Japon / Chine - Les îles Senkaku : souveraineté, frontières et rivalités de puissance en Mer de Chine orientale

Depuis 1972, l’archipel des îles Senkaku en japonais, Diaoyutai en chinois, est l’objet de revendications conflictuelles entre Tokyo, qui les contrôle, et Pékin et Taipei. Situées dans le sud de la Mer de Chine méridionale, ces iles minuscules, inhabités et sans ressources essentielles mais disposant d’une vaste ZEE sont le symbole et le prétexte à l’affirmation des rivalités géopolitiques entre deux grandes puissances asiatiques et mondiales, la Chine populaire et le Japon. Plus largement, elles témoignent des logiques de maritimisation des Etats et des économies contemporaines et éclairent les processus croissants de territorialisation des espaces maritimes par les Etas côtiers dans le cadre de la mondialisation.
em-s2a_msil1c_20191010-senkaku-vf.jpg

Légende de l’image

Cette image de la mer de Chine orientale présente quelques-uns des huit îlots et rochers constituants l'archipel de Senkaku-Diaoyutai. Elle a été prise par le satellite Sentinel-2A le 10 octobre 2019.
Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution à 10m.


Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2019, tous droits réservés.


Repères géographiques

Présentation de l’image globale

Les îles Senkaku-Diaoyutai : des iles minuscules inhabitées,
prétexte à des rivalités géopolitiques entre Chine et Japon 

Un minuscule archipel de la Mer de Chine orientale

Cette image présente une large surface maritime couverte par une succession de petites tâches blanches, qui sont des nuages très clairsemés. Leur présence vient rappeler la grande difficulté à obtenir dans cette région du monde une image claire sans couvert nuageux massif.  

En y prêtant attention, nous distinguons au centre de celle-ci une petite île verte en forme d’amande orientée ouest-est. C’est l’île d’Uotsuri. Elle est entourée de huit petites îles, îlots ou rochers. On distingue bien vers l’est deux toutes petites îles : Kita et Minami. En regardant très attentivement l’image, on peut aussi distinguer quelques îlots ou rochers qui pointent à la surface. Au total, cet ensemble maritime s’étend sur environ 17 km d’ouest en est et du nord au sud. Au Nord-Est, à une quinzaine de kilomètres de cet ensemble principal se trouve l’îlot de Kabi.

Nous sommes ici au 25°44 nord et 123°29 Est dans l’archipel des Senkaku à 250-300 km au nord du Tropique du Cancer. Cet archipel se trouve dans le sud de la Mer de Chine orientale bordée à l’Ouest par la Chine, au Sud-Ouest par Taïwan, au Nord par la Corée du Sud et au Nord-Est et à l’Est par le Japon. Cette mer appartient au grand système des mers semi-fermées qui ourlent tout le littoral oriental du continent eurasiatique, un système unique au monde qui s’étend sur des milliers de kilomètres avec du Nord au Sud Mer d’Okhotsk / Basin des Kouriles, Mer du Japon / Mer de l’Est, Mer de Chine orientale et Mer de Chine méridionale.

Les Senkaku sont en effet situées à 175 km au nord-ouest des îles japonaises d’Ishigaki et d’Iriomote, qui appartiennent à l’archipel des îles Sakishima qui constituent la terminaison occidentale du très long archipel des Ryûkyû. Nous sommes à environ 170 km au nord-est de l’île de Formose, et donc de Taïwan. Et à environ 330 km de la Chine continentale, à la hauteur de la ville de Fuzhou.

Les Senkaku : symboles de la surinsularité du Japon  

A l’extrémité méridionale de l’archipel des Ryûkyû, l’archipel des Senkaku est contrôlé et administré par le Japon comme de très nombreuses îles ou îlots, habités ou inhabités, qui constituent l’enveloppe extérieur de l’archipel nippon. Car le Japon est un pays fondamentalement maritime, insulaire et archipélagique très étiré entre l’île Yonaguni au sud, proche de Taiwan, et Wakkanai à la pointe nord-ouest d’Hokkaido. Il possède environ 6.850 îles, dispose de 35.000 km de côtes et revendique une Zone Economique Exclusive de 4,5 millions de km². Ce phénomène exceptionnel à l’échelle mondiale participe de ce que le géographe Philippe Pelletier, grand spécialiste du Japon, définit comme la « surinsularité japonaise ».

Nous sommes ici très aux marges, dans les périphéries méridionales. Ces îles se trouvaient sur la route maritime reliant le Fujian chinois à Naha, la capitale des Ryûkyû, et au delà au sud de l’Archipel. Dans ces marges insulaires longtemps très autonomes à la charnière entre espaces politiques, économiques et culturels chinois et japonais, l’affirmation de l’Etat central fut tardive. Le Japon n’en prend en effet possession officielle qu’en janvier 1895, après avoir intégré l’ancien royaume des Ryûkyû comme département en 1879. Et c’est en 1900 que cet archipel prend en japonais le nom de Senkaku et la colonisation japonaise y connaît son apogée en 1909 lorsqu’y vivent environ 300 habitants (guano comme engrais, chasse, pêche) avant que toute exploitation permanente y disparaisse.  

La montée des tensions géopolitiques liées aux rivalités avec la Chine populaire

Après la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis en prennent le contrôle direct de 1945 à 1972, en considérant qu’elles appartenaient à la préfecture d’Okinawa qui était alors placée sous occupation militaire dans le cadre du Traité de San Francisco redéfinissant les relations géopolitiques entre les deux pays dans le cadre de la Guerre froide.

Inhabitées et sans ressources essentielles, ces petites îles sont donc à nouveau sous complète souveraineté japonaise depuis 1972. Mais elles sont alors aussi revendiquées à la fois par Taiwan et - surtout - par la Chine populaire, respectivement le 11 juin et le 31 décembre 1971 dans le cadre justement du changement du statut de souveraineté liée à la normalisation de la situation du Japon face aux Etats-Unis.

Ces revendications taïwanaise et chinoise s’inscrivent aussi dans ce que le géographe et diplomate Michel Foucher appelle des « prises de gage », puisque c’est aussi à ce moment historique que des gisements d’hydrocarbures off-shores sont découverts assez loin au nord-est de l’archipel. Les espoirs un temps portés de nouvel eldorado seront cependant assez vite douchés, et la fièvre sur ce sujet est sensiblement retombée malgré la mise en exploitation de quelques champs.

Dans le cadre de rivalités de puissances qui dépassent très largement les enjeux locaux ou régionaux, ces îles et ces îlots sont devenus des symboles géopolitiques éminents qui cristallisent des tensions plus ou moins fortes. Selon les conjonctures internationale et nationale, les jeux internes de pouvoirs à Pékin comme à Tokyo et la nécessité de recourir aux bons vieux réflexes nationalistes pour ressouder derrière soi des opinions publiques.

La montée des tensions avec Pékin date des années 1990, en particulier de l’adoption en 1992 de la « Loi sur les eaux territoriales et les zones contigües » qui revendiquent explicitement ces îles. Face à des îles sans construction et présence humaine permanente, Pékin cherche à éroder la souveraineté japonaise en affirmant une présence maritime et aérienne banalisée, et en multipliant donc les incursions dans les eaux périphériques que Tokyo considère comme japonaises.

Dans les décennies 2000/2010, l’essor de la Chine se caractérise par une présence toujours plus nombreuse et une nouvelle montée des tensions : collisions entre navires de pêches chinois et gardes-côtes japonais (Japan Coast Guard, JCG), arrestation et détention de marins chinois par le Japon, accrochages entre frégates et destroyers… En novembre 2013, la Chine créé une zone d’identification de défense aérienne – ou ADIZ - qui inclut les îles. Mais en 2014, les accords de pêche bilatéraux sont renouvelés. Par contre, en aout 2016, quelques 230 bâtiments de pêches chinois, accompagnés de 6 navires gardes-côtes, entrent dans la zone contigüe des Senkaku.

Dans ce contexte de tension, le Japon cherche à manifester sa souveraineté en multipliant les patrouilles de ses gardes-côtes dans les eaux environnantes et en veillant à la surveillance de son espace aérien. En septembre 2012, le gouvernement japonais rachète à des citoyens japonais la propriété de trois des iles pour en faire des propriétés gouvernementales, « nationalisant » ainsi celles-ci, ce qui provoque une violente campagne antijaponaise en Chine avec appel au boycott des produits et firmes japonaises. En novembre 2015, Tokyo annonce l’installation de 500 militaires sur une île proche des Senkaku afin de mieux assurer la défense de ces îles très éloignées et renforce ces dernières années sa présence militaire dans le sud de l’Archipel en doublant en particulier ses avions de combat positionnés sur la base de Naha.

Cette situation vient nous rappeler que le Japon est impliqué dans trois conflits frontaliers maritimes avec ses trois voisins. Au nord avec la Russie à laquelle il réclame la rétrocession des Kouriles du Sud. A l’ouest, avec la Corée du Sud à laquelle il réclame la cession des Rochers Liancourt/Dokdo/ Takeshima qu’elle occupe depuis 1954. Et enfin au sud-ouest avec la Chine et Taiwan qui contestent sa souveraineté sur les iles Senkaku.

Zooms d’étude


Repères géographies

Les Senkaku : l’île d’Uotsuri et ses marges  


Cette image-zoom prise par satellite a été spécialement traitée pour y supprimer tout nuage ou voile nuageux. Le travail explique la qualité de la vue et le niveau de détail obtenu.

On distingue bien l’île d’Uotsuri. En forme d’amende, elle est d’une superficie de 4,32 km². Sa surface est assez accidentée et les trois-quarts de son rivage sont formés par une falaise abrupte tombant dans la mer, sauf à l’est où un estran un peu plus large apparaît. Au total, les conditions de vie y semblent très difficiles, voire impossibles sans apport extérieur important.   

A l’est, l’île de Kitako, ou Beixiao en chinois, est bien repérable à sa forme de rectangle. Elle mesure 0,02 km². Sa voisine, l’île de Minamiko, ou Nanxiao en chinois, mesure 0,5 km². Les deux présentent elles aussi de fortes contraintes et son inhabitées. Au nord-est de l’image se trouvent les minuscules iles d’Oki-kita. Et au centre-est est repérable le rocher d’Oki-non.    

Au total, cette image permet de prendre conscience des très fortes contraintes que représentent ces îles minuscules et du profond décalage qui peut exister avec les conflits géopolitiques dont elles sont l’objet. 

 

Images et cartes complémentaires

Image complémentaire

Cette image présente une très large surface maritime couverte par une succession de petites tâches blanches, qui sont des nuages très clairsemés. En y prêtant attention, nous distinguons au centre de celle-ci à la limite du voile nuageux une petite île verte en forme d’amande orientée ouest-est. C’est l’île d’Uotsuri. La principale île de l’archipel.

Cartes complémentaires

Carte 1. Les îles Senkaku, entre archipel japonais des Ryûkyû, Taiwan et Chine.
Source : Revue Hérodote n°141/2011, en téléchargement direct, libre et gratuit.

Carte 2. La ZEE revendiquée par le Japon e les rois conflits frontaliers avec la Russie, la Corée du Sud, Taiwan et la Chine.
Source : Revue Hérodote n°141/2011, en téléchargement direct, libre et gratuit.


Carte 1


Carte 2

D’autres ressources

Sur le site Géoimage :

Laurent Carroué : Japon / Russie - Les îles Kouriles : un archipel frontalier très disputé du fait d’enjeux géopolitiques et géostratégiques majeurs

Bibliographie

Didier Ortolland et Jean-Pierre Pirat : Atlas géopolitique des espaces maritimes, Editions Technip, 2010.

Laurent Carroué : « Géopolitique des mers et des océans » (chap. 9), in Philippe Deboudt (direct) :  Géographie des mers et des océans, Armand Colin, Paris, 2014. 

Jin-Mieung Li : « La question territoriale dans les relations internationales en Asie du Nord-Est », Revue Hérodote, n°141, spécial Géopolitique de la péninsule coréenne, 2/2011. Disponible en accès libre et gratuit sur le portail Cairn/info.


Philippe Pelletier : « Le japon et la mer, grandeurs et limites », Revue Hérodote, N°163 spécial Mers et océans, 4/2016. En téléchargement libre et gratuit sur le portail Cairn. 

Contributeur

Laurent Carroué, Inspecteur générale de l’Education nationale

Published in: 
Cible/Demande de publication: