Ile-de-France - Versailles et son château : enjeux patrimoniaux, politiques et d’aménagements

Depuis des siècles, les biographes de Louis XIV affirment que Versailles est né d’un rêve, celui d’un monarque qui cherche à en faire l’incarnation de son pouvoir absolu. Le paysage initial a été considérablement remodelé par ce projet gigantesque. À la place, les différents rois ont produit une ville à l’urbanisme innovant qui reste un écrin exceptionnel pour le fameux Château, patrimoine mondial de l’UNESCO. Versailles et ses alentours demeurent, par conséquent, un lieu essentiel de l’Ouest parisien du fait de ses enjeux patrimoniaux et touristiques d’un côté, de ses fonctions régaliennes (préfecture, justice, poids des fonctions militaires) qui en font par excellence une « ville d’Etat » de l’autre. Loin d’être un espace figé, les mutations de ces dernières ouvrent de nouvelles opportunités d’aménagement aux échelles locales et régionales.

 

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Légende de l’image

Le château et la commune de Versailles sont ici entourés de celles du Chesnay-Rocquencourt et de La-Celle-Saint-Cloud au Nord, de Noisy-Le-Roy et Bailli au Nord Ouest, de Saint-Cyr à l’Ouest et, enfin, de Guyancourt au Sud-Ouest.

Cette image a été prise par un satellite Pléiades le 16/09/2019. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles, de résolution native à 0,70m, ré-échantillonnée à 0,5m

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Repères géographiques


Contraintes d'urbanisme

Présentation de l’image globale

Versailles : une « ville d’Etat » forgée par le Roi et son château
à la recherche de nouveaux équilibres

Une ville et un espace patrimonialisés centrés sur le Château de Versailles

L’image satellite fait apparaître, en son centre, le château de Versailles et son parc avec les communes limitrophes. Le palais du Roi-Soleil attire chaque année des millions de touristes - 8,1 millions en 2018. Après Disneyland - Paris, le Musée du Louvre et la Tour Eiffel, c’est le 4ème site touristique - francilien et français - le plus visité, du fait en particulier de son rayonnement international.

On distingue parfaitement le château, qui compte 2.300 pièces sur 63.154 m². Dans cette plaine marécageuse et humide asséchée qui est bordée au sud par le plateau de Satory et au nord par les hauteurs de la forêt de Marly-le-Roi, le château est perché sur la petite colline du Moulin à Vent. En contrebas, la ville s’étale à ses pieds. Le château s’articule en effet autour de deux ensembles spatiaux bien distincts.
A l’ouest, il domine un très vaste domaine composant un écrin de verdure exceptionnel avec les jardins à la française, la perspective du Grand Canal creusé dans la plaine de Versailles, le Grand et le Petit Trianon ou le Hameau de la Reine (cf. zoom 1). Collé à l’enceinte nord du parc, on peut voir l’arboretum de Versailles-Chèvreloup. Le tout appartient au Domaine National de Versailles, un établissement public créé en 1995 qui gère le Château, le musée et le domaine (parcs, jardins, arboretum).  

A l’est, il domine la ville de Versailles créée elle aussi ex-nihilo par la volonté royale. Le roi Louis XIV décide d’y résider en 1677 et en conséquence la cour s’y transporte définitivement le 5 mai 1682. Il va donc falloir construire pour loger la noblesse de cour et toutes les fonctions et tous les personnels civils et militaires qui s’y rattachent et en vivent. L’urbanisme du noyau historique est organisé par trois grands axes majeurs qui convergent sur la Place d’Armes  et le centre du château : l’avenue de Paris au centre, l’avenue de St Cloud au nord, l’avenue de Sceaux au sud (cf. zoom 2). Deux quartiers nouveaux aux identités bien marquées sont construits collés au châteaux - le quartier St Louis au sud, le quartier Note Dame au nord – avant que la ville ne se développe ensuite de plus en plus loin.  

En Ile de France, l’espace versaillais présente une grande spécificité urbanistique et paysagère. En effet, afin de sauvegarder la qualité du site et de ses vues paysagères, ainsi patrimonialisées, les règlements d’urbanisme interdisent toute construction d’une certaine hauteur afin de ne pas être « vues » du château. Seule entorse à cette règle : l’Hôtel de Ville qui se détache de l’horizon et qui entraîne parfois de nombreuses confusions chez les touristes. Au total, les surfaces protégées couvrent un espace considérable. Le Domaine royal inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO couvre 1.069 hectares. S’y ajoute une très vaste zone tampon de 9.455 hectares, soit neuf fois plus étendue. Au total, le tout représente une emprise foncière considérable de 10.524 hectares.         

Un espace protégé et très arboré, héritage direct des forêts royales

Comme dans les autres banlieues de l’Ouest parisien, les espaces verts ne manquent pas. Outre l’empreinte au sol exceptionnelle qu’exerce le domaine de Versailles, le géographe remarque immédiatement l’importance de l’espace arboré ou forestier sur cette image.
En effet, Versailles est presque complètement ceinturée par des forêts domaniales (Fausses Reposes, Versailles, Marly) ou des bois (Saint-Martin, Robert). Ceux-ci sont gérés par l’ONF, l’Office National des Forêts, ou par les communes. Ils sont aussi bien des « poumons verts » pour la métropole parisienne que des espaces récréatifs, autant prisés par les familles des villes voisines que peut l’être le parc du château. Cet héritage exceptionnel est directement lié à la présence royale et de la haute noblesse, en lien en particulier avec la pratique ancestrale de la chasse. Le terme de fausses reposes fait ainsi directement allusion à la stratégie des cervidés lors des chasses à cour.

Cependant, cette couverture forestière est parfois peu préservée car elle est traversée par de multiples voies de communication : autoroutes (A12, A13, A86), routes nationales ou lignes ferroviaires (RER C, TER, TGV). On peut aussi observer un aérodrome à proximité du parc sur la commune de Saint-Cyr.

L’espace urbanisé n’occupe donc pas la majorité de l’espace sur cette image, contrairement à d’autres parties de la banlieue parisienne. A la ville dessinée par Louis XIV et ses successeurs, s’opposent, aussi, différentes formes urbaines dans les villes qui l’entourent. Les communes sont ici de petite taille, en dehors de Versailles (85 800 hab.) qui est à la tête de cette armature urbaine. Le Chesnay-Rocquencourt compte 31 000 habitants, Guyancourt 28 500, La Celle-Saint-Cloud 21 000 et Saint-Cyr-L’école 19 000.

Dans cet espace privilégié et protégé, mais limité et contraint, le prix du foncier est élevé, voire très élevé. Les lotissements arborés de qualité dominent au centre-ouest et au nord. Dans un processus de gentrification, même les rares pavillons ouvriers sont occupés désormais par des catégories plus aisées à Saint-Cyr. Il y a peu de quartiers défavorisés dans cette banlieue Ouest. Les rares ensembles populaires d’habitat collectif se situent principalement dans les communes de Saint-Cyr et Guyancourt au sud-est. La commune de Versailles en possède mais pas suffisamment, elle doit donc payer une lourde indemnité dans le cadre de la loi SRU.

L’image donne, paradoxalement, l’impression d’un territoire diversifié alors qu’il présente une certaine unité. En effet, cette partie de l’Ouest parisien demeure un territoire résidentiel attractif de fait de ses aménités. Ces villes du Département des Yvelines relativement aisées ne forment pas pour autant un ensemble administratif unifié. Guyancourt est ainsi membre de la Communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, tandis que les autres communes font partie de celle de Versailles-Grand Parc, un nom très emblématique de la mobilisation des héritages historiques locaux. Ces deux collectivités territoriales se livrent à une forte concurrence afin d’attirer des entreprises et des activités innovantes, notamment dans le cadre du développement du Plateau de Saclay.

Un espace riche bien desservi en transports à la recherche de nouvelles dynamiques

Moins recherché que le département des Hauts-de-Seine mais, néanmoins, très attractif, ce territoire connaît un fort dynamisme depuis plusieurs années. Ceci s’explique par l’image dont jouissent Versailles et ses alentours. « Versailles » est même devenu une marque déposée à l’INPI par la mairie et une série télévisée porte ce nom.

Dans un territoire où l’espace est finalement rare et le foncier cher, la refonte des emprises militaires a libéré ces dernières années de nombreuses emprises qui sont autant d’opportunités pour enclencher de nouvelles dynamiques dans le cadre d’importantes opérations d’aménagement (cf. zoom 1 et 3). Car le château de Versailles demeure une vitrine attrayante pour de nombreux acteurs économiques qui s’y s’installent comme l’éditeur de jeux vidéo Blizzard ou la direction de PSA Motorsports. Ceci est d’autant plus important que cette partie de la banlieue Ouest souffre d’un déficit d’emplois industriels et marchands du fait des difficultés d’aménagement entraînées par la présence du château et de son secteur protégé. Par conséquent, les habitants ont tendance à travailler hors des villes dans lesquelles ils résident. Ainsi, de nombreux cadres habitants ce territoire travaillent sur La Défense ou Paris.  

Bien que relativement distant de Paris, Versailles est en effet très bien desservi par les réseaux de transport. La ville dispose de trois gares vers La Défense/ Paris St Lazare, la gare Montparnasse et le RER C. La plateforme-multimodale de Versailles-Chantiers a été mise en service en 2019. Dans le cadre du Grand Paris Express, la ligne 18 passera par Guyancourt pour rejoindre Versailles-Chantiers et à terme Nanterre. Enfin, le réseau routier compte au nord la A13 - Autoroute de l’Ouest ou de Normandie, la Nationale 12 au sud et la A12 à l’ouest.
Dans le cadre des jeux olympiques de Paris en 2024, des épreuves auront lieu à Versailles (compétitions hippiques) et à Guyancourt (cyclisme). Les acteurs publics locaux - département et communes - ont beaucoup œuvré pour attirer ces compétitions. En effet, celles-ci vont permettre à Versailles et ses alentours de renforcer leur notoriété à l’échelle mondiale puisque certaines auront même lieu dans le parc du château.

Versailles, une « ville d’Etat » aux importantes fonctions militaires

Depuis des siècles, le rôle de l’État a été déterminant dans l’aménagement de la plaine de Versailles et de ses alentours. Quand on songe à la présence de l’État, chacun pense, d’abord, au château qui a incarné le pouvoir royal entre 1682 et 1789 puis ensuite au nombreux traités ou grands sommets internationaux et moments politiques décisifs (cf. zoom 1) qui s’y sont tenus. Versailles demeure, par ailleurs, un lieu de villégiatures pour les dirigeants. La résidence de La Lanterne attenante au parc du château, d’abord réservée aux Premiers ministres de la Ve République, est devenue en 2007 celle du Président de la République.

Mais son statut de ville d’Etat, Versailles le doit tout autant à la forte et historique présence des armées et des militaires dans la vie économique et sociale. Au sud-est de l’image se trouve ainsi l’Ecole miliaire de Saint-Cyr (zoom 3). Au sud du parc de l’autre coté de la route départementale se trouvaient le Camp des Matelots, occupé par un régiment du Génie aujourd’hui dissous, et le Camp des Mortemets. Ce sont aujourd’hui des espaces urbains en pleine reconfiguration du fait du départ de l’armée.

En revanche, au sud de l’image apparaissent deux autres importantes emprises foncières militaires sur le plateau de Satory. La partie Est accueille deux unités prestigieuses au rôle stratégique. Premièrement, le fameux GIGN - groupement d’intervention de la Gendarmerie nationale – une unité d’intervention d’élite formée en 1974 et spécialisée dans le contre-terrorisme, la libération d’otages, la lutte contre le grand banditisme, la protection et la sécurité…  Deuxièmement, le GBGM – Groupement blindé de gendarmerie mobile – spécialisé dans les opérations de maintien de l’ordre. Il est particulièrement chargé de garantir la sécurité et la liberté d’action des organes gouvernementaux majeurs situés à Paris et en Ile de France. Il constitue en effet une réserve gouvernementale prévue pour les situations de crise grave, tout en intervenant dans l’ensemble du territoire ou en opérations extérieures.

A l’ouest se trouve le camp de Satory, installé en 1834 sur d’anciennes parcelles agricoles et où furent détenus une grande partie des prisonniers communards en 1871. Il accueille aujourd’hui plusieurs milliers de fonctionnaires de la défense et leurs familles et d’importants acteurs des industries d’armements, comme Nexter Systems qui a succédé à GIAT Industrie. On y assiste aujourd’hui à une diversification des fonctions, avec par exemple la création en 2010 de l’IFSTTAR (Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux). Sur ce plateau en reconversion partielle se déploie une importante opération foncière et d’urbaine – le projet ZAC Satory-Ouest de 236 ha. – porté par l’Etablissement public Paris - Saclay. La volonté de la ville de Versailles est de mieux relier ce pôle urbain – le « 7ème quartier » - à la ville en profitant des restructurations militaires.

Zooms d’étude

Zoom 1. Le Château de Versailles : une œuvre mondialement connue

Du relais de chasse au château, une référence de l’Europe classique

L’histoire du château commence en septembre 1623 lorsque Louis XIII entreprend la construction d’un relais de chasse sur une éminence qui surplombe le petit village de Versailles. Quatre ans plus tard, le roi décide d’y aménager un parc d’une quarantaine d’hectares constitué de longues allées rectilignes. Si Versailles doit beaucoup à Louis XIV, son père avait déjà jeté les bases de ce que sera le futur palais. Il fait acheter par l’État la seigneurie dont dépend sa nouvelle résidence.

En 1660, celui qui n’est pas encore le Roi-Soleil décide d’agrandir à nouveau le parc qui fait désormais plus de 600 hectares et d’aménager la demeure de son père pour la rendre plus confortable. Il commence à y recevoir la Cour, mais l’espace manque. Louis XIV se résout alors à faire de sa maison de campagne « familiale » un palais digne de la monarchie française et du prestige de son roi. Il doit correspondre à celui qui se veut être l’incarnation de l’État : il doit être le vecteur de son message politique. Le château, le parc et la ville sont le reflet d’un programme iconographique : le mythe d’Apollon-Soleil y est en permanence décliné.

En 1678, les appartements prévus pour la famille royale deviennent trop exigus et le roi décide d’y ajouter l’aile du Midi puis, en 1684, l’aile du Nord bien visibles sur l’image. Le château prend définitivement l’allure qu’il a encore aujourd’hui, celle d’« un petit homme qui aurait de grands bras, une grosse tête, c’est-à-dire un monstre en bâtiments », selon Colbert. En 1682, Versailles devient résidence officielle du roi. Ce n’est déjà plus un village et la petite ville est promue capitale avec les services qui s’y rattachent : ceux directement liés au roi (les communs, les écuries) et ceux qui font fonctionner l’État (ministères). En 1687, le Trianon de marbre (ou Grand Trianon) remplace celui de porcelaine.

En Europe, Versailles devient alors un modèle architectural et urbanistique remobilisé dans de nombreux pays par les Rois (Schönbrunn à Vienne, Sans Souci à Berlin, Saint-Pétersbourg…) ou les Princes (La Granja en Espagne ; Cassel, Karlsruhe, Ludwigsburg, Mannheim, Brühl, Bonn… en Allemagne).

Durant la Régence, Versailles est abandonné par la Cour ; mais en 1722, le jeune Louis XV décide de s’y réinstaller. En 1768, le Petit Trianon est achevé et en 1785 le Hameau commandé par Marie-Antoinette est terminé. Versailles demeure la ville du roi jusqu’aux journées d’octobre 1789. Car le départ de Louis XVI fait alors du château une coquille vide. Toutefois, l’État – même révolutionnaire - reste présent lorsqu’il décide d’y apposer des scellés sur l’ensemble du domaine afin d’y interdire l’accès (1792), de vendre le mobilier (1793), d’abattre les grilles du Château (1794), d’assécher le Grand Canal et d’en faire un muséum ouvert au public (1795). Ces mesures de préservation vont être d’une grande importance pour l’avenir du château et du parc.  

L’Etat décide ensuite de donner de nouveaux rôles à Versailles. Napoléon Ier le fait visiter au pape Pie VII afin d’envoyer un message politique aux catholiques et aux cours étrangères. Lors de la Restauration, Louis XVIII tente de remettre en état les appartements royaux afin de rappeler aux Français que la monarchie reprend ses droits et se réapproprie ses lieux symboliques.

Depuis le 1er Empire : préservation et muséification

La véritable renaissance du château date de 1833 quand le roi Louis-Philippe confie à l’architecte Nepveu la tâche de réaliser de gigantesques travaux de transformation dans le but de le transformer en musée d’histoire « à toutes les gloires de la France », une phrase que l’on retrouve encore sur la façade du château. Tous les appartements - à l’exception de ceux du couple royal - sont transformés en salles de musée. Le 10 juin 1837, Louis-Philippe l’inaugure. La Monarchie de Juillet veut que ce monument, qui relaie la politique du régime - celle du « juste milieu » - soit plus facilement accessible depuis la capitale. Une première ligne de chemin de fer – Paris St Lazard - Versailles rive droite - est inaugurée en 1839, et une deuxième est lancée l’année suivante - Paris Montparnasse - Versailles rive gauche. Celles-ci vont jouer un rôle majeur dans l’urbanisation progressive de Versailles et des communes intermédiaires (Viroflay, Chaville, Sèvres…).  

Puis Napoléon III inaugure une pratique qui fera florès sous la Ve République avec l’organisation de réceptions dans les appartements du château. Lors de la guerre et de la défaite de 1870-1871, les Prussiens occupent à nouveau - comme en 1814 – la ville et profitent de ses nombreux bâtiments administratifs pour y organiser l’occupation. La galerie des Glaces, d’abord transformée en hôpital militaire, est de manière hautement symbolique le cadre de la proclamation de l’Empire allemand – le IIème Reich - le 18 janvier 1871 par Guillaume, jusqu’alors roi de Prusse, qui devient ainsi l’Empereur Guillaume 1er.

Lors de la Commune de Paris, le château devient le siège du gouvernement provisoire et de l’Assemblée nationale. La préfecture est la résidence du chef du pouvoir exécutif, Adolphe Thiers. Versailles redevient un lieu de pouvoir. À Satory, après la Semaine sanglante, on juge et on condamne les communards. La ville est, désormais et pour longtemps auprès d’une partie de l’opinion publique, le symbole de la répression, de l’armée et du conservatisme, voire de la réaction, image dont elle a du mal parfois à se départir encore aujourd’hui. Il faut attendre 1879 pour que les institutions réintègrent Paris.

Entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, le château et la ville se sont peu à peu muséifiés. En 1883, la salle du « Jeu de Paume » est devenue un musée de la Révolution. De nombreuses campagnes de restauration du château ont eu lieu - 1957 après une vaste campagne lancée en 1952 dont le film de Guitry fut un des fers de lance, 1980, années 1990-2000, 2003-2020 - faisant du château un chantier permanent. La dernière tranche de travaux réalisés, dans le cadre du projet du « Grand Versailles », a vu l’accueil des visiteurs complètement modifié, la recréation de la grille royale, de nombreux réaménagements dans le parc, des restaurations… Le mécénat y joue un rôle essentiel associé à celui de l’État. Ainsi, après la grande tempête Lothar qui ravage le parc du château en 1999, de nombreux et riches donateurs des Etats-Unis apportent une aide financière conséquente à sa restauration. Actuellement et jusqu’en 2021, on peut le voir sur l’image présentée, la chapelle royale est recouverte d’échafaudages masqués par un trompe-l’œil étonnant.

Un symbole politique et un outil diplomatique de premier plan

Aux XXème et XXIème siècles, le château et sont cadre demeurent un symbole politique et un outil diplomatique de premier plan pour manifester la puissance de la République française aux échelles nationale et internationale.

A l’échelle nationale, les deux chambres – Assemblée nationale et Sénat - reviennent régulièrement à Versailles pour élire le Président de la République jusqu’à la Ve République. Elles peuvent aussi être réunies régulièrement en Congrès afin d’effectuer des révisions constitutionnelles comme lors du Traité de Maastricht en 1992 ou celui de Lisbonne en 2008. Le 16 novembre 2015, le Congrès y est encore réuni pour écouter le discours du Président de la République à propos du projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation.

A l’échelle internationale, Versailles accueille aussi de grands sommets internationaux ou des visites d’Etat bi- ou multilatérales. Deux grands traités y furent signés dans le passé : le Traité de Paris de 1783 qui achève la Guerre d’indépendance américaine face à Londres, le Traité de Versailles à l’issue de la Première Guerre mondiale. La signature du traité de paix mettant fin à la Grande Guerre avec l’Allemagne dans la galerie des Glaces est alors, pour Clemenceau à la fois une revanche sur la défaire de 1871 et un moyen pour le régime, fragilisée par une terrible guerre, de retrouver une nouvelle légitimité.

En 1982, François Mitterrand, tout juste élu président, décide d’y organiser un sommet du G7, regroupant les chefs d’État et de gouvernement des sept premières puissances mondiales. Les invités sont logés au Grand Trianon et les cérémonies sont fastueuses. Le président de la République socialiste se donne, grâce à Versailles, l’image d’un chef d’État - presque un monarque - modéré cherchant à rassurer ses partenaires et à redonner à la France une place qu’elle avait perdue, selon lui, sous son prédécesseur. Le sommet de la francophonie est, aussi, organisé à Versailles en 1986. En 1989, la ville et le château sont le cadre des festivités du bicentenaire : s’y déroule la reconstitution de la procession du Saint-Sacrement qui avait ouvert les Etats généraux en 1789.

La Ve République y reçoit aussi de nombreux chefs d’État comme la Reine Elisabeth II, le roi des Belges, Gorbatchev, Kadhafi, Xi Jinping…. Si Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande ont, un peu, délaissé Versailles pour les réceptions officielles, Emmanuel Macron, dès son élection, y a reçu de nombreux chefs d’État comme Vladimir Poutine en mai 2017 ou celui qui n’était pas encore empereur du Japon, Naruhito, en septembre 2018. En janvier 2019, l’actuel président de la République a inauguré une nouvelle pratique en y invitant 200 chefs d’entreprise du monde entier (Choose France). Dans son esprit, le palais de Louis XIV ne renvoie pas seulement un message politique, c’est aussi une vitrine, un cadre, pour servir les intérêts économiques de la France. Ses détracteurs ont vu dans cette politique un changement de destination de mauvais augure, un dévoiement du patrimoine au service de chefs d’entreprises multinationales devenus aussi importants que des chefs d’État.


Repères géographiques

Zoom 2. La ville de Versailles, une ville d’Etat patrimonialisée

Un riche patrimoine urbain légué par l’histoire

Cette image couvre la zone historique centrale qui s’étend à l’est du château. Cet espace est mis en ordre par les grands axes partant du château et les axes secondaires aux noms évocateurs (cf. boulevard de la Reine…). Il est marqué par le tracé géométrique des îlots urbains, symbolisé par exemple par les quartiers Notre-Dame et Saint-Louis. Il est organisé par les places (place Hoche, Carré St Louis, place du marché Notre Dame dite le « carré ») et les grands monuments d’origine (Grandes et Petites Ecuries) ou plus récents (Préfecture, Palais de justice, Mairie…), civils ou religieux (cathédrale St-Louis, église Notre-Dame, chapelle du Lycée Hoche…).

De nombreux monuments et lieux demeurent aujourd’hui encore des références très vivantes, comme la Salle du Jeu de Paume, où fut prononcé le 20 juin 1789 le fameux serment, le Théâtre Montansier, qui est le plus vieux théâtre à l’italienne du pays inauguré en 1777 par Louis XVI et qui sert aujourd’hui de cadre au « Mois Molière », certains hôtels particuliers comme l’Hôtel Lambinet, transformé en musée, ou le Domaine de Madame Elisabeth, appartenant au Conseil départemental. Edifiées par Mansard, les Ecuries du Roi – qui hébergeaient les chevaux de selle du roi - sont aujourd’hui transformées en Académie équestre Nationale du domaine de Versailles. Enfin, le Potager du Roi – qui approvisionnait la Cour – est encore cultivé. A proximité se trouve la fameuse Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles (ENSPV) qui est devenue une référence nationale dans la formation de nombreux paysagistes.

Dimension patrimoniale, protection et contraintes

La dimension patrimoniale est incontournable à Versailles et dans ses environs. Elle se traduit par des mesures de protection qui présentent de fortes contraintes urbaines, architecturales et financières pour les acteurs locaux, publics ou privés. Le cahier des charges édicté par le Ministre de la Culture et les Bâtiments de France est en effet très strict. La moindre modification intérieure ou extérieure des habitations doit être validée par la mairie de Versailles dans le secteur sauvegardé (cf. aménagement d’une cuisine ou une modification extérieure).

Par conséquent, les constructions neuves sont rares dans la ville de Versailles. Les programmes immobiliers doivent respecter l’esprit de l’architecture de la ville. Par exemple, la réhabilitation de l’ancien hôpital Richaud s’est accompagnée d’un programme immobilier assez traditionnel s’inscrivant dans un style architectural s’inspirant de Mansart. S’ils sont plus novateurs, les immeubles construits à proximité du Pôle multimodal de Versailles Chantiers ont cependant été confiés à des architectes de renom, comme Elizabeth de Portzamprac ou Patrick Bouchain.

La ville est donc constamment tiraillée entre d’un côté un souci de préservation du patrimoine - un concours existe ainsi pour les meilleurs ravalements de façade, et de l’autre une volonté de « dépoussiérer » une image encore considérée comme conservatrice (cf. manifestations culturelles comme le « Mois Molière » ou la Biennale d’architecture et de paysage). Le maire actuel, François de Mazières, largement réélu en 2020, essaie d’inscrire sa commune dans ce double processus, tout en essayant de la « verdir » avec la création d’un quartier-jardin entre le parc du château et Saint-Cyr sur l’ancien site de la caserne Pion (cf. zoom 3) ou de pistes cyclables, même si cela suscite des polémiques.


Repères géographiques

Zoom 3. L’ouest en mutation autour de St-Cyr et son Ecole militaire

Comme l’indique cette image couvrant l’ouest de l’image générale, cet espace connaît d’importantes restructurations du fait des retraits liés à la réorganisation des armées.

A côté du Pavillon de La Lanterne qui sert de résidence secondaire au président de la République, se trouve un des 18 centres de recherche régionaux de l’IRSTEA - Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement/ ex-INRA – avec ses bâtiments et ses champs qui viennent longer le parc du château. Il est axé sur la biologie des plantes, l’agriculture et l’écologie, l’alimentation et les aliments. Ce centre de recherche, ainsi que le site voisin de Jouy-en-Josas (hors image, plus à l’est), est une des composantes scientifiques de l’Université Paris-Saclay et d’AgroParisTech.

Deux importantes anciennes emprises militaires sont sur l’image en reconversion : le Camp des Matelots au sud-est et le projet Pion au centre. Le projet « Pion », un ancien site, va être transformée en un nouveau quartier-jardin. Enfin, au sud du Camp des Matelots, se déploie le site de Satory. La ville de Versailles ambitionne aujourd’hui d’y créer une ZAC de 200.000 m² sur d’anciens terrains militaires afin d’attirer les investisseurs privés.

Enfin, à l’ouest se trouve la commune de St Cyr l’Ecole dont le cœur est constitué par la fameuse Ecole miliaire de Saint-Cyr, qui forme les officiers de l’armée de terre. Cette institution est là encore étroitement associée à la royauté et au château de Versailles. Les locaux accueillent la Maison Royale de St Louis de 1688 à 1793, puis le Prytanée militaire de 1686 à 1793.  Napoléon 1er y déplace en 1808 l’Ecole miliaire qui se trouvait à Fontainebleau et l’Ecole spéciale militaire s’y implante de 1808 à 1940. Aujourd’hui, si l’Ecole elle-même part à Coëtquidan dans le Morbihan en 1945, St Cyr accueille toujours le Lycée militaire.


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Zoom 4. Le Chesnay et l’urbanisation de l’ouest

Si à l’ouest St-Cyr est à l’origine la seule commune ouvrière de l’image, le nord-ouest avec Versailles, Le Chesnay, Rocquencourt, La Celle St Cloud et Vaucresson présente un tout autre profil. Nous sommes là dans la Banlieue Ouest résidentielle aisée occupée par de nombreux cadres. Les villas huppées noyées dans la verdure se retrouvent ainsi dans le quartier versaillais de Glatiny ou dans la Chataigneraie.

Dans ce cadre, Le Chesnay apparaît comme une exception puisqu’y prédominent des bâtiments résidentiels collectifs de 5 à 6 étages dont on identifie bien la présence du fait de leur aspect géométrique. Cet important parc de résidences est le fruit d’une vaste opération immobilière construite ex-nihilo dans les années 1960-1970.

Elle est en symbiose avec la construction d’un Centre Commercial Régional de premier plan, Parly 2. Novateur à sa création, le centre avait ces dernières années connu un certain vieillissement et la montée de la concurrence de nouveaux centres commerciaux dans l’ouest francilien. Face à ces défis, les acteurs privés et publics cherchent donc à y monter en gamme. Les travaux de restructuration du centre commercial Westfield Parly 2, propriété du groupe international Unibail-Rodamco-Westfield, un des premiers groupes mondiaux dans l’immobilier commercial, s’inscrivent dans cette logique. Déjà considéré comme haut de gamme, il cherche à ce que des enseignes du luxe s’installent afin d’attirer une clientèle encore plus huppée qui se tournait jusque là davantage vers Paris pour effecteur ses achats (à l’origine, le nom de Parly 2 était Paris 2).


Repères géographiques

D’autres ressources

Sur Géoimage, du même auteur

Ile-de-France. La banlieue Sud-Ouest de Paris, entre recompositions urbaines et conservatismes
https://geoimage.cnes.fr/fr/geoimage/ile-de-france-la-banlieue-sud-ouest-de-paris-entre-recompositions-urbaines-et

Bibliographie et sitographie

Laurent Carroué, « Ile-de-France » (chap.1) in La France des 13 régions, coll. U, Armand Colin, Paris, 2017.
Philippe Subra, Le Grand Paris. Géopolitique d’une ville mondiale, coll. Perspectives géopolitiques, Armand Colin, Paris, 2012.  
Plan du Château et du domaine
http://www.chateauversailles.fr/sites/default/files/domaine_francais_mars16.pdf
Ville de Versailles. Plans de la ville
https://www.versailles-tourisme.com/documentations.html

Contributeur

Grégoire Gueilhers, professeur agrégé, Lycée la Bruyère de Versailles

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