Le Maroc atlantique : littoralisation, métropolisation, mondialisation, El Jadida et sa région, aux portes de Casablanca.

Un fleuve qui serpente au milieu de la verdure de parcelles agricoles, des golfs qui s'étalent face aux rouleaux de l'Atlantique, un fortin Portugais du XVIème siècle... La région du Doukkala, et El Jadida sa capitale, sont à mille lieux des clichés habituellement associés au Maroc. Nous sommes ici à une heure de Casablanca : loin du "Maroc éternel" des brochures touristiques, mais au cœur du "Maroc utile" cher aux aménageurs, qu'ils soient coloniaux ou contemporains. Observer la région d'El Jadida vue de l'espace, c'est ainsi découvrir les ressources agricoles, minières et industrielles du Royaume, et c'est aussi questionner leur mise en valeur. C'est enfin, plus largement, s'interroger sur le devenir des villes moyennes face au processus de métropolisation du pays.
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Légende de l’image

Cette image de la côte Ouest de la Floride a été prise par le satellite Sentinel 2B le 3 février 2020. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.

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Repères géographiques

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Présentation de l’image globale

El Jadida : l'image satellite et le territoire

Depuis l'autoroute qui mène de Casablanca à la station balnéaire de Oualidia, le paysage déroule sa monotonie sur plus d'une centaine de kilomètres. Passées les immenses banlieues de la métropole, la route traverse une vaste plaine, à peine ondulée, parsemée de maisons et de bâtiments agricoles. Au bout d'une heure, le décor change et apparaissent les multiples cheminées du port de Jorf Lasfar, mais la route, à ce moment, s'éloigne de la côte.

Vue de l'espace, la région d'El Jadida présente un tout autre visage. Si la monotonie agricole se devine toujours, l’image satellite révèle une organisation du territoire d'une grande clarté. Une ville, un fleuve, un port, une autoroute : ce Maroc en vert et bleu présente la simplicité d'un schéma ou d'un croquis. En prenant de la hauteur, l'observateur retrouve ainsi l'essence de la réflexion géographique : l'idée qu'il existe derrière le paysage immédiatement accessible à hauteur d’homme des logiques, des structures et des dynamiques qui façonnent l'espace et les territoires. Etudier cette image d'El Jadida, c'est donc à la fois se plonger dans la compréhension d'une région, mais aussi dans la science géographique elle-même, dans ses méthodes, dans ses apports, dans son histoire : c'est là le cadeau de la technologie satellitaire à notre discipline.

Dans le numéro 158 de la revue des annales, paru en 1920, l’administrateur colonial J. Goulven, éminent spécialiste du Maroc, se livre à une étude régionale des Doukkala. Convocation des anciens, Ibn Khaldoun et Léon l'Africain en tête, présentation des tribus, mais surtout analyse géologique des sols, description des activités économiques et des promesses de mise en valeur : nous sommes ici en pleine géographie vidalienne.

Un siècle plus tard, difficile de résister à la tentation de cette première approche : l'Oum Er Rbia, plus grand fleuve du Maroc après le Drâa, creuse de ses méandres le plateau de la Meseta marocaine qui monte en pente douce depuis l'océan jusqu'à atteindre une altitude de 200 m au bas de notre image. Tout autour, des terres noires "d'une merveilleuse fertilité dont les géologues discutent encore l'origine", d'après Goulven, expliquent la mise en agriculture quasi complète de l'espace photographié et la couleur verte dominante de l'arrière pays (Voir zoom 1). Au nord, la côte rectiligne et sableuse s'interrompt pour laisser place à une avancée rectangulaire de falaises calcaires du crétacé, formant ainsi deux caps et deux baies occupées par la ville d'El Jadida, au nord ouest, et par le port de Jorf Lasfar au Sud-Est.

Les aménagements et infrastructures visibles depuis l'espace donnent à cette région son aspect schématique, si bien qu'elle semble être née sous les traits de crayon d'un auteur de la Géographie Universelle.

La ville d'El Jadida, dont la population avoisine les 200.000 habitants, s'est bâtie et s'étale autour de l’ex-cité portugaise de Mazagan (voir zoom 3). Elle est reliée depuis 2006 à la capitale économique du Maroc, Casablanca, située à 100 km, par une autoroute bien visible sur l'image. Cette autoroute dessert aussi le port et la zone industrialo-portuaire (zoom 2), vaste carré bien délimité à 15 km au sud.  De part et d'autre de cet ensemble industriel et urbain, de longues plages permettent une mise en tourisme du territoire : entre El Jadida et la ville d'Azemmour, située sur les rives de l'Oum Er Rbia, la future station balnéaire de Mazagan se voit dotée progressivement de plusieurs hôtels de standing. Au sud, au delà de Jorf, la côte est parsemée de stations balnéaires réputées au Maroc et bondées en été (Sidi Bouzid, Oualidia).

Derrière cette lecture de paysage émergent enfin des concepts clés de la géographie d'aujourd'hui, comme par exemple la littoralisation des hommes et des activités. La croissance et l'étalement de la ville d'El Jadida, l’agrandissement continu du port de Jorf Lasfar, les chantiers des hôtels du front de mer sont autant de signes de l'importance accrue des espaces littoraux dans la mondialisation. Cette dernière est en effet, ici comme ailleurs, une force majeure dans l'organisation et la dynamique territoriales.

Le monde, tout d'abord, ce sont les traces et les vestiges de la colonisation, dont la patrimonialisation est en cours à El Jadida. Le monde, ensuite, ce sont ces touristes internationaux, clientèle des Hôtels Pullman ou Mazagan et cibles du "plan Azur", programme national de développement de stations balnéaires. Le monde, surtout, c'est la vingtaine de bateaux bien visibles au large de Jorf Lasfar. Ils attendent pour la plupart de pouvoir venir charger du phosphate marocain, brut ou transformé en engrais, ou de venir décharger le charbon ou les céréales dont le Maroc manque.

Pour terminer, on ne peut comprendre cette photographie satellite en omettant le processus de métropolisation. Casablanca n'est pas loin, et sa nappe urbaine ne se dissipe qu'à une dizaine de kilomètres de la bordure Est de notre image. Le long fil de l'autoroute est là pour rappeler comment la capitale économique organise et influence le Maroc atlantique : cette photographie satellitaire est celle d'une région satellisée par la grande métropole marocaine.


Zooms d'étude

Zoom 1. Les plaines atlantiques : la ferme et le potager du Maroc

Un des greniers du Maroc

L'Oum Er Rbia, la "mère du printemps", traverse ce zoom d'étude. Le fleuve prend sa source à plus de 500 km, dans les montagnes du Moyen Atlas, et joue un grand rôle dans l'organisation du territoire marocain. Son cours est assez encaissé dans le plateau qu’il traverse et on perçoit très bien les processus d’érosion régressive qui entaille celui-ci, en particulier au sud-est de l’image.

Comme le montre très bien l’image, de part et d’autre du fleuve se trouvent des terres agricoles parmi les plus productives du Maroc. L’image satellite révèle cependant de petites parcelles et un habitat dispersé : les densités rurales sont élevées, la petite agriculture familiale est ici majoritaire et la pauvreté rurale prégnante. Dans la région, la moitié des exploitations agricoles fait moins de 3 ha.  

La présence de serres et de hangars, dans la partie centrale de l'image, rappelle néanmoins que cette agriculture est bien intégrée aux circuits commerciaux du pays, et plus largement que l'agriculture tient un rôle essentiel dans l'économie et la société marocaine (14 % du PIB et 40 % des emplois). Les cultures maraichères de la région (Tomates, haricots, poivrons) et fruitières (olives, raisins, cactus) sont commercialisées dans les marchés de gros de Casablanca et de Rabat, et de plus en plus exportées en Europe.

Les effets du plan Maroc Vert
 
C'est là un des effets du plan Maroc Vert, élaboré en 2008, qui vise la modernisation de l'agriculture du royaume. Le plan encourage l'intensification et la hausse des rendements, mais aussi la diversification des cultures. L'horticulture est ici dynamique, et la culture des fruits tropicaux, sous serres, se développe : bananes, avocats, papayes. Le plan vise aussi à lutter contre deux faiblesses structurelles de l'économie marocaine: sa dépendance aux importations, tout d'abord, et sa grande vulnérabilité face aux épisodes de sécheresses.

En quête d'autosuffisance agricole et de limitation des importations, l'Etat aide par exemple les producteurs de betterave à sucre et les éleveurs. En croissance de plus de 50 % depuis 2013, la culture de la betterave, centrée sur la région, couvre 50 % de la consommation nationale. Enfin, l'élevage intensif produit ici 20 % du lait du pays et 16 % de la volaille.

Le plan Maroc Vert vise enfin le développement de l'irrigation : la culture en « bour », c'est-à-dire dépendante des eaux pluviales, souffre de fortes variations interannuelles qui affectent en rebond le PIB du pays. Les cultures irriguées, encore minoritaires, utilisent la ressource du fleuve valorisée par les nombreux barrages qui parsèment son cours (barrage Daourat, hors image, et surtout barrage d’Al Massira, à 150 km en amont).


Repères géographiques

Zoom 2. Jorf Lasfar, une ZIP stratégique et un port d'une importance capitale

A 20 km au sud d'El Jadida, le port de Jorf Lasfar est un des piliers de la stratégie industrielle du Royaume. Il tire son dynamisme de richesses situées dans l'arrière pays, à plusieurs dizaines de kilomètres à l'intérieur des terres, loin au delà des limites de notre image.

La vocation première du port et de la vaste ZIP attenante est en effet l'exportation et la transformation du phosphate des mines de Khouribga, situées 200 km à l'est, de Ben Guerir, situées à 150 km au Sud, et enfin de Youssoufia. La mise en valeur de cette ressource, qui fait du Maroc le second producteur et le premier exportateur de phosphates au monde, est l'affaire de l’Office Chérifien des Phosphates. Derrière ce nom d'entreprise publique du début du XXème siècle se cache une firme transnationale dynamique et tentaculaire, à l'importance capitale, dont l'Etat marocain est l'actionnaire principal.

Depuis son siège de Casablanca, les cadres de l'OCP pilotent l'extraction, la transformation et l'exportation des roches phosphatées, tout en multipliant les partenariats et les prises de participation à l'étranger. Sa sphère d'influence est plus vaste : dans le domaine universitaire, par exemple, l'OCP assure la formation d'ingénieurs et de développeurs sur des campus universitaires derniers cri, dont l'Ecole 1337, fondée sur le modèle des écoles 42 de Xavier Niel, et l'Université Polytechnique Mohamed VI de Ben Guerir.

Depuis les mines du "plateau des Phosphates", des camions et des trains assurent le transport des roches phosphatées vers les ports de l'Atlantique comme Casablanca et Jorf, Safi. Le port de Jorf Lasfar est aussi relié à Khouribga par un minéroduc, dit "Slurry Pipeline", qui achemine sur 200 km la matière première sous forme de pulpe additionnée d'eau. Les économies logistiques sont massives et cette réalisation permet à l'OCP de communiquer sur la prise en compte des enjeux environnementaux dans sa stratégie industrielle.

Dans la baie formée par le Cap Blanc, le port de Jorf Lasfar est spécialisé dans les secteurs minéraliers, chimiques et énergétiques, en lien avec les activités développées sur la zone industrielle attenante. L'OCP n'est pas seul à opérer sur le site, et partage la production d'engrais avec des acteurs internationaux du secteur de la chimie, qu'ils soient belges, allemands, pakistanais ( FAUJI), indiens (TATA), étatsuniens ou brésiliens.  La Z.I.P abrite aussi une centrale électrique, visible sur la côte au sud des quais principaux. Elle devrait aussi accueillir dans un avenir proche une station de dessalement d'eau de mer ainsi que le plus grand terminal pétrolier du pays.


Repères géographiques

Zoom 3. El Jadida : quel dynamisme pour les villes secondaires du Royaume ?

La patrimonialisation des héritages historiques

El Jadida  - La Nouvelle, en langue arabe - occupe le cap de Mazagan, à l’ouest de notre zoom. La ville tire son nom de son histoire. La colonie fortifiée de Mazagan - fondée en 1514 et occupée par les Portugais jusqu'au XVIIIème siècle - est détruite par ces derniers lors de son abandon en 1769. Restaurée en 1822, la ville connait depuis le début du XXème siècle une croissance continue, tant à l'époque du protectorat que depuis l'indépendance.

La particularité de la ville tient dans cette origine coloniale. La vieille ville n'est pas ici une médina mais une cité fortifiée, classée au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 2004. Ses remparts, que l'on devine sur notre image au niveau du port de la ville, et ses monuments historiques sont autant d'atouts pour servir les ambitions touristiques de la région.

Station balnéaire et ville nouvelle

Symboliquement, Mazagan est aussi le nom de la station balnéaire et de la ville nouvelle en cours de construction tout à droite de ce zoom, à proximité de l'hôtel Pullman dont le golf est bien visible en bord d'océan. Force est de constater, avec la cour des comptes marocaine, que ce plan Azur n'est pas parvenu à faire émerger un pôle touristique de grande envergure, et un même constat s'imposerait sur les cinq autres sites choisis tout autour du Maroc.

La faute en revient au contexte international, mais aussi au modèle de développement touristique choisi : la station balnéaire construite ex-nihilo n'a plus dorénavant le vent en poupe. Ni du côté des aménageurs, trop conscients des risques financiers encourus. Ni du côté des touristes ou des populations locales aux préoccupations assez éloignées de l'hédonisme estival tel qu'il se pratique au nord de la Méditerranée.

Le versant Sud de la grande conurbation littorale nationale

Si les aménagements touristiques relèvent du plan Azur, la ville nouvelle est davantage à relier à l’organisation du long ruban urbain littoral dont El Jadida est l’extrémité. Cette conurbation nait 200 km plus au nord, à Kenitra, et englobe à la fois la capitale politique et la capitale économique du Royaume.

El Jadida est un petit pôle administratif, universitaire et industriel (chimie, agroalimentaire, laboratoires pharmaceutiques) ; mais elle est avant tout une périphérie de Casablanca. Ses espoirs comme ses difficultés sont indissociables de la présence, à seulement 100 km au nord, de la grande métropole. Les deux villes ont d'ailleurs été réunies en 2015 dans la même unité administrative, la région de Casablanca-Settat.

Ce nom trahit une réalité douloureuse pour El Jadida : c'est bien, tout d'abord, le développement de la métropole voisine qui prime. Ensuite, l'axe de développement favorisé par la capitale économique part désormais vers le sud et la ville de Settat, le long de la route de Marrakech. Certes le pôle urbain de Mazagan compte parmi les grands projets structurants de la région, en cela qu'il permettra de déconcentrer les activités et les populations en faisant office d'edge city, mais il pèse bien peu face aux vingt projets prioritaires localisés à Casablanca.  


Repères géographiques

D’autres ressources

Site CNES Géoimage : dossiers du même auteur sur le Maroc
Mathias Lachenal :
Maroc. Contraintes, défis et potentialités d'un espace désertique marocain en bordure du Sahara : Ouarzazate
Maroc - Contraintes, défis et potentialités d'un espace désertique marocain en bordure du Sahara : Ouarzazate

Mathias Lachenal et Mathieu Merlet
Casablanca : les ambitions mondiales d'une métropole d'Afrique du Nord
Casablanca : les ambitions mondiales d'une métropole d'Afrique du Nord.

Bibliographie – Sitographie


Sur le plan Maroc Vert : site du ministère de l'agriculture. http://www.agriculture.gov.ma/

Sur le port de Jorf Lasfar
Site de l'agence nationale des ports : https://www.anp.org.ma
Site du ministère de l'équipement : http://www.equipement.gov.ma

Site de l'OCP : https://www.ocpgroup.ma

Sur les piliers de développement de la province d'El Jadida et la ville nouvelle de Mazagan :  
Site du conseil régional d'investissement : https://www.casainvest.ma
Sur le potentiel touristique ; site de l'Unesco : https://whc.unesco.org/en/list/1058/
 
J. Goulven, Annales de Géographie, n°158 /1920, consulté sur Persée :
https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1920_num_29_158_9179

Contributeurs

Mathias Lachenal, Professeur au Lycée Lyautey de Casablanca. AEFE

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