Québec. La Grande - Baie James : un des plus grands complexes hydroélectriques au monde dans les hautes latitudes froides
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LĂ©gende de l'image
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Cette image de la Baie-James dans la rĂ©gion administrative du Nord-du-QuĂ©bec, a Ă©tĂ© prise le 27 aoĂ»t 2021 par le satellite Sentinel 2A. Il sâagit dâune image en couleurs naturelles de rĂ©solution native Ă 10m.
Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2021, tous droits réservés.
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Présentation de l'image
La Baie James : la valorisation de lâ « or blanc »
du grand bouclier boréal par le Québec
Un milieu de hautes latitudes boréales froides et quasi-désertes aux fortes contraintes
Comme on peut le constater, toute la partie ouest de lâimage est occupĂ©e par une cĂŽte trĂšs dĂ©chiquetĂ©e, ourlĂ©e de nombreuses baies, petits caps, promontoires et Ăźles. Nous sommes lĂ sur le littoral oriental de la Baie James, une trĂšs grande baie qui continue vers le sud lâimmense Baie dâHudson, qui se trouve dans le nord-est du Canada.
Le reste de lâimage est constituĂ© dâun trĂšs vaste plateau. Sa topographie relativement uniforme et peu accidentĂ©e est dâorigine glaciaire comme lâindiquent lâusure et la forme des reliefs, lâorientation gĂ©nĂ©rale des cours dâeau est/ouest ou la prĂ©sence de trĂšs nombreux lacs ou Ă©tangs liĂ© au surcreusement glaciaire ou aux barrages morainiques. La vĂ©gĂ©tation est assez clairsemĂ©e. A lâest se trouve une immense Ă©tendue dâeau, dâorigine naturelle mais renforcĂ©e par dâimportants systĂšmes de digues et de barrages : câest le rĂ©servoir de LG2. Enfin, au centre de lâimage coule dâest en ouest la Grande RiviĂšre qui va se jeter dans la Baie James. Â
Nous sommes ici dĂ©jĂ trĂšs au nord, dans les zones borĂ©ales du QuĂ©bec au 53°40 de latitude nord. La rĂ©gion est un espace de pergĂ©lisol discontinu et sporadique. Elle est couverte par la forĂȘt borĂ©ale - ou taĂŻga - du bouclier canadien (sapins, Ă©pinettes, pins gris et mĂ©lĂšzes), mais qui est ici de qualitĂ© mĂ©diocre car dĂ©jĂ bien dĂ©gradĂ©e par le froid. On doit enfin noter lâimportance toute particuliĂšre des tourbiĂšres qui couvrent environ 25 % des surfaces. La rĂ©gion est marquĂ©e par un climat continental froid subarctique. Les tempĂ©ratures moyennes mensuelles de juillet (13,7°C) tombent beaucoup plus bas lors des mois dâhiver, en dĂ©cembre (- 17°C), janvier (- 23°C), fĂ©vrier (- 21,6°C) et mars (-14,6°C). Les hautes pressions froides arctiques peuvent en effet facilement descendre ici sans rencontrer le moindre obstacle, expliquant alors certains records de froids (- 44,6°C). La massivitĂ© de la masse continentale explique des volumes de prĂ©cipitations assez moyens (765 mm/an), un tiers tombant sous forme de neige. Â
Comme le montre lâimage, nous sommes enfin ici dans un espace immense, particuliĂšrement dilatĂ©, qui est trĂšs largement un dĂ©sert humain. Les seuls pĂŽles dâhabitat permanent sont Ă lâouest le petit village de Chisasibi et Ă lâest celui de Radisson. Avec une population permanente de seulement 350 personnes, la localitĂ© de Radisson est construite ex nihilo lors de la premiĂšre phase des travaux du complexe de La Grande ; situĂ©e Ă 5 km de la centrale Robert Bourassa, elle sert de base aux dizaines de milliers de travailleurs participant aux chantiers.
Au total, la densitĂ© moyenne sur lâimage est infĂ©rieure Ă 1 hab./ km2. Selon lâindice de nordicitĂ© utilisĂ© par les gĂ©ographes et amĂ©nageurs canadiens, la rĂ©gion se situe dans le Moyen-Nord. A quelques dizaines de km plus au nord commence le territoire du Nunavik. Radisson se situe Ă mi-chemin entre MontrĂ©al au sud et le village inuit de Salluit, situĂ© dans lâextrĂȘme nord arctique du QuĂ©bec.
Un espace de haute latitude aux échelles emboitées
Cet espace est rattachĂ© Ă la rĂ©gion administrative du Nord-du-QuĂ©bec. Couvrant 718 300 km2, elle reprĂ©sente 55 % de la surface totale du QuĂ©bec, mais nâest peuplĂ©e que de 45 400 habitants (5 % pop. totale du QuĂ©bec), soit une densitĂ© trĂšs faible de 0,06 hab/km2. Les autochtones, Cris au sud ou Inuits au nord, reprĂ©sentent 60 % de la population totale rĂ©sidente du Nord-du-QuĂ©bec. Â
Il est aussi couvert par lâARBJ, lâAdministration rĂ©gionale de la Baie James. CrĂ©Ă© en 2015, lâARBJ est une instance de concertation entre les diffĂ©rentes collectivitĂ©s locales, qui sont trĂšs Ă©loignĂ©es les unes des autres du fait de lâĂ©parpillement gĂ©ographique du peuplement. Elle a pour territoire dâaction la « JamĂ©sie ». SâĂ©tendant entre les 49em et 55em parallĂšles nord et sur 640 km dâouest en est, elle couvre 339 698 km2, soit 42 % de la rĂ©gion Nord-du-QuĂ©bec, 22 % du territoire du QuĂ©bec ou 61 % de la France mĂ©tropolitaine. PeuplĂ©e de seulement 30 000 habitants, dont 50 % de JamĂ©siens et 50 % dâAmĂ©rindiens Cris, la rĂ©gion est globalement en dĂ©clin dĂ©mographique et en voie de vieillissement aprĂšs le boom consĂ©cutif aux grands travaux hydrauliques.
Front pionnier, tensions géopolitiques et revendications des peuples autochtones
A lâaval de la Grande RiviĂšre, on distingue clairement sur lâimage en rive gauche, la tĂąche constituĂ©e par le village de Chisasibi qui est peuplĂ© dâIndiens autochtones Cris. Celui-ci se trouve Ă 37 km Ă lâaval de la centrale de La Grande 1 et Ă 80 km de lâamĂ©nagement Robert-Bourassa. MĂȘme si toute la rĂ©gion Ă©tait quasi-dĂ©sertique lors su lancement du projet, cet espace constituait traditionnellement les terres de pĂȘche, de chasse et de trappe de cette communautĂ©.
DĂšs 1972, elle sâoppose au lancement du projet, la centrale de La Grande 1 Ă©tant un des principaux points de discorde et de conflit. Son projet de construction en 1981 nĂ©cessita en effet le dĂ©part dâun millier de Cris de lâĂźle de Fort George, quâils occupaient jusquâici, du fait de la fragilisation du site par les lĂąchers dâeau de la centrale. Ils furent relogĂ©s Ă Chisasibi, le nouveau village construit ex nihilo sur la rive gauche du fleuve Ă 8 km de lâancien site littoral pour les accueillir en toute sĂ©curitĂ©.
Face Ă la montĂ©e des revendications autochtones amĂ©rindiennes, le Grand Conseil des Cris fut crĂ©Ă© en 1974 sous le terme dâEeyou Istchee afin de fĂ©dĂ©rer et reprĂ©senter lors des nĂ©gociations sur le projet de la Baie James lâensemble de ces populations. LâEeyou Istchee rassemble aujourdâhui en une seule entitĂ© neuf communautĂ©s et territoires spĂ©cifiques des quelques 18 000 Cris de lâEst, gĂ©ographiquement trĂšs Ă©parpillĂ©s sur des distances considĂ©rables. Â
Lâhistoire politique locale et la construction progressive de ce trĂšs vaste complexe sont parsemĂ©es de conflits successifs qui reflĂštent les importants enjeux gĂ©opolitiques que reprĂ©sente la mise en valeur du Grand Nord Ă la fois pour les autoritĂ©s du QuĂ©bec et pour les populations locales autochtones. En 1975, la Convention de la Baie James, est signĂ©e par les AmĂ©rindiens, les Inuits, le gouvernement fĂ©dĂ©ral et le gouvernement provincial du QuĂ©bec en vue de dĂ©finir les droits de chaque partie (dĂ©limitations des zones, compĂ©tences en matiĂšre de chasse, de pĂȘche, de trappe, dâĂ©ducation, de services publics, dâexploitation des ressources naturelles). Â
Mais les dĂ©saccords entre le QuĂ©bec et les Autochtones Cris demeurent nombreux durant les dĂ©cennies 1990/2000. Ils aboutissent, par exemple, en fĂ©vrier 2002 Ă la signature dâune nouvelle entente â la « paix des Braves » - qui concrĂ©tise lâĂ©tablissement dâune nouvelle relation et prĂ©voit une plus grande prise en charge, par les Cris, de leur dĂ©veloppement Ă©conomique et communautaire. Cette entente est particuliĂšrement importante dans la mesure oĂč elle ouvre la voie Ă lâamĂ©nagement au sud du complexe de La Grande des centrales dâEastmain-1 et dâEastmain-1-A avec dĂ©rivation partielle de la riviĂšre Rupert qui complĂšte (hors image) le complexe Robert-Bourassa.
La « municipalitĂ© » dâEeyou Istchee Baie James, une des plus vastes du monde
Administrativement, le territoire de lâimage - en particulier les principales installations du complexe hydroĂ©lectrique de La Grande au centre - appartient Ă la municipalitĂ© dâEeyou Istchee Baie-James. La premiĂšre municipalitĂ© de la Baie James est fondĂ©e Ă lâĂ©tĂ© 1971 afin de crĂ©er un cadre administratif de gestion au territoire ciblĂ© par le projet ; en mĂȘme temps donc que la SDBJ (SociĂ©tĂ© de DĂ©veloppement de la Baie James) et la SEBJ (SociĂ©tĂ© dâEnergie de la Baie James), une filiale dâHydro-QuĂ©bec. Mais depuis les annĂ©es 1970, son statut et sa structure ont beaucoup Ă©voluĂ© du fait de la reconnaissance des intĂ©rĂȘts autochtones pour aboutir Ă un systĂšme politique et institutionnel local en tout point spĂ©cifique.
En dĂ©cembre 2013, la municipalitĂ© de la Baie James est transformĂ©e en « Gouvernement rĂ©gional dâEeyou Istchee Baie-James ». Cette nouvelle collectivitĂ© territoriale est une exception, puisque câest la seule constituĂ©e en « gouvernement rĂ©gional » au QuĂ©bec. Elle exerce les compĂ©tences Ă la fois dâune municipalitĂ© locale, dâune municipalitĂ© rĂ©gionale de comtĂ© (MRC) et dâune confĂ©rence rĂ©gionale des Ă©lus. Son conseil de 22 siĂšges est partagĂ© Ă Ă©galitĂ© entre 11 Cris de lâEeyou Istchee et 11 JamĂ©siens des villes et localitĂ©s de la JamĂ©sie, qui gĂšrent donc cet espace conjointement de maniĂšre paritaire. Cette collectivitĂ© territoriale couvre une Ă©norme superficie de 224 700 km2, ce qui en fait une des collectivitĂ©s locales les plus Ă©tendues au monde (41 % de la France mĂ©tropolitaine).
Chisasibi : lâorganisation territoriale et spatiale dâune communautĂ© autochtone
Dans ce cadre, Chisasibi est bien visible sur lâimage, puisquâelle se trouve en rive gauche de la Grande RiviĂšre presque Ă lâembouchure de celle-ci dans la Baie James. Chisasibi dĂ©signe Ă la fois une PremiĂšre nation crie du QuĂ©bec, donc une communautĂ© humaine, un village cri, oĂč elle habite principalement (2 300 personnes), et enfin une terre rĂ©servĂ©e de 776 kmÂČ autour de celui-ci.
Les accords entre les communautĂ©s autochtones et les autoritĂ©s dĂ©bouchent sur une organisation de lâespace trĂšs spĂ©cifique. Ainsi, lâespace couvert par lâimage est partagĂ© entre trois grandes catĂ©gories de terres aux statuts juridiques et fonciers diffĂ©renciĂ©s.
En particulier, les territoires dits « conventionnĂ©s », suites aux ententes et conventions signĂ©es, comptent deux catĂ©gories dâespace. Les terres dites de catĂ©gorie I sont des terres rĂ©servĂ©es couvrant 776 kmÂČ. Les populations autochtones y possĂšdent lâensemble des droits et ces terres sont sous juridiction fĂ©dĂ©rale dâOttawa, car nous sommes au Canada dans un Etat fĂ©dĂ©ral. Elles sâĂ©tendent en rive gauche de la Grande RiviĂšre sur une bande dâenviron 50 km de long et 20 km de large Ă partir du fleuve.
Les terres de catĂ©gories II sont elles sous juridiction provinciale, donc du QuĂ©bec. Sur celles-ci, la communautĂ© Cris se voit reconnaĂźtre un droit exclusif de chasse, de pĂȘche et de piĂ©geage. GĂ©ographiquement, elles sâĂ©tendent pour partie en rive gauche, mais surtout en rive droite de la Grande RiviĂšre sur un espace beaucoup plus important de 110 km ouest/est sur 140 km nord /sud.
La riviÚre La Grande et son bassin hydrographique : un atout naturel profondément transformé par les grands aménagements
Comme le montre lâimage, la riviĂšre La Grande et son bassin hydrographique servent de colonne vertĂ©brale Ă lâensemble de la rĂ©gion ; au nord se trouve le bassin de la Grande RiviĂšre de la Baleine qui rejoint la Baie dâHudson Ă Kuujjuarapik et au sud le bassin de la riviĂšre Eastmaon. De par sa position gĂ©ographique et lâorganisation topographique et gĂ©ologique (socle et moraine de couvertureâŠ) de son bassin, elle prĂ©sente un atout exceptionnel. Longue de 893 km, la Grande RiviĂšre prend en effet sa source bien plus Ă lâest (hors image) sur le Plateau laurentien Ă plus de 500 m. dâaltitude. Son dĂ©bit annuel est de 1 700 m3 /s. pour un bassin versant naturel de 97 640 kmÂČ, ce qui en faisait le 4Ăšme cours dâeau du QuĂ©bec. De plus, sâĂ©tendant au nord du 53e degrĂ© latitude nord, ces vastes immensitĂ©s intĂ©rieures sont pratiquement inhabitĂ©es, les populations autochtones se concentrant ponctuellement comme nous lâavons vu dans la rĂ©gion sur le littoral plus accueillant de la Baie James.
Tout lâobjectif des grands amĂ©nagements rĂ©alisĂ©s depuis les annĂ©es 1980 est de dĂ©cupler le potentiel hydrographique de La Grande afin de produire de lâhydroĂ©lectricitĂ©. De gigantesques travaux de gĂ©nie civil vont donc transformer les Ă©coulements naturels afin de faire basculer les eaux vers le grand axe central. Au nord-est, les eaux du bassin supĂ©rieur de la Caniapiscau et de la Grande RiviĂšre de la Baleine sont dĂ©rivĂ©es vers le sud par le dĂ©tournement Laforge. Alors quâau sud-est une large partie des eaux des bassins de la Sakami, de lâOpinaca, de lâEastmain et de la Rupert sont captĂ©es pour alimenter le rĂ©servoir Robert Bourassa. Au total, le bassin dâalimentation de la Grande va doubler en surface en passant de 97 640 kmÂČ Ă 200 000 kmÂČ, une surface Ă©quivalente Ă 36 % de la France mĂ©tropolitaine. Ces opĂ©rations parviennent Ă doubler son dĂ©bit annuel Ă lâembouchure pour le monter Ă 3 300m3/s, contre 1 700 m3 Ă lâĂ©tat naturel avant travaux.
La construction par Hydro-QuĂ©bec dâun des plus importants complexes Ă©nergĂ©tiques au monde
Comme le montre lâimage, trois centrales hydroĂ©lectriques sont visibles sur lâimage. A lâamont, La Grande 1 est une centrale au fil de lâeau. A lâaval, les centrales de la Grande 2-A et Robert-Bourassa sont deux centrales souterraines cumulant 22 turbines et exploitant deux chutes dâeau de 136 m de hauteur. Elles sont alimentĂ©es par un immense rĂ©servoir qui porte le nom de lâancien PremiĂšre ministre du QuĂ©bec et « PĂšre de la Baie James » Robert-Bourassa. EntrĂ©e en service en 1981, ce complexe est aujourdâhui par sa puissance installĂ©e au 6em rang mondial des grands barrages, derriĂšre le Barrage des Trois Gorges (Chine), dâItaipu (BrĂ©sil/Paraguay), de Xiluodu (Chine), de Guri (Venezuela) et de Tucurui (BrĂ©sil). Â
Couvrant 2 835 km2, une superficie supĂ©rieure Ă celle du Luxembourg, câest le second plus grand rĂ©servoir du QuĂ©bec. Long de 121 km, il dispose dâun potentiel de stockage de 19 636 millions de m3 grĂące en particulier Ă un barrage en enrochement de 2,8 km de long et de 163 m. de haut dotĂ© dâun immense Ă©vacuateur de crue, qui est souvent pris en photo pour tĂ©moigner de la dĂ©mesure des travaux rĂ©alisĂ©s.
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LancĂ© en 1973 pour sa conception, le complexe de La Grande va ĂȘtre construit en deux tranches. La Phase 1 de 1973 Ă 1985 Ă©difie La Grande 2, la Grande 3 et la Grande 4. La Phase 2, qui se dĂ©ploie entre 1897 Ă 1996 Ă©difie La Grande 1, la Grande 2A, Laforge 1, Laforge 2 et Brisay. Ces immenses travaux vont mobiliser plus de 20 milliards de dollars canadiens. Ils vont nĂ©cessiter la construction de six aĂ©roports, sept villages et 2 100 km de routes carrossables afin de dĂ©senclaver ces espaces lointains et isolĂ©s. Ces chantiers vont mobiliser plus de 18 000 salariĂ©s Ă leur maximum pour la rĂ©alisation en particulier de 304 ouvrages de retenue (digues et barrages) aboutissant Ă la production de 286,6 millions m3 de dĂ©blais et remblais.
Au total, la Baie James â la Grande est aujourdâhui un des plus grands complexes hydroĂ©lectriques au monde. Ces huit centrales hydroĂ©lectriques disposent dâune puissance installĂ©e de 15 240 MW produisant 78,3 milliards de kWh par an. Il fournit plus de la moitiĂ© de lâĂ©lectricitĂ© produite par Hydro-QuĂ©bec.
Au sud du rĂ©servoir Robert-Bourassa Ă partie du lac Yasinski se dĂ©ploie un important axe routier bien visible sur lâimage, câest la TranstaĂŻga. Longue de 700 km, elle sâenfonce vers lâest dans lâintĂ©rieur des terres jusquâaux limites du Labrador pour desservir un chapelet de grands pĂŽles Ă©nergĂ©tiques complĂ©mentaires au complexe La Grande/Robert-Bourassa. Chacun dâeux couple un barrage-rĂ©servoir Ă une centrale. A 130 km se trouve La Grande 3 avec un rĂ©servoir de 2 420 km2, Ă 320 km La Grande 4 avec un rĂ©servoir de 765 km2, Ă 490 km La Forge 1, Ă 520 km La Forge 2, Ă 600 km la centrale de Brisay et Ă 661 km le rĂ©servoir de Caniapiscau.
Hydro-Québec et la Grande : un projet géopolitique et géoéconomique de 1er ordre
FondĂ©e en 1944, la sociĂ©tĂ© publique Hydro-QuĂ©bec devient lâunique producteur et distributeur dâĂ©lectricitĂ© au QuĂ©bec lors de la nationalisation de 1963 (cf. « maĂźtre chez nous »). Elle est Ă la fois un des grands symboles et un des principaux leviers Ă©conomiques et financiers de la lutte que mena le QuĂ©bec au sein de la FĂ©dĂ©ration canadienne pour voir reconnus ses spĂ©cificitĂ©s et ses droits Ă lâautonomie Ă partir de la RĂ©volution tranquille. Aujourdâhui, avec 20 000 salariĂ©s, elle gĂšre 63 centrales hydroĂ©lectriques qui fournissent 96,6 % de sa production Ă©nergĂ©tique avec une puissance installĂ©e de 37 310 MW.
LâĂ©lectricitĂ© reprĂ©sente Ă elle seule 37 % du total de lâĂ©nergie consommĂ©e au QuĂ©bec. MalgrĂ© lâimmensitĂ© du territoire, Hydro-QuĂ©bec a lâobligation de desservir lâensemble de la province avec des tarifs Ă©lectriques uniformes qui sont parmi les plus bas dâAmĂ©rique du Nord. Le prix de lâĂ©lectricitĂ© est en effet 43 % plus cher Ă Vancouver, 99 % Ă Toronto et quatre fois plus chers Ă New York et Boston. Disposant de vastes surplus, Hydro-QuĂ©bec exporte trĂšs largement sa production Ă©lectrique vers ses voisins canadiens (Ontario : 19 %, Nouveau-Brunswick : 7 %) et, surtout, vers la CĂŽte-Est des Etats-Unis (Nouvelle Angleterre : 47 %, dont Massachussetts et Maine, et New York : 24 %) grĂące Ă un rĂ©seau de transport de trĂšs haute tension de 34 361 km de long. La sociĂ©tĂ© vante aujourdâhui son modĂšle dâĂ©nergie propre, non carbonĂ©e et renouvelable pour faire sa promotion.
A lâĂ©chelle rĂ©gionale, la SociĂ©tĂ© de dĂ©veloppement de la baie James (SDBJ), dont le siĂšge est Ă Matagami, a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e en 1971 lors de la Loi sur le dĂ©veloppement de la Baie James. Elle a pour mission de favoriser le dĂ©veloppement Ă©conomique, la mise en valeur et lâexploitation des ressources naturelles autres que lâhydroĂ©lectricitĂ© gĂ©rĂ©e par Hydro-QuĂ©bec. Au-delĂ des 2 000 emplois dans lâexploitation forestiĂšre, la rĂ©gion voit se dĂ©velopper un certain nombre de projets miniers. Quatre mines sont en exploitation (or, zinc, cuivre) et des nouveaux projets sont Ă lâĂ©tude (lithium, diamants, fer-titane-vanadium).
Une marge pionniÚre boréale confrontée à la dictature des distances
Les chantiers de la Baie James se sont traduits par une dilatation historiquement inĂ©dite de lâespace productif quĂ©bĂ©cois vers le Grand Nord et une intĂ©gration progressive de cette marge jusquâici sous-intĂ©grĂ©es. Pour autant ce territoire pionnier est toujours soumis Ă la dictature des distances.
Vu du sud, câest-Ă -dire de MontrĂ©al qui se trouve Ă 1 400 km par la route, il apparaĂźt trĂšs trĂ©s lointain. Le lancement en juin 1971 du projet de la centrale de La Grande 2 nâa Ă©tĂ© rendu possible que par la construction entre 1971 et 1974 de 630 km dâune nouvelle route carrossable entre Radisson et Matagami, une petite ville miniĂšre elle-mĂȘme dĂ©jĂ marginale, oĂč se trouve le km0 de la mythique route de la Baie James. Lors de la premiĂšre phase de la construction de 1973 Ă 1985, celle-ci va permettre dâacheminer plus de deux millions de tonnes de matĂ©riels. Avec la fin des grands travaux, le trafic se normalise trĂšs rapidement. Mais ces vingt derniĂšres annĂ©es, le volume de la circulation a plus que doublĂ© et ne va cesser de croĂźtre avec les nouveaux projets miniers.
De mĂȘme, le projet de la Baie James nâaurait jamais pu voir le jour sans une innovation majeure dĂ©veloppĂ©s par les laboratoires dâHydro-QuĂ©bec : lâinauguration en 1965 de la premiĂšre ligne Ă©lectrique Ă trĂšs haute tension qui permet de transporter lâĂ©lectricitĂ© sur de trĂšs longue distance sans perte majeure dâĂ©nergie durant le trajet. Cette innovation a bouleversĂ© le dĂ©veloppement Ă©nergĂ©tique du QuĂ©bec en rentabilisant lâexploitation de ses formidables ressources hydrauliques. Aujourdâhui, Hydro-QuĂ©bec dispose de 6 lignes Ă trĂšs haute tension longues de 7 400 km reliant ses centres de production septentrionaux au QuĂ©bec utile du bassin du St Laurent, Ă lâOntario et aux Etats-Unis. Sur lâimage, on distingue assez bien celles-ci par les couloirs de dĂ©boisement que leur installation et fonctionnement supposent.
Une nouvelle interface multimodale entre le Sud-Québec et le Grand Nord arctique
En quelques dĂ©cennies, cette opĂ©ration de mise en valeur, dâamĂ©nagement et dâindustrialisation a profondĂ©ment bouleversĂ© les Ă©quilibres rĂ©gionaux et le fonctionnement des territoires quĂ©bĂ©quois. Aujourdâhui, lâespace de la Baie James est devenu une nouvelle interface multimodale entre le QuĂ©bec laurentien et le Grand Nord arctique, vers lequel nâexiste aucune route terrestre carrossable au-delĂ de Radisson.
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La route de la Baie-James assume ainsi un rĂŽle intermodal important. Les transporteurs acheminent les marchandises Ă destination du Grand Nord quĂ©bĂ©cois par voie routiĂšre jusquâĂ La Grande-RiviĂšre. De son aĂ©roport, elles sont ensuite distribuĂ©es par avion-cargo dans tous les isolats du Grand Nord.
LâaĂ©roport de La Grande-RiviĂšre est donc un point de raccordement important Ă la fois pour le trafic de passagers et le trafic de marchandises Ă destination des communautĂ©s Inuites de la cĂŽte de la Baie dâHudson et de la Terre de Baffin. On compte quelques 8 000 mouvements dâavions par an, 60 000 passagers et 7 500 t. de fret aĂ©rien. Il est utilisĂ© principalement par deux compagnies, Air Inuit et Hydro-QuĂ©bec (45 %). Cette derniĂšre y monte en avion ses salariĂ©s qui travaillent par rotation plusieurs jours durant dans le complexe de Baie James La Grande avant de redescendre retrouver leurs familles.
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Zooms d'Ă©tudes
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Zoom 1. Chisasibi et la centrale La Grande 1 : peuplement autochtone Cris et conflits dâamĂ©nagement
A 80 km en descendant la riviĂšre La Grande se trouvent successivement les installations de la centrale dâHydro-QuĂ©bec La Grande 1 puis 37 km Ă lâaval le village de Chisasibi. PosĂ© Ă lâabri en bordure du littoral de la Baie James, il est peuplĂ© dâIndiens autochtones Cris dont les territoires traditionnels de pĂȘche, de chasse et de trappe couvrent une large partie de lâimage. La construction de lâusine hydroĂ©lectrique de La Grande 1 nĂ©cessita le dĂ©placement dâun millier de Cris de lâĂźle de Fort George, fragilisĂ©e par les lĂąchers dâeau de la centrale, Ă Chisasibi, le nouveau village construit ex nihilo sur la rive gauche du fleuve Ă 8 km de lâancien site littoral pour les accueillir en toute sĂ©curitĂ©.
Comme le montrent bien les images, la centrale La Grande 1 est une centrale au fil de lâeau qui fit appel Ă 6.000 salariĂ©s durant sa construction avant sa mise en service en 1995. Le barrage de 330 m de long et haut de 31,5 m. est complĂ©tĂ© par une imposante digue au nord en rive droite. Le tout permet la crĂ©ation dâun rĂ©servoir long de 75 km, couvrant 702 km2 et disposant dâun volume dâeau de 9,8 km3. Celle-ci alimente 12 turbines dĂ©veloppant une puissance installĂ©e de 1.436 MW. Â
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Zoom 2. Le littoral de la Baie James et Wemindjil : une véritable mer intérieure continentale
Cette image qui couvre 120 km Nord/Sud couvre la partie orientale du littoral de la Baie James, avec la prĂ©sence en particulier des North et South Twin Islands. Du fait des basses altitudes, de la topographie, dâune structure de socle, des hĂ©ritages du modelĂ© glaciaire, de la faiblesse des marĂ©es et de la prise en glace des eaux une partie de lâannĂ©e, la cĂŽte prĂ©sente une structure particuliĂšrement dĂ©coupĂ©e (baies, criques, caps et Ăźles). Trois riviĂšres majeures, drainant le plateau intĂ©rieur lacustre, viennent se jeter dans la Baie James comme la RiviĂšre au Castor ou la RĂšre du Vieux-Comptoir. Le seul Ăźlot dâhabitat repĂ©rable sur lâimage par deux points blancs correspond Ă Wemindji, une municipalitĂ© de village Cri qui appartient au territoire dâEeyou Istchee.
Il convient de rappeler que la Baie James est en fait un vaste golfe - couvrant 68.300 km2 et assez peu profond avec une moyenne de 60 m. - prolongeant vers le sud-est lâimmense Baie dâHudson qui couvre elle 1,2 million de km2. Ce trĂšs vaste ensemble fonctionne comme une vĂ©ritable mer intĂ©rieure continentale reliĂ©e Ă la mer du Labrador puis Ă lâocĂ©an Atlantique par lâĂ©troit Hudson Strait qui se trouve entre la pĂ©ninsule dâUngava et la Terre de Baffin.
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Zoom 3. Radisson et les centrales Ă©lectriques R. Bourassa et LG-2 : un des plus grands complexes techniques et industriels mondiaux de lâhydroĂ©lectricitĂ©
A lâouest de lâimage se distingue la localitĂ© de Radisson. Construite ex-nihilo lors de la premiĂšre phase des travaux afin de loger les milliers dâouvriers et cadres nĂ©cessaires, câest aujourdâhui un petit pĂŽle de seulement 350 personnes qui sert de base-vie Ă toute la rĂ©gion du fait de la trĂšs large automatisation des tĂąches, de lâabsence dâune prĂ©sence permanente et de la rotation rĂ©guliĂšre des Ă©quipes par avion dans un milieu contraignant et isolĂ©. Â
Comme le montre bien lâimage, le complexe hydroĂ©lectrique situĂ© Ă 5 km Ă lâest de Radisson est un amĂ©nagement en tout point considĂ©rable. A lâest se dĂ©ploient les eaux du rĂ©servoir Robert Bourassa perchĂ© Ă 175,3 m. dâaltitude couvrant 2.835 km2, supĂ©rieure donc Ă la taille du Luxembourg, dâune longueur de 121 km et stockant une masse dâeau de 19,3 km2. Dans ce systĂšme de vastes plateaux tabulaires, il a fallu combler les points les plus bas Ă lâaide de grandes digues artificielles afin dâaugmenter la quantitĂ© dâeau stockĂ©e en montant la hauteur de stockage maximale Ă 175,3 m. On en compte au total 29, de tailles (de 6 km Ă 82 m.) et de hauteurs diffĂ©rentes. Le barrage est dâune taille gigantesque : 164 m. de haut, 2,8 km de long, 550 m. dâĂ©paisseur Ă sa base. De mĂȘme, on aperçoit bien le gigantesque Ă©vacuateur de crue en escalier taillĂ© dans la roche. Â
Lâeau du rĂ©servoir est entrainĂ©e vers deux centrales Ă©lectriques par les prises dâeau puis relĂąchĂ©e dans la Grande RiviĂšre par les galeries de fuite aprĂšs avoir fait tourner les turbines Ă©lectriques. A lâest, la centrale souterraine Robert Bourassa valorise une chute dâeau de 137 m. de dĂ©nivellation. ĂquipĂ©e de 16 turbines, elle dispose dâune puissance installĂ©e de 5.616 MW et peut produire 42,6 TWh/an. Pour sa part, la centrale La Grande 2A dispose de six turbines dâune puissance installĂ©e de 2.106 MW, soit un total de 7.722 MW pour cet ensemble.
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Zoom 4. La grande digue du barrage et lâaĂ©rodrome
Nous sommes ici au sud-ouest du dispositif principal, bien visible avec Radisson dans lâangle de lâimage. On aperçoit particuliĂšrement bien la grande digue de plus de 9 km de long qui ferme ici un seuil topographique afin dâĂ©lever le niveau des eaux stockĂ©es. Dans cette marge, lâoccupation humaine demeure ponctuelle, malgrĂ© les grandes opĂ©rations dâamĂ©nagement portĂ©es par ce gigantesque projet.
Le systĂšme rĂ©gional est localement organisĂ© par des Ăźlots techniques spĂ©cialisĂ©s Ă©loignĂ©s les uns des autres : base-vie de Radisson, postes Ă©lectriques, aĂ©rodrome qui joue un rĂŽle essentiel dans la connexion au Sud... On doit aussi relever les logiques rĂ©ticulaires, bien visibles Ă travers dâun cĂŽtĂ© les vastes couloirs Ă©lectriques des lignes Ă trĂšs haute tension qui emmĂšnent lâĂ©lectricitĂ© vers les grandes zones de consommation mĂ©ridionales (QuĂ©bec, Ontario, Etats-Unis...) sur des milliers de km ; de lâautre le rĂ©seau routier qui organise la liaison Nord/Sud et la circulation entre les diffĂ©rents sites dâexploitation.
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Zoom 5. La TranstaĂŻga et lâouverture vers les cinq grands systĂšmes orientaux
Au sud du rĂ©servoir Robert Bourassa apparait un axe routier Ouest/Est, câest la fameuse route TranstaĂŻga. Elle vient rappeler quâĂ partir du complexe Robert Bourassa, Hydro-QuĂ©bec sâest lancĂ© vers lâest dans la crĂ©ation dâun systĂšme hydroĂ©lectrique exceptionnel Ă lâĂ©chelle mondiale qui se dĂ©ploie sur plus de 600 km. On assiste Ă la crĂ©ation conjointe dâun systĂšme de barrages / rĂ©servoirs équipĂ©s de grandes centrales hydroĂ©lectriques : La Grande 3 Ă 100 km, La Grande 4 Ă 320 km, Laforge 1 Ă 400 km, Laforge 2 et, enfin, la centrale de Brisay avec le rĂ©servoir de Caniapiscau.
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Contributeur
Proposition : Laurent CarrouĂ©, Inspecteur gĂ©nĂ©ral de lâĂducation nationale, du sport et de la recherche, directeur de recherche Ă lâInstitut Français de GĂ©opolitique (UniversitĂ© Paris VIII)