les dix premières métropoles des États-Unis et joue un rôle régional essentiel, économiquement et politiquement. Elle jouit d’un rayonnement mondial, grâce aux grandes institutions (CDCP) et aux sièges sociaux (Coca Cola, CNN, Delta Airlines, UPS...) qu’elle héberge, à son ancien statut de « ville olympique » mais aussi du fait du soft power que représente la musique rap, dont elle est peu à peu devenue la nouvelle capitale. Ainsi, du fait de son histoire singulière et sa place dans l’imaginaire américain, Atlanta est un lieu idéal pour une géographie de ce que l’écrivain Daniel Mendelsohn appelle « la tension entre le vécu et le relaté».

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Légende de l’image

Cette image d'Atlanta, capitale de l'État de Géorgie, aux États-Unis a été prise le 1er janvier 2020 par un satellite Sentinel-2B. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution à 10m.

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Repères géographiques

Présentation de l’image globale

Atlanta, les métamorphoses de la grande métropole
du Sud-Est des États-Unis

Les héritages d’une ville-carrefour du « Vieux Sud »

Nous sommes ici tout au sud des Appalaches, sur la zone de contact entre le massif montagneux, le piémont des Blue Ridge et la plaine côtière. Atlanta, située à 320 mètres d'altitude domine le seuil, et donc le carrefour, entre le bassin du Mississippi à l’ouest et la côte Atlantique à l’est. Le climat subtropical humide de la Géorgie est légèrement dégradé par l'altitude de la ville. Il produit néanmoins une végétation assez dense, observable sur l'image, grâce à une température moyenne de 17 degrés C° sur l'année.

Le site d'Atlanta est originellement peuplé par les tribus Cherokee et Creeks, puis la région est envahie par les Anglais au XVIIè siècle. Le nom de Géorgie provient d'ailleurs de Georges II, le monarque anglais. Atlanta, dès son édification, se définit comme un croisement, le site de la ville étant établi au confluent des rivières Chattahoochee et Peachtree Creek. En 1837, ce carrefour est renforcé par la confluence de deux lignes ferroviaires majeures : Western & Atlantic Railroad et Georgia Railroad. Elle est d'ailleurs originellement appelée Lot N°77 puis Terminus. La ville adopte ensuite le nom de Marthasville, en référence à la fille du gouverneur, avant de prendre définitivement en 1848 le nom d'Atlanta, en relation avec la compagnie ferroviaire Western & Atlantic. Atlanta s’inscrit dans le « Vieux Sud » des économies de plantations et de l’esclavage, entre l’Alabama à l’ouest et la Caroline du Sud à l’est. Au cœur de la confédération sudiste, la ville est complètement détruite en 1864 par le général Sherman durant la Guerre de Sécession. Rebâtie, elle devient, quelques années plus tard, la capitale de l'État de Géorgie en 1868.

La trajectoire spécifique d’une grande métropole régionale, puis nationale et mondiale

Atlanta est un territoire qui a connu depuis les décennies 1970/1980 de profonds changements démographiques, économiques, culturels et urbains qui en font aujourd’hui la capitale incontestée du Sud. Son développement est en effet relativement récent, puisque la métropole n'obtient son premier million d'habitants qu'à la fin des années 1950. Il est étroitement associé à une trajectoire spécifique qui doit beaucoup aux grands conflits géopolitiques qui traversent le Sud des États-Unis dans l’après-seconde-guerre-mondiale, qui firent d’Atlanta, ville de Martin Luther King, l’épicentre du combat pour les droits civiques, et aux choix politiques de modernité et d’ouverture portés par ses élites locales et régionales.

Comme le souligne en effet le géographe Gérard Dorel dans la Géographie Universelle (1992, p. 184) : « Si Atlanta l’a emporté (face à sa voisine Birmingham qui pesait d’un poids équivalent), c’est probablement parce qu’elle sut mieux que sa rivale s’engager délibérément dans une politique d’équipement et d’ouverture. Ses décideurs se sont mieux organisés pour créer une atmosphère de paix et d’intégration raciales au moment même où l’Alabama et Birmingham menaient, avec le gouverneur Wallace, un combat contre les champions des droits civiques. Ces derniers, entraînés par Martin Luther King, purent développer leur mouvement à Atlanta, en s’appuyant sur les remarquables universités dont la ville est si fière aujourd’hui. Andrew Young, dans le sillage du prestigieux pasteur assassiné en 1968, s’est imposé comme une figure politique nationale en devenant ambassadeur des États-Unis aux Nations unies sous la présidence Carter, avant de revenir s’occuper de sa ville, dont il est devenu maire. Cette ville a vu s’épanouir une génération de Noirs occupant des postes de cadres qu’offraient un grand nombre de firmes venues du Nord ou de l’Ouest ».     

Historiquement Atlanta est donc un des bastions de la communauté noire. C'est dans cette ville que Martin Luther King et les étudiants impliqués dans le mouvement des droits civiques connaissent une résonance majeure. King fait ses études au Morehouse College, université pour hommes. Après l'abolition de la ségrégation, plusieurs grandes universités noires se développent dans cette ville. Atlanta University - Clark Atlanta aujourd'hui - est créé par exemple dès 1865. Elles sont regroupées au sein du réseau HBCU (Historically Black Colleges and Universities), majoritairement situées au sud de l’aire métropolitaine. Plus tard, en 1974, c'est la première grande métropole du sud des États-Unis à élire un maire noir. Elle est aussi à partir des années 1970, le lieu du Freaknik, festival organisé pour les vacances universitaires qui rassemble les étudiants des grandes universités historiquement liées à l'émancipation des populations africaines américaines. Cet événement, en miroir du traditionnel Spring Break, ajoute encore à la dimension de "black cultural capital" des États-Unis.

Ce processus politique d’apaisement, d’ouverture et de promotion a permis progressivement à Atlanta de se hisser au rang de grande métropole régionale, nationale et mondiale. En accueillant en particulier les sièges sociaux de plusieurs grandes firmes transnationales emblématiques comme Coca-Cola dans l’agro-alimentaire, CNN dans les médias et la télévision, Delta Air Lines et UPS/United Paracel Service, dont UPS Air Cargo, dans les transports aériens et la logistique, Home Depot ou encore AT&T dans les télécommunications. Dans la banlieue nord-est, autour du grand cluster médical constitué par l’Emory University, se trouve le siège national des fameux Centers for Disease Control and Prevention, ou CDCP, mondialement connu à chaque grande pandémie. Au total, la métropole symbolise cette géographie des États-Unis où les enjeux politiques, économiques et sociaux sont des clés d’analyse essentielles à la compréhension des dynamiques spatiales et territoriales.

Une métamorphose économique et urbaine assez récente

Si la commune-centre d’Atlanta rassemble 500 000 habitants, la population de son aire urbaine avoisine les six millions de personnes, ce qui en fait la 9eme métropole étasunienne, connaît une croissance soutenue. L'image satellite Sentinelle du 23 février 202, sur laquelle le filtre urbain a été appliqué pour les bandes spectrales, montre bien l'étalement urbain caractéristique des métropoles américaines, selon le modèle théorisé par l'école de Chicago. Le développement se fait en auréoles concentriques puis en étoile le long des axes de communication avec des zones résidentielles plus boisées, tout en s'accompagnant d'une forte ségrégation socio-spatiale. Si la zone centrale de l’agglomération est peuplée à 80 % de noirs, la ceinture périurbaine est peuplée à 80 % de Blancs.


Classification 

Image prise par le satellite Sentinel-2 le 24 mai 2021.
Le traitement (Urban Classified) permet de différencier les zones construites (en blanc), des zones humides (en bleu), des zones  de végétation (en vert), des terrains nus (en brun).

Crédit : European Union, contains modified Copernicus Sentinel data 2021, processed with EO Browser

L’expansion de la ville s’est d’abord faite vers le nord, où l’on trouve les quartiers les plus denses, Midtown ou Buckhead, avant de se développer le long des axes autoroutiers structurants, les Interstate 20 et 85, vers le sud, l’ouest et surtout l’est. Ces deux axes sont clairement visibles sur l'image satellite. L'Interstate 85, d'orientation nord-sud structure la ville et ses quartiers et le métro d'Atlanta reprend son orientation. L'Interstate 20, d'axe est-ouest délimite la ville plus au sud et donne naissance à un impressionnant nœud autoroutier à sa rencontre avec l'interstate 85, bien visible au sud de la ville, qui a hérité du nom de Spaghetti jonction, comme d'autres nœuds routiers majeurs des États-Unis.

La fonction originale de carrefour de la métropole est aujourd'hui bien présente et fait d'Atlanta un hub autoroutier, ferroviaire et aérien de premier plan. Sur le plan ferroviaire, elle connecte notamment les lignes de deux compagnies ferroviaires de la côte Est, CSX et Norfolk Southern. Dans la partie nord-ouest, à la limite de l'image les nombreuses voies ferrées du hub de la Norfolk Southern apparaissent clairement. Plusieurs convois ferrés chargés de conteneurs multimodaux sont redirigés depuis ce centre. Cette fonction de carrefour ferroviaire se retrouve également dans la toponymie. Le quartier de Five points, au centre de Downtown a reçu ce nom car il connectait originalement cinq lignes de chemin de fer.

Atlanta. La croissance urbaine métropolitaine, 1950/2050

L'aéroport Hartsfield-Jackson d'Atlanta visible à 33 km au sud du centre (zoom 5) se classe dans les premiers rangs mondiaux avec un trafic de passagers de plus de 110 millions de personnes. Mais c'est essentiellement une clientèle nationale car il constitue le principal hub aérien de Delta Air Lines aux États-Unis.

Sur la vue Sentinel-2 à l’emprise plus large (cf. image centrale) on assiste le long des axes à des pôles de développement urbain le long des axes de communication. A 11 kilomètres à l'Ouest de la ville, un autre aéroport le Fulton country airoport est visible au croisement de l'Interstate 20 et de la rivière Chattahoochee. A ce même croisement on peut également observer un parc d'attractions le Six Flags. Ce pôle est complété par de nombreux entrepôts de zones industrielles. Il est intéressant de constater que ce pôle est séparé du reste de la ville par un tissu de banlieues peu denses où les programmes immobiliers peuvent être identifiés de par la structure des rues et la toponymie typique de ce type de programmes (Chalet Woods, Heritage Valley, Wisteria Gardens...). Particularité locale, l’espace est aujourd’hui structuré selon six zones délimitées par le Département de la Police d’Atlanta, organisation structurelle qui est devenue peu à peu représentative de l’urbanisme de la ville.

Une démographie dynamique marquée par une forte ségrégation socio-spatiale

Bien visible sur l’image, l’aire urbaine d’Atlanta - composée des dix comtés centraux - est aujourd’hui peuplée de 4,6 millions d’habitants, dont 39 % de Noirs, 39,4 % de Blancs, 12 % d’Hispaniques et 7 % d’Asiatiques. Cet espace dynamique voit sa population augmenter d’un quart en dix ans. Pour sa part, l’aire métropolitaine - qui couvre vient au 9em rang national - est peuplée de six millions d’habitants, contre 1,3 million en 1960.

Cette hausse démographique spectaculaire des aires urbaine et métropolitaine se traduit spatialement sur l'image par un front d'urbanisation visible sur toute la périphérie de l'agglomération et par un très fort mitage de l’espace rural. Avec 6 850 kilomètres carrés, l'agglomération d'Atlanta est la deuxième agglomération la plus étendue des États-Unis, juste derrière New York-Newark et bien devant Los Angeles, située seulement au 7eme rang. Sa zone d’influence périphérique atteint aujourd'hui presque Chattanooga, située à 190 kilomètres d'Atlanta. Cette hausse est notamment due au retour de populations noires parties au cours du XXè siècle vers le Nord-Est afin d’y trouver du travail et qui quittent des cités devenues répulsives pour bénéficier de la vitalité économique et culturelle d'Atlanta.


L’aire urbaine d’Atlanta est cependant marquée par une forte ségrégation spatiale largement fondée sur des logiques sociales, économiques et raciales. Le revenu moyen annuel des ménages est plus que deux fois plus élevé dans le comté de Forsyth que dans ceux de Clayton ou Spalding. Les taux de pauvreté vont de 15 % à 17 % de la population à Spalding, Bartow, Carroll, Clayton, Hall, pour tomber à 6 % ou moins à, Forsyth, Fayette, Paulding, Cherokke. Enfin, alors que Fulton, Clayton, DeKalb ou Spalding sont des comtés qui connaissent de fortes tensions sociales et sécuritaires, Forsyth, Fayette, Cherokee ou Bartow sont des territoires beaucoup plus calmes. Si le comté de Clayton est peuplé à 65 % de Noirs, celui de Cherrokke est peuplé à 74 % de Blancs. Ces ségrégations résidentielles se retrouvent dans les stratégies de ségrégation socio-fonctionnelles des entreprises comme en témoignent la localisation de sièges mondiaux d’UPS et d’ATT et la présence du CDCP dans l’angle nord-est de l’agglomération.   

Atlanta : ségrégation spatiale et enjeux d’aménagement

Ces logiques se retrouvent exacerbées dans la ville même d’Atlanta, une des villes américaines qui possède l'un des plus forts taux de ségrégation, tant pour les afro-américains que pour les hispaniques ou les asiatiques. Si la ville a connu un vaste processus de dépeuplement en passant de 456 000 à 396 000 habitants entre 1970 et 1990, elle connait depuis 2010 un réel renouveau démographique pour atteindre 500 000 habitants aujourd’hui. Peuplée à 47 % de Noirs, contre 53,4 % en 2010, 38,5 % de Blancs, 6% d’Hispaniques et 4,5 % d’Asiatiques, elle présente un taux de pauvreté élevé avec 20 % de la population totale.

La ville est traditionnellement découpée entre des parties Sud et Est pauvres, où se concentrent majoritairement les populations afro-américaines (zones de South Atlanta et East Atlanta...) et une partie nord sensiblement plus aisée. Au cœur de cette organisation, un espace occupe une large partie des représentations, il s’agit de la Zone 6, un territoire où les dynamiques socio-spatiales sont particulièrement intenses et qui s'étend sur cette partie de East Atlanta.

La Zone 6 est un exemple frappant des lisières qui se forment à l'intérieur de la structure d'une ville et qui peu à peu deviennent des espaces de marge au sein d'un urbanisme éclaté. La superficie d'Atlanta est divisée en six zones qui correspondent aux secteurs délimités par le Département de la Police. Zone 6, est située à l'est de la ville et concentre des dynamiques qui en font un espace représentatif. Si on cherche les stars de la trap que sont Gucci Mane ou Future, c'est là qu'il faut se rendre.

C'est un espace de mélanges. Les projets réputés les plus violents concentrés à Kirkwood ou Little Mexico côtoient des espaces en pleine gentrification comme Little Five Point, avec ses maisons rénovées, ses cafés, ses restaurants et ses commerces branchés. C'est un microcosme parfait du développement chaotique de la ville et une illustration de ce que le géographe David Harvey nomme « spatial fix ». Ce concept est basé sur un jeu de mot construit avec fix, qui renvoie à la satisfaction d'un besoin. Ici le besoin d'espace au sens de « débouchés capitalistes », dont la gentrification est à la fois une illustration et une conséquence. Mais le terme renvoie aussi aux drogués à la recherche d'un fix soit une dose.

La Zone 6 - épicentre du trafic de drogue, hyper-lieu du rap contemporain, avec ses marges au coeur de la ville et ses maisons vides (trap houses) - est le symbole d'un urbanisme sans direction. Mais elle figure aussi un espace avec des débouchés de développement pour la ville. L'étalement urbain, qui a généré ces espaces délaissés, sera peut-être à la base de leur reconquête.

Contrôler l'étalement urbain : un enjeu majeur d’aménagement

Même si la ville-centre s’est dotée d’un métro, Atlanta est un des symboles de l'étalement urbain aux États-Unis avec des conséquences notamment sur la saturation du trafic automobile. Sa très faible densité de 659 hab./km carré la place au 312è rang des villes américaines pour la densité de population. Des initiatives pour maîtriser ce mitage urbain et ses conséquences commencent cependant à se développer comme la BeltLine, un projet emblématique de réhabilitation d'une trentaine de kilomètres de voie ferrée. Elle fait le tour du centre-ville et consiste en une piste accessible aux piétons, cyclistes avec une voie de tramway aménagée d'ici 2030. Elle a au départ été imaginée par Ryan Gravel, étudiant de la Georgia Tech. C'est devenu aujourd'hui l’un plus grand chantier public des États-Unis.

Ce projet s'inscrit au cœur de plusieurs enjeux. Il vise à ramener d'une part les populations de banlieue vers le centre-ville. Il a également une ambition sociale en connectant des quartiers très différents, notamment le sud-ouest pauvre, au nord plus riche. Enfin ce projet s'inscrit dans le cadre de la dynamique de piétonisation des villes américaines, déjà engagée dans de nombreuses métropoles. Bordée d'arbres, la BeltLine a en effet vocation à abriter des manifestations artistiques et culturelles. Elle fait cependant craindre un risque de gentrification pour les quartiers alentours, même si la municipalité s'efforce de contenir au mieux ce phénomène.

Atlanta, une nouvelle centralité culturelle retrouvée grâce à sa scène hip-hop

Symbole de son effervescence culturelle, Atlanta est le berceau de la Trap, branche la plus populaire du hip hop actuel qui culmine au sommet de la pop culture. Des groupes comme 21 Savage, Migos, Young Thug, Gucci Mane ou Future figurent parmi les artistes les plus populaires actuellement et sont tous originaires de la ville. Ils revendiquent leur appartenance à « New Motown », le surnom d’Atlanta censé mettre en lumière son rapport intense à la musique produite sur son territoire.

Car l’urbanisme de la ville est lié à la naissance de ce courant, le terme « trap » désigne les maisons vides des quartiers abandonnés de la ville, utilisées pour le stockage et le trafic de drogue, endémique dans ces espaces en difficulté. On les retrouve notamment à l'est de la ville et à proximité de l’aéroport d'Atlanta, gigantesque hub aérien. On pourrait parler de « shrinking music » dans la mesure où le déclin de ces territoires est la conséquence d’un urbanisme qui a laissé des marges se former au sein d’une agglomération en croissance. La trap illustre la dimension urbaine d’un phénomène culturel qui est devenu un marqueur de l’identité de la ville.

Ce phénomène a paradoxalement replacé Atlanta au centre de la scène mondiale sur le plan culturel. Ce phénomène émerge dès les années 1980 et est utilisé par la ville pour structurer son identité. Ainsi, un gigantesque panneau accueillait les visiteurs dans les années 1990 : "Atlanta, berceau de So Def", label de musique emblématique. Les prémices de cette évolution apparaissent avec des artistes comme Raheem the dream ou DJ Toomp pour les années 1980 ou encore Arrested Development, dans les années 1990, qui proposent un rap plus rural, en rupture avec l’image véhiculée par les artistes des autres métropoles américaines.

Mais c'est au début des années 2000 que se produit un renversement majeur dans la géographie du rap américain. En effet, à cette époque, les deux centres du hip-hop mondial que sont New-York (East Coast) et Los-Angeles (West Coast) se voient progressivement éclipsés par la scène du Dirty South venue d'Atlanta et son groupe emblématique Outkast. Ainsi en 2002, entre 50 et 60 % des singles présents dans les charts hip-hop proviennent de la Sun Belt. Outkast avait anticipé ce phénomène. Alors qu'ils sont hués en 1995 suite à leurs prix de la révélation rap, le groupe Outkast déclare "Le Sud a quelque chose à dire", anticipant l'émergence de centres du hip-hop comme Atlanta, Miami ou la Virginie. L'Université de Cornell a ainsi classé Atlanta en 2014 comme la ville la plus influente pour la musique en Amérique du Nord.

En marge de la scène Trap, d'autres figures musicales contribuent à conférer à Atlanta une place majeure sur la scène musicale mondiale. Ainsi le rappeur LiL Nas X a hybridé country et hip-hop, faisant figurer son morceau Old town Road à la fois dans le classement des meilleures ventes de Country et battant des records au Billboard américain, classement généraliste des meilleures ventes. Il détient en effet le record de longévité des ventes en numéro 1 aux États-Unis sur près de dix-sept semaines. La scène du rock indépendant est également vivante avec des groupes à la renommée mondiale comme Deerhunter, même si spatialement ces différentes scènes et publics ne se côtoient pas.

Mise en scène de la ville à la télévision, réseaux sociaux et centres créatifs

Les séries télévisées relayent également ce dynamisme culturel de la métropole en mettant en scène la ville dans plusieurs séries qualitatives. L'éponyme Atlanta (FX Networks, 2 saisons depuis 2016), réalisée par Donald Glover, par ailleurs rappeur à succès sous le nom de Childish Gambino, donne à voir les fractures socio-spatiales de la ville au travers d'un personnage, joué par le réalisateur, qui ne trouve sa place nulle part. Cette série met en scène notamment les espaces périphériques et interstitiels de la ville : parkings, petites zones commerciales, bois, terrains abandonnés...). Lost in Traptlanta (Arte - 2019 - 1 saison) websérie documentaire, illustre elle les dynamiques d'Atlanta en s'intéressant plus particulièrement à ses acteurs et ses habitants. La ville est devenue un lieu de tournage de plus en plus prisé pour les séries. La série télévisée Walking Dead a été l'une des premières à être tournée à Atlanta, suivie par Vampire Diaries. La compagnie Pinewood studios y a établi récemment ses quartiers, en inscription de cette dynamique.

Creuset de créativité culturelle, qui lui confère une visibilité mondiale, Atlanta voit émerger un nouveau phénomène culturel : l'établissement de résidences d'influenceurs, comme le Collab Crib sur le modèle de la Hype house fondée à Los Angeles en 2019. Les résidents participent à la création de contenus sur TikTok, Instagram ou YouTube. Établis dans le Sud de Downtown ou dans la banlieue d'Atlanta, leurs membres sont majoritairement noirs et moins bien payés que dans les autres villes. Certains n'hésitant pas à parler de discrimination des algorithmes au sein de la création numérique. Ils inventent une nouvelle forme de spatialité, qui conjugue l'esprit des start-ups démarrées dans des garages, les résidences d'artistes et l'écho mondialisé des réseaux sociaux.

Au total, l'identité d'Atlanta est multiple. Ville du Sud, edge-city dont la croissance désordonnée produit un urbanisme désincarné, hyper-lieu africain américain, Atlanta est un creuset des grandes questions qui scandent aujourd’hui la géographie urbaine nord-américaine.


Zooms d’étude

Les images présentées dans ce zoom ont été prises par un stallite Pleiades le 18 décembre 2020. Il s’agit d’une image en couleur naturelle, de résolution native à 0,70m, ré-échantillonnée à 0,5m. En savoir plus

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Zoom 1 : Le centre d'affaires, ou Central Business District, et la ville-centre

Le Downtown Atlanta est à la fois le cœur économique de la ville et son noyau historique. Au XIXè siècle, l'activité se développe le long de Peachtree street, qui figure un axe du nord au sud-ouest et joue un rôle structurant dans l'organisation spatiale. Le dialogue traditionnel entre l'espace de la rue et celui de la skyline, assez typique de l'organisation des centre villes nord-américains, est ici enrichi d'une troisième dimension, qui donne à Atlanta une identité urbanistique singulière.

Conséquence de la reconstruction de la ville après la Guerre de Sécession et de l'intensification du trafic ferroviaire, la ville se développa peu à peu en hauteur. La séparation des circulations pédestres et mécaniques, subséquente à ces choix, organisée par un réseau de ponts, de voies ferrées surélevées puis couvertes, entraîna un développement sur plusieurs niveaux. Réaménagée à partir des années 1960 en Entertainment district, sorte de mall souterrain pensé sur le modèle en plein développement des centres commerciaux, Underground Atlanta pâtit par la suite d'un climat d'insécurité et de désaffection qui entraîna son abandon progressif, figurant une marge urbaine en plein cœur de la ville.

Siège de firmes transnationales à fort rayonnement - CNN et Coca Cola, qui y a démarré en 1885 et emploie toujours près de 9000 personnes - et planté de seize gratte-ciels qui dépassent les cent-cinquante mètres de hauteur, le CBD d’Atlanta est un espace emblématique, qui surmonte les difficultés d'un urbanisme en tension, notamment par une politique de transport et de mobilité qui réaffirme sa centralité. Il accueille 15 des 500 plus grandes entreprises des États-Unis.

Mais Atlanta s'est également affirmée dans le domaine des nouvelles technologies, gagnant le surnom de Silicon Peach, double référence à l’emblème de l'état de Géorgie et à la Silicon Beach de Los Angeles. C'est une fonction historique, la fondation de l'Institut de Technologie d'Atlanta remontant à 1886. Cette Silicon Peach s'ancre spatialement sur plusieurs lieux éclatés au sein de la métropole. Si l'Atlanta Tech Village est situé à Buckhead à 20 km au nord du CBD, le flat iron building se trouve directement dans le Downtown, alors que le Tech Square et l'Institut de Technologie d'Atlanta se retrouvent dans le Midtown de chaque côté de l’Interstade 85, bien visibles sur l'image, au nord du parc du centenaire.

Atlanta regroupe ainsi près de 13 000 entreprises liées aux nouvelles technologies, notamment dans les secteurs de la cybersécurité, de la Fintech. On peut citer à titre d’exemple parmi les start-ups émergentes Sharecare pour la santé, OneTrust pour les paiements ou encore Secureworks pour la cybersécurité. Le Georgia Institute of Technology est numéro 4 des universités dans le domaine de l’ingénierie aux États-Unis et cinquième mondial pour l'informatique. Il a un partenariat avec la France et le Georgia Tech Lorraine situé à Metz depuis 1990.



Atlanta centre


Repères géographiques


Le centre d'affaires

Zoom 2 : Le Parc du Centenaire et les Jeux olympiques de 1996

Au nord-ouest du Downtown, le Parc du Centenaire, aménagé à l'occasion des Jeux Olympiques de 1996, se distingue nettement. En 1996, pour le centenaire des Jeux Olympiques, Atlanta est préférée à Athènes, afin de mettre en avant la puissance américaine, peu après la fin de la Guerre froide. A l'échelle nationale, ces J.O sont vus comme un moyen pour Atlanta de passer de capitale régionale au statut de métropole nationale, et de s'affirmer comme la grande métropole du Sud des États-Unis. La présence symbolique de Mohammed Ali, comme porteur de la flamme, peut également être vue comme un symbole de l'affirmation de la communauté afro-américaine. Ces J.O sont toutefois endeuillés par un attentat dans la nuit du 26 au 27 juillet 1996 dans le Parc du Centenaire à l'occasion d'un concert.

L'organisation des Jeux Olympiques en 1996 redonna du souffle à cet espace urbain sans pour autant réussir à le connecter complètement au reste de la ville. Il abrite aujourd'hui l'aquarium d'Atlanta, le musée Coca-Cola ou le centre de Congès "Georgia World Congress Center", lui conférant une fonction touristique et de loisirs. Il reste toutefois un succès dans la reconversion des sites olympiques car les logements construits autour du Centennial Olympic Park ont contribué à amener une nouvelle population dans le centre d’Atlanta. Plus largement, ces jeux olympiques marquent le début d'une politique de réhabilitation de la ville avec la destruction de nombreux immeubles d'habitation collective délabrés.


Parc du centenaire


Repères géographiques


Parc du Centenaire

 

Zoom 3 : Midtown et Buckhead, croissance urbaine et edge city

Directement au nord de Downtown, à partir de North Avenue et le long de l'Interstate 85, s'est développé le quartier de Midtown. C'est là que Margareth Mitchell, alors journaliste au Atlanta Journal Magazine, habite et rédige entre 1926 et 1936, Gone with the wind, Autant en emporte le vent en français, le grand roman du Sud des États-Unis qui recevra le prix Pullitzer, sera adapté au cinéma et donnera à la ville une célébrité mondiale. Le musée installé dans la maison de l'écrivaine est un lieu touristique important autant qu'un témoignage architectural du passé et du rôle que joua la ville dans la structuration de l'identité urbaine américaine.

Très urbanisé, concentrant des fonctions commerciales et économiques, Midtown est cependant plus résidentiel que Downtown et témoigne de la forte croissance démographique de la ville. La population résidentielle est plus faible que le nombre de personnes venant y travailler chaque jour ce qui donne un mitage varié dans lequel les immeubles de bureau côtoient de l'habitat individuel datant de la première extension de la ville. C'est la question de la centralité qui s'exprime dans cet urbanisme car les ruptures et les continuités s'entremêlent qui rendent délicate la définition de cet espace. L'identité du sud du quartier se rapproche de celle de Downtown quand le nord, plus résidentiel, semble déjà augurer des espaces résidentiels de Buckhead.

Midtown est connue pour être l'épicentre de la communauté gay de la ville. Atlanta étant considérée comme la troisième ville la plus accueillante pour la communauté homosexuelle aux États-Unis, après San Francisco et Seattle. On peut néanmoins y trouver là encore un phénomène de ségrégation socio-spatiale par communautés, qui se retrouvent dans certains bars et restaurants exclusivement.

C'est encore l'Interstate 85 qui joue le rôle de frontière, délimitant au sud le quartier de Buckhead, historiquement centré sur les collines des Atlanta Heights et qui a connu un développement important, en marge de ceux de Downtown et Midtown. Illustration du cloisonnement socio-spatial, Buckhead concentre une population aisée, des espaces verts et des centres-commerciaux dédiés à une population à fort pouvoir d'achat. L'interaction de plusieurs phénomènes – concentration de populations aisées, faible densité du bâti, construction de mall – a conduit à une certaine déconnexion entre Buckhead et son environnement urbain direct

C'est ce que note l'écrivain Tom Wolfe dans le roman qu'il a consacré à la ville, Un homme un vrai : « Atlanta n’était pas de ces villes au passé prestigieux, telles New York, Boston, Seattle et, a fortiori, Paris, Londres, Munich, où les grands restaurants brillent au cœur de la cité et à la lisière des vieux quartiers résidentiels. Non, à Atlanta, le Centre et Downtown fermaient à dix-huit heures tapantes, du lundi au vendredi et toute la journée du samedi et du dimanche, et leurs tours étincelantes se dressaient dans la nuit comme des fantômes de verre » (Un homme un vrai p. 768)

Avec New York, Miami et Harvard, Atlanta forme le quatuor des lieux que le "Balzac américain", a choisi d’étudier dans ses romans. Ici, Tom Wolfe emprunte à Joel Garreau le concept de Edge city. Cette « ville-lisière », dont l’archipel forme une autre géographie urbaine de l’Amérique, fonctionne sur un modèle polycentrique où les dynamiques spatiales ont peu à peu vidé la ville-centre de l’activité humaine habituelle pour la reverser dans des espaces périphériques qui cohabitent plus qu’ils interagissent, ce qui donne à voir un urbanisme cloisonné.  


Atlanta : Midtown et Buckhead

 


Repères géographiques


Midtown


Buckhead

 

Zoom 4 : Old Fourt Warth  - Cabbagetown - Reynoldstown - Auburn : gentrification et patrimoine historique


Ces quartiers sont typiques des quartiers gentrifiés. Anciens quartiers d'ouvriers blancs pour Cabbagetown et noir pour Reynoldstown, ils sont progressivement tombés en déshérence. Dans les années 1990 des lofts d'artistes commencent à s'installer suivis par des restaurants vegan et des micro-brasseries. Old fourth Ward est également une ancienne zone industrielle, considérée comme à risque dans les années 1980-1990, quand Atlanta était la troisième ville la plus dangereuse des États-Unis. Ce quartier attire aujourd'hui les restaurants et boutiques de créateurs.

Ces quartiers ont gardé quelques maisons historiques à l’architecture typique du Sud comme les Shotgun houses, qui tirent leur nom du fait que l'alignement des pièces permettait à un coup de feu de rentrer par la porte d'entrée et sortir par la porte de derrière. Ces maisons sont traditionnellement construites pour les pauvres et les employés des compagnies de chemin de fer par exemple.


Atlanta : quartier Est


Repères géographiques


Reynoldstown


Cabbagetown


Old Fourt Warth

 

Zoom 5  : L'aéroport Hartsfield-Jackson, un des premiers hubs aéroportuaires mondiaux 

L'aéroport d'Atlanta est inauguré en 1926, mais c'est Maynard Jackson, maire de 1977 à 1994, qui est le véritable promoteur du développement de l'aéroport Hartsfield-Jackson. C'est aujourd'hui l’un des premiers hubs aéroportuaires mondiaux. Cela est notamment dû à sa situation qui lui permet de couvrir 80 % de la population américaine en moins de deux heures de vol.

Cet aéroport bat plusieurs records. Il dispose de 195 portes, plus que n'importe quel aéroport au monde. Sa tour de contrôle, haute de 122 mètres est la plus haute des États-Unis et la 4ème plus haute au monde. La compagnie Delta Airlines, qui en fait son principal hub, y opérait avant la crise du Coronavirus 5400 vols par jours vers 54 pays. 90 % de son trafic reste cependant domestique. Cet aéroport a été, comme l'ensemble des aéroports mondiaux, frappé par la crise du Covid. Il a perdu 60 % de son trafic pour accueillir 43 millions de passagers en 2020. Sur l’image de très nombreux avions apparaissent stationnés, la compagnie Delta Airlines utilisant ce hub comme parking pour une partie de sa flotte inutilisée (pour en savoir plus)


L'aéroport Hartsfield-Jackson

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Image complémentaire

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Cette image d'Atlanta a été prise par un satellite Pleiades le 18 décembre 2020.

(C) Contient des informations PLEIADES © CNES2020, Distribution Airbus DS, tous droits réservés.

Références ou compléments

Gérard Dorel : « Les États-Unis », volume États-Unis, Canada, Géographie universelle, Hachette/Reclus, 1992, (citation p. 184).
   
Pascale Nédélec - Saisir l’étalement urbain dans un contexte états-unien : réflexions méthodologiques - CyberGéo
https://journals.openedition.org/cybergeo/27421
    
Séverin Guillard -  Le rap, miroir déformant des relations raciales dans les villes des États-Unis - Géoconfluences - janvier 2016
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/etats-unis-espaces-de-la-puissance-espaces-en-crises/corpus-documentaire/le-rap-miroir-deformant-des-relations-raciales-dans-les-villes-des-etats-unis

Dani Berman et Martine Tartour – Portraits d’Atlanta – collection Vivre ma ville – Hikari éditions – 2018.
    
Tom Wolfe, Un homme un vrai, Robert Laffont, Paris, 1999

Site de l’Atlanta Regional Commission
https://atlantaregional.org
https://atlantaregional.org/browse/?browse=topic&topic=atlanta-region



Contributeurs

David Neuman - professeur agrégé d’histoire-géographie – lycée Saint-Sernin - Toulouse
Fabien Vergez - IA-IPR histoire-géographie - académie de Toulouse

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