Le cosmodrome de Plessetsk: une base spatiale russe dans la taïga des hautes latitudes froides

Créé en 1957, le cosmodrome russe de Plessetsk est l’une des plus grandes bases spatiales au monde avec 1 600 lancements depuis sa création. Spécialisé dans les activités militaires, il est situé en pleine taïga à 180 km au sud d’Arkhangelsk, située sur la Mer blanche, et à 800 km au nord de Moscou. Cette haute latitude permet en particulier des lancements sur des orbites très inclinées.
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Cette image montre une partie du vaste domaine du Cosmodrome de Plessetsk – le seul site de lancement orbital implanté sur le territoire européen –  au nord de la Russie. La rivière Severnaya serpente cette région occupée par la forêt boréale. Cette image a été prise le 10 septembre 2018  par le satellite Sentinel 2.


Hautes terres froides et taïga : désert et isolement, deux atout dans le choix de localisation du cosmodrome

De  fortes contraintes : des atouts dans les choix de localisation

Comme le montre l’image, le cosmodrome est situé dans l’Oblast d’Arkhangelsk, grande ville portuaire sur la Mer blanche qui se trouve 180 km plus au nord. Nous sommes ici dans un milieu forestier, plus ou moins dégradé, qui couvre l’essentiel de la surface. C’est le domaine de la grande forêt boréale, ou taïga en russe (pins, sapins, bouleaux). La topographie est celle d’un plateau de moyenne altitude largement couvert par un modelé d’origine périglaciaire (sables, nombreux marécages, lacs peu profonds…) ; la région appartient au bassin hydrographique de la Dvina du Nord qui - passant plus à l’est (hors image) - draine l’ensemble de la région avant de se jeter dans la Mer blanche en coulant vers le nord.

Nous sommes ici dans une zone naturelle quasi-désertique et sous-peuplée (50 000 hab., moins de 2 hab./km2) aux fortes contraintes des hautes latitudes. La région connait un climat continental froid avec des précipitations limitées, des étés frais (moyenne de juillet : 12 °C) et des hivers froids, voire glacés (moyenne de janvier : - 12 °C, pointes à - 45°C). Le nombre de jours de gel est compris entre 240 et 269 jours par an. Du fait de sa haute latitude, la région connaît entre début mai et fin juillet la période des « nuits blanches » (ou « soleil de minuit »). 

A ces contraintes environnementales répond une autre contrainte, réelle mais cependant relative à l’échelle de la Russie : l’isolement. Nous sommes en effet à 180 km d’Arkhangelsk au nord, 800 km de Moscou au sud-ouest et 650 km de Saint-Pétersbourg   à l’ouest. La région est cependant bien desservie pour des raisons historiques et géostratégiques par l’autoroute et la voie ferrée qui relie Moscou à Arkhangelsk. 

Ce sont justement ces contraintes et cette situation - très septentrionale (62°33’ nord), qui permet donc des lancements sur des orbites très inclinées - qui expliquent l’intérêt du site pour l’installation en 1957 en pleine Guerre froide d’un cosmodrome à vocation militaire.

Un site « secret défense » et une « ville interdite »

Géré aujourd’hui par les Forces spatiales de la Fédération de Russie et l’Agence spatiale Roscosmos, le site est initialement en 1957 une base de lancement de missiles balistiques nucléaires intercontinentaux vers les Etats-Unis. Du fait de son développement,  il va accueillir en 1966 les activités spatiales militaires du pays.

Ce site est jugé suffisamment névralgique pour être classé « secret défense » et ne pas figurer sur les cartes, son existence demeurant secrète jusqu’en 1983 malgré quelques 1 500 tirs entre 1966 et 1997. Ces choix sont alors fréquents, en URSS comme aux Etats-Unis, pour tout ce qui touche à l’arme atomique, aux vecteurs stratégiques et à la course à l’espace.

Au centre de l’image se trouvent deux villes bien visible. Au sud, Plessetsk est la vieille ville administrative de la région et compte aujourd’hui environ 10 500 habitants. Par contre au nord, Mirniy est la ville de l’espace. Elle est créée ex nihilo en 1957 par l’armée afin d’abriter les familles et le personnel du cosmodrome. Elle est classée « ville fermée » (« communauté territoriale administrative fermée », ZATO) en 1966. Elle accueille aujourd’hui environ 30 000 habitants. A l’ouest du cosmodrome se trouve le village de Savinski, lui aussi bien visible.  


L’organisation du cosmodrome de Plessetsk

Un vaste complexe technique en pleine taïga

A l’échelle mondiale, le cosmodrome de Plessetsk vient au premier rang avec 1 600 lancements depuis a création, largement donc devant le site de Baïkonour (1 200), Cap Canaveral en Floride (550), Vandenberg en Californie ou Kourou en Guyane (280).

 Comme le montre l’image, le cosmodrome s’étend sur une superficie importante (1 700 km2). On distingue au nord-est de l’image six complexes de lancement reliés et alimentés par un grand axe ouest-est qui passe au sud de ceux-ci. Ces complexes disposent de neuf pas de tir. Ceux-ci sont spécialisés puisque dédiés à un type de lanceurs (Soyouz, Cosmos, Tsyklon, Rockot, Angara). Le tout est complété par six complexes techniques assurant l’assemblage et le test des engins spatiaux qui arrivent en pièces détachées par voies ferrées. Les lanceurs, satellites ou autres charges viennent des grandes métropoles situées pour l’essentiel dans la partie occidentale de la Russie Moscou, Voronej, Samara, Saint-Pétersbourg) ou d’Omsk en Sibérie.

Ces pas de tirs sont ne peuvent sans de nombreuses installations annexes, mais essentielles : postes de commandement, station radar et contrôle des vols,  centre informatique et systèmes de transmission, station de fourniture électrique, stockage des équipements et matériels… Tout ceci est complété par un certains nombre d’installations militaires assurant la sécurité du site (état-major, garnison, hôpital militaire…). Enfin, à quelques six kilomètres au sud-est de Plessetsk se distingue bien l’aérodrome de Pero.

Politique, géostratégique et redistribution des cartes et des sites

Ces dernières décennies, l’activité du site a été très dépendante de la conjoncture économique et financière et de la situation politique du pays. Après les difficultés liées à l’éclatement de l’URSS et à la période de transition, 31 lancements ont ainsi été réalisés entre 2012, arrivée de V. Poutine à la tête de la Russie, et 2016.

Face à la forte dépendance de la Russie envers le Kazakhstan, où se trouve le cosmodrome de Baïkonour loué 115 millions de dollars par an jusqu’en 2050, Plessetsk a vu ces dernières années son rôle renforcé avec le transfert de quelques activités.  Il devrait être relayé cependant par  le nouveau cosmodrome de Vostochny situé en Sibérie orientale dans la région de l’Amour et actuellement en développement. A l’horizon 2020, l’agence spatiale russe Roscosmos estime qu’environ 45 % des lancements spatiaux s’effectueront à Vostochny, 44 % à Plessetsk et 11 % à Baïkonour.


D’autres ressources

Site Géoconfluences
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/breves/sites-lanceme...

Le site de la ville de Mirniy
http://www.mirniy.ru/official/cityinfo/16-fran231ais.html


Contributeur

Laurent Carroué, Inspecteur Général de l’Education Nationale