Turquie / Syrie : les grands séismes de février 2023, entre aléa, risque, vulnérabilité et résilience

Le 6 février 2023, deux grands séismes de magnitude 7,8 et 7,5 se produisent dans le sud de la Turquie près de la frontière nord de la Syrie. Ils occasionnent des dizaines de milliers de morts et des millions de personnes sans-abri dans une région sous haute tension géopolitique frontalière entre la Turquie et la Syrie. Au total, 23 millions de personnes pourraient être touchées selon l’OMS. Traversée par de puissants champs de failles, cette région tectonique est pourtant bien connue pour ses hauts risques associés à l’aléa sismique, tout comme les technologies antisismiques permettant de réduire fortement la vulnérabilité des sociétés humaines face à telle une crise. Cette catastrophe n’est donc en rien fatale ; elle témoigne des profondes impasses d’un modèle de croissance spéculatif, extensif et court-termiste. Elle pose surtout en termes nouveaux la question d’une véritable sortie de crise fondée sur une nouvelle résilience systémique.
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Légende de l’image

Cette image de la région de Gaziantep en Turquie a été prise par le satellite Sentinel-2B le 25 janvier 2023, avant les seismes qui ont touché la région. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.

L'image satelitte ci-contre présente des repères géographiques de la région.

Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2023, tous droits réservés.


Repères géographiques

Présentation de l’image globale

Turquie/Syrie : un carrefour tectonique entre guerres,
crises et mal-développement

Au carrefour entre système méditerranéen, Anatolie et croissant fertile

Cette image satellite couvre un espace-carrefour se déployant entre le système méditerranéen au sud-ouest, le système anatolien au nord et le croissant fertile au sud-est. Il est depuis la plus haute antiquité une grande terre de civilisation comme en témoigne la longue histoire d’Alep, d’Antakya (Antioche), d’Iskenderun (Alexandrette) ou du site exceptionnel de Göbekli Tepe, (hors image, à 150 km au nord-est de Gaziantep) inscrit depuis 2018 au patrimoine mondial de l’Unesco.

Le système méditerranéen est représenté par le grand golfe d’Iskenderun dont on repère bien la forme quadrangulaire, la plaine côtière de Cilicie, plus ou moins étroite, et le bassin terminal du Ceyhan qui vient s’y jeter après avoir parcouru 500 km dans le nord-est montagnard de l’image.

Le système anatolien se déploie au nord de l’image à travers un ensemble de hautes terres, composé de chainons montagneux, de hauts plateaux et de bassins intramontagnards. Dans son bassin en relative position d’abri, Gaziantep se trouve ainsi par exemple à 832 m d’altitude. Au nord-ouest se trouve les derniers chaînons des Monts Taurus du Sud-Est d’orientation sud-ouest/nord-est ; cette puissante chaîne s’étend sur 600 km et culminent à 3.756 m. à Demirkazik (hors image). Pas très loin à l’ouest de l’image, l’Aladäglar Milli Parki est perché à 3.700 m. Au nord de l’image se déploient de puissants chainons d’orientation ouest-est couverts de neige en cette période de l’année et qui sont perchés entre 2.300 et 3.000 m.

Les Monts Nur sont facilement identifiables au centre de l’image. Longs de 150 km et culminant à 2.240 m, ils dominent deux bassins topographiques, dont celui d’Antakya (Antioche) emprunté par le fameux fleuve Oronte. Au plan géologique et morphologiques, nous avons là un vaste horst, un bloc de terre soulevé, dominant deux bassins d’effondrement, ou graben, en lien avec de puissants systèmes de failles. Cette puissante barrière rectiligne est franchie au sud par le Col de Belen – les fameuses Portes de Syrie pour qui venait de l’ouest - sur le grand axe Iskenderun / Alep ou Lattaquié ; au nord par le Col de Bahçe – ou les Portes Amanides – entre Osmaniye et Gaziantep.

De nombreux barrages sont repérables sur l’image. Car de ces hautes terres bien arrosées descendent de nombreux cours d’eau équipés de très nombreux barrages (irrigation, hydroélectricité), dont la branche occidentale – ou Karasu - du puissant Euphrate à la limite orientale de l’image qui prend sa source dans les hauts plateaux anatoliens au Mont Kargapazari (3.290 m.) près d’Erzurum. On distingue en particulier le barrage de Birecik construit par la Turquie dans le cadre du grand projet du Sud-Est Anatolien, juste avant l’entrée du fleuve en Syrie ; cet ouvrage renvoie aux conflits hydro-géopolitiques pour le partage des eaux du Tigre et de l’Euphrate entre la Turquie à l’amont et la Syrie et l’Irak à l’aval.   

Le Sud-Est se rattache en effet géographiquement aux grands plateaux syriens de l’intérieur, entre Levant et croissant fertile, dominés par la grande ville d’Alep bien visible sur l’image, qui se trouve à 340 m. d’altitude à 120 km de la mer. Elle est surtout à seulement 45 km de la frontière turque, dont le tracé est d’autant plus visible que le « mur » frontalier construit par la Turquie isole une large bande de terre. Depuis le déclenchement de la guerre civile, cette région de la Syrie est divisée, comme l’étudie le géographe Fabrice Ballanche, en quatre zones principales contrôlées par des entités différentes en conflit : Alep et sa périphérie par les forces pro-Assad (armée régulière, forces russes et iraniennes, Hezbollah), la région d’Idlib par les rebelles HTS (Hayat Tahrir al-Sham) héritiers d’Al-Qaïda, au nord d’Alep le long de la frontière les rebelles pro-turcs – eux-mêmes divisés en multiples milices - contrôlés par l’armée turque qui s’est ainsi constitué une enclave / zone-tampon, et enfin à l’est la zone kurde tenue par les forces démocratiques syriennes du FDS. Avant le conflit et du fait des ravages d’années de conflits, plus de 4 millions de personnes dépendaient déjà de l'aide humanitaire avant le séisme.   

Deux importants séismes ravageant la région

Dans la nuit du lundi 6 février 2023 à 4H17 du matin heure locale, cette région du Sud-Est de la Turquie et du Nord-Ouest de la Syrie est frappée par un premier séisme de magnitude 7,8 sur l’échelle de Richter. Situé à 18 km de profondeur, il est suivi de centaines de répliques dont certaines très puissantes. Son épicentre est localisé sur la ville de Pazarcik, dans la province de Kahramanmaras, à quelques kilomètres au nord-ouest de Gaziantep. La zone dévastée fait au moins 500 km de large et s'étend jusqu'en Syrie. Il touche les provinces d’Adiyaman, Kilis, Osmaniye, Gaziantep, Malatya, ainsi que Şanliurfa, Diyarbakir, Adana et Hatay, peuplées de 13,5 millions de personnes, dont environ 2 millions de réfugiés syriens lié à la guerre.

Un second séisme, de magnitude 7,5, directement provoqué par le premier avec une intensité similaire, (appelé « séisme déclenché)  intervient quelques heures plus tard, à Akapinar à 4 km au nord-est d’Ekinözü, à 95 km au nord-est de l’épicentre du premier, à 13H24 heure locale à 10 km de profondeur. Il amplifie, avec les nombreuses répliques, la destruction des immeubles et structures déjà fragilisés par le séisme précédent, rendant d’autant plus difficile le travail des secouristes sur place et aggravant le bilan humain. Des dizaines de milliers de bâtiments (immeubles de logements, écoles, hôpitaux...) s’effondrent ou devront être démolis. La destruction des voies de communication (routes, ponts, tunnels) et des équipements de base (santé, électricité, eau potable, réseaux d’assainissement...) ou le manque de nourriture... posent de redoutables problèmes, en particulier dans les espaces confrontés aux chutes de neige et aux basses températures hivernales (- 10°C). Alors que de nombreux sites et villages ruraux demeurent isolés, en particulier en montagne, on assiste localement et régionalement à d’intenses migrations des familles sinistrées des zones urbaines vers les villages et les banlieues afin de trouver un abri plus sûr.

Les images satellite prises avant et après le tremblement de terre permettent de cerner l'étendue des dégâts avec des niveaux de résolution qui permettent d'iditenfier les zones imapctées : habitaions, îlots ou quartiers (cf. voir zooms). On constate ainsi que de nombreuses villes ou agglomérations sont touchées telles Kahramanmaras, proche de l’épicentre, Iskenderun, Antakya, Adiyaman, Islahiye, Nurdagi ou même Alep. Des quartiers entiers sont ravagés, des centaines de tentes de secours sont dressées dans les parcs, jardins ou places.

Enfin, les fissures qui témoignent de la grande fragilisation du barrage de Sultansuyu sont extrêmement inquiétantes.  Situé à 200 km au nord de Gaziantep (image ci-contre), ce réservoir retient 53 millions m3 d’eau. Dans une région qui sert de château d’eau pour l’irrigation et la production hydraulique, les multiples barrages sont aujourd’hui au centre des préoccupations des populations.

Une région tectoniquement active et bien connue d’ampleur mondiale

La région est bien connue et de très longue date pour sa sismicité puisque la Turquie se trouve dans une zone d’affrontement entre plaques qui se traduisent par de grands systèmes de failles. Cette tectonique - d’ampleur mondiale par la puissance des affrontements qui s’y déploient – présente une large gamme de dynamiques : subduction, failles transformantes à grande échelle, formation de montagnes par compression et extension de la croûte. Elle peut se décliner à différentes échelles spatiales.

A l’échelle mondiale, la Turquie est l’un des nombreux maillons du grand système tectonique dynamique qui compose toute la bande méridionale de l’immense continent eurasiatique sur plus de 10 000 km. La remontée de multiples plaques de taille variable vers le nord s’y traduit en effet par la création d’une succession de gigantesques systèmes montagnards récents et instables : Pyrénées, massif alpin, péninsule balkanique, système anatolien, Caucase et Iran, Afghanistan, et Himalaya. On retrouve un peu la même logique d’immense contact continental dans l’hémisphère américain - des Aléoutiennes à la Terre de Feu (cf. ceinture de feu du Pacifique), mais organisé sur une logique nord/sud et non plus ouest/est et par un contact maritime.

A l’échelle continentale, la Turquie appartient aux systèmes tectoniques très actifs qui s’étendent des Balkans et de la mer Egée à l’ouest à l’Iran puis à l’Afghanistan à l’est. Alors que le fossé de la mer Rouge s’écarte par divergence de 15 mm/an, la plaque arabique remonte vers le nord-est de 34 mm/an, la plaque indienne de 41 mm/an et la plaque arabique de 24 mm/an dans le nord de l’Irak vers le Kurdistan.   

A l’échelle sous-continentale ou régionale, la Turquie est composée en position centrale d’un vaste bloc anatolien qui est confronté à la remontée vers le nord des plaques arabique et africaine qui le poussent en retour contre la plaque eurasiatique. Dans ce vaste mouvement, un système en biseau ou en coin se déploie et explique que le bloc anatolien glisse de l’est vers l’ouest. Au centre de trois plaques tectoniques, la plaque anatolienne constitue donc l'une des zones sismiques les plus actives au monde. La faille nord-anatolienne connait en effet un mouvement relatif de 2 cm/ an et la faille est-anatolienne un mouvement relatif de 5 mm à 1 cm/ an.

Les séismes de février 2023 dans un cadre tectonique et sismique continental

Plaques tectoniques et grandes failles

Le système tectonique régional au carrefour d’un double mouvement

C’est dans ce contexte tectonique général que les deux séismes du mois de février s’enclenchent. Comme le montre les cartes de localisation, si le séisme a été ressenti dans une très large partie du pays et aussi en Syrie et en Irak jusqu’à Bagdad, la zone la plus impactée (niveau strong) couvre environ 91.000 km2. En son sein, les zones aux intensités sévères à extrêmes sont plus restreintes mais tout de même considérables.  

Comme le montre la carte des différentes secousses de l’USGS, nous sommes bien face au jeu et au rejeu de deux systèmes tectoniques aux orientations et aux logiques différentes mais qui se superposent et conjuguent leurs effets dévastateurs sur un même territoire. L’axe du premier séisme suit le plan de la grande faille est-anatolienne d’orientation sud-ouest/nord-est. L’axe du second séisme suit le plan est-ouest de la grande faille nord-anatolienne. La cartographie des déplacements des structures – qui peuvent aller jusqu’à 10 m. - témoigne de la puissance et de l’intensité des mouvements coulissants ou des décrochements opérés selon les deux logiques tectoniques. Il semble que le 1er séisme a libèré une partie des contraintes qui s'accumulaient sur les autres segments de faille au fil du temps provoquant en retour le 2em séisme.

Impact régional évalué et présenté par la NASA

Séisme de février 2023. Le système tectonique régional au carrefour d’un double mouvement

Dans ce contexte, de nombreux experts s’interrogent sur les dynamiques de la faille nord-anatolienne longue de 1.400 kilomètres. Elle connait en effet une progression systématique d'est en ouest - d’Erzincan en 1939 à Izmit en 1999 - de séismes décrochants dévastateurs tout au long du XXe siècle comme ceux de 1939, 1943, 1944, 1967 et 1999. Ce processus atteint aujourd’hui la mer de Marmara et donc la région de la mégalopole d’Istanbul peuplée de plus de 15 millions d’habitants. Alors que le taux de petits séismes sous la mer de Marmara a nettement augmenté depuis le grand séisme d'Izmit (17 août 1999, 7,6, 17.000 morts), l'USGS étasunienne estime à 62 (± 15) % la probabilité de fortes secousses à Istanbul dans les 30 prochaines années et à 32 (± 12) % cette probabilité dans les dix ans qui viennent.

Cartographie du déplacement des structures

 Turquie / Syrie la question de la sécurité des barrages hydrauliques

Le rôle de l’espace dans les systèmes d’alerte et d’actions d’urgence

Lors de ces grandes catastrophes, un des volets de la mobilisation de la communauté internationale pour venir en aide aux personnes sinistrées repose sur la mobilisation des observations par images satellitaires, optique ou radar. En quelques heures, les satellites des agences spatiales sont (re)programmés pour couvrir la zone touchée. Une flotte de plus de 200 satellites sont mobilisables à toute heure. Cette « révolution spatiale » repose sur les fantastiques progrès liés aux innovations technologiques d’observation de la Terre avec des résolutions passant en quelques années de 50 à 20 m. à 30 cm aujourd’hui dans le civil d’un côté, et aux logiciels de traitement des données et au développement d’outils numériques adéquats (intelligence artificielle) de l’autre.

Ces données satellitaires sont compilées pour produire rapidement des cartes de dégâts ou d’accès, souvent à des échelles très fines. Ces documents constituent une aide majeure pour la coordination des interventions des autorités gouvernementales, de protection civile et de la communauté humanitaire. Car en capturant la situation vue de l’espace, avec des satellites très haute résolution, le spatial apporte rapidement des informations cruciales. L’autorité turque de gestion des catastrophes et urgences, l’AFAD a ainsi demandé l’activation de la Charte Internationale « Espace et Catastrophes Majeures à 7h04 heure locale et les Nations unies à 11h29 heure locale via Unitar pour la Syrie.

En effet, cette stratégie de collaboration internationale est définie par la Charte Internationale « Espace et Catastrophes Majeures » qui fut créée en 2000 à l’initiative du Centre National d’Études Spatiales – CNES – et de l’Agence spatiale Européenne – ESA. Dépassant les clivages géopolitiques ou économiques, son objectif est de fournir un accès universel à la donnée spatiale lorsque des situations d’urgence humanitaire. La charte regroupe aujourd’hui 17 agences spatiales et météorologiques. Début 2023, on compte 800 activations cumulées dans plus de 154 États. Elle est aussi complétée par des initiatives similaires en Europe avec Copernicus Emergency ou en Asie avec Sentinel Asia.

Depuis 2012, le système Copernicus EMS Rapid Mapping, qui fait partie d'un service central de la Commission européenne, fournit à tous les acteurs impliqués dans la gestion de situations d'urgence des informations géospatiales précises et opportunes dérivées de la télédétection par satellite et complétées. Dans le cadre d’un consortium mené par e-GEOS, le Sertit de Strasbourg, du Laboratoire des sciences de l'ingénieur, de l'informatique et de l'imagerie (ICube, Unistra/CNRS/Engees/Insa), réalise en urgence une cartographie des zones touchées grâce à un service d'astreinte 24 h/27 et 7 jours sur 7.

Dans un second temps les données satellitaires (notamment celles issues des satellites Copernicus Sentinel-2) sont compilées pour produire des cartes qui permettent d'identifier les ruptures de surface afin de déterminer les déplacements le long des failles. Des décalages spatiaux impresionnants de l'ordre de 3 m à près de 10 m sont identifiés avec une grande variabilité géographique le long des failles.

La mission Copernicus Sentinel-1 embarque un instrument radar capable de détecter le sol et de « voir » à travers les nuages, de jour comme de nuit Les images  acquises ont permis de réaliser les premiers traitements interférométriques afin de mettre en évidence les mécanismes au foyer. Ainsi la zone de déformation observée est exceptionnelle, en débordant largement de l'image très vaste de 240 km de large et de plus de 300km le long de la trace. 

La gestion des risques en débat

Comme il l’a été souligné, le sud de la Turquie et le nord de la Syrie ont connu des séismes dévastateurs dans le passé. En Syrie par exemple, Alep a été historiquement dévastée plusieurs fois par de grands tremblements de terre notamment ceux de  1138 et 1822, causant entre 20 000 à 60 000 morts. A la vue de ces deux catastrophes, de nombreux observateurs se demandent comment est-il possible que, dans une zone connue pour être aussi instable, tant d’infrastructures et de bâtiments – souvent très récents et de grande hauteur - se soient effondrés.

Les techniques de construction modernes devant permettre aux bâtiments de résister à des tremblements de terre de cette ampleur existent et sont connues, comme en témoignent en Turquie les mises à jour en 2018 des réglementations et des normes de sécurité des bâtiments afin de répondre aux catastrophes précédentes. Si la science est indispensable pour prévenir le mieux possible les aléas sismiques, la mise en place de réponses adéquates est indispensable pour limiter les risques, à travers en particulier la généralisation des bâtiments aux normes anti-sismiques.

Alors que le triptyque vulnérabilité / résilience / adaptation est l’un des fondements de l’analyse des risques et que le risque associé à un aléas naturel doit être bien géré afin de limiter les conséquences de ce type de catastrophe, les effets dévastateurs de ces deux séismes renvoient les autorités nationales, régionales et locales et les services d'aménagement du térritoire (économiques, immobiliers et urbains) à leurs responsabilités.

Zooms d’étude

Zoom 1. Les dégâts dans la région de Kahramanmaraş

Dans son bassin intramontagnard dominé par le Cimen Dagi et le Milcan Repese (2 236 m), la ville Kahramanmaraş se trouve à 568 m d’altitude. Capitale régionale, l’agglomération a connu une forte croissance démographique et urbaine en passant de 178 000 à 560 000 habitants entre 1980 et 2021. Mais en changeant d’échelle, on s’aperçoit que la ville est située juste à quelques kilomètres au sud de la grande faille ouest/est qui va jouer un rôle majeur dans le déclenchement du second séisme.

Proximité des zones sismiques les plus à risque, forte croissance urbaine, qualité très inégale des bâtiments et respect sans doute aléatoire des réglementations conjuguent leurs effets pour expliquer que Kahramanmaraş soient une des villes les plus touchées avec des milliers de victimes piégées au cœur de la nuit dans leur sommeil par l’effondrement de centaines d’habitations.

L'animation ci-dessous montre avec plus détails l'ampleur des dégâts dans la ville de Kahramanmaras en comparant les images satellites prises avant et après la catastrophe. Outre les bâtiments effondrés, on remarque sur l'image post-crise Pléiades du 7 février 2023, les tentes blanches, montées par les sécurités civiles pour les habitants réfugiés, sur la pelouse d'un stade (au centre de l'image). Les habitants trouvent également refuge dans leurs voitures, stationnées sur les parkings (en bas à gauche sur l'image), dans les rues, les ronds-points... tout endroit dégagé exempt d'infrastrucutures suceptibles de s'éffondrer suite aux nombreuses répliques sismiques.

La région de Kahramanmaraş, vue par le satellite Sentinel-2

Kahramanmaras : lieux repères

Kahramanmaraş : dégâts dans l'agglomération, vus par les satellites Pléiades

La ville de Kahramanmaras juste au sud de la grande faille ouest/est

Zoom 2. Les dégâts dans la région d’Iskenderum et Antakya

Cette région méridionale juxtapose l’étroite plaine côtière qui accueille la ville portuaire d’Iskenderun (Alexandrette), les Monts Nur, puissant horst cuminant à 2.240 m. et la région d’Antakya, capitale de la province d’Hatay, qui porte des densités de 300 hab./km2 grâce en particulier à une riche plaine. Ce vaste bassin intérieur est drainé par le Karasu, l’Afrin et l’Oronte, fleuve mythique qui vient du Liban, qui se jettent dans la Méditerranée par un petit delta vers Samandağ.  On distingue bien le col de Belen, de la ville éponyme, qui connecte le bassin au littoral.

Au plan tectonique, le contact entre les Monts Nur et le bassin intérieur est réalisé par un vaste champ de failles majeures appartenant au faisceau de la grande faille est-anatolienne. Les dégâts dans les villes de Kirikhan et Antakya y sont donc considérables. Tout comme à Iskenderum sur le littoral.

Les images ci-dessous présentent des extraits de vues satellites acquises sur Islahiye

Avant la catastrophe

24 heures après la catastrophe, vu par les satellites Pléiades

Interprétation de l'image après les séismes (produit à valeur ajoutée)

Le produit à valeur ajoutée ci-dessus interprète les dégâts des séismes observés sur la ville d’Islahiye. Sont identifiés les bâtiments partiellement endommagés (jaune),  endommagés (orange) et complètement détruits (rouge). A noter que dans les rues, les parkings, les terrains vagues, on remarque (comme explicitement identifié par un cercle blanc) beaucoup de véhicules stationnés servant d’abri pour les habitants dont les habitations ont été détruites ou menaçent de s’effondrer.

La région d’Iskenderum et Antakya vue par les satellites Sentinel-2

Repères géographiques de la région

Les dégâts dans les régions de  Kirikhan et Antakyan vus par les satellites Pléiades

Images complémentaires

Le document joint montre les dégâts des séismes pour d'autres villes turques. Ce document a été élaboré, dans le cadre du déclenchement de la Charte, par le Sertit à partir des images Pléiades du CNES.

Ressources et bibliographie

Ouvrages

Richard Laganier et Yvette Veyret : Atlas des risques et des crises, coll. Atlas, Autrement, Paris, 2023.

Marcel Bazin : Tigre et Euphrate. Au carrefour des convoitises, CNRS Éditions, Paris, 2022.

Fabrice Balanche : Géopolitique du Moyen-Orient, Documentation photographique, n°8102, Paris, 2018.  

Sites

CNES Géoimage

Matthieu Gosse et Helin Karaman : Turquie - Istanbul-centre, la mégapole d’un pays émergent aux défis de bouleversements urbains, sociaux et économiques exceptionnels
https://geoimage.cnes.fr/fr/geoimage/turquie-istanbul-centre-la-megalopole-dun-pays-emergent-aux-defis-de-bouleversements

CNES

Turquie, premières images PLÉIADES du séisme


Séisme en Turquie et en Syrie : comment les satellites peuvent aider les secours à réagir au plus vite


Données concernant le séisme

ForM@Ter (IGN, EOST, CNES, CNRS et ESA) a effectué le traitement massif de plusieurs tuiles du satellite Copernicus Sentinel-2 et réalisé  des cartes de déplacements horizontaux Est-Ouest et Nord-Sud couvrant plus de 300 km le long des failles, à une résolution spatiale de 10 m.
Accès aux produits sur le portail de ForM@Ter.

GEOSCOPE Observatory. French Global Network of Broad Band Seismic Stations.
Des données concernant le séisme : sismogrammes, mécanismes au foyer…
http://geoscope.ipgp.fr/index.php/en/catalog/earthquake-description?seis=us6000jllz

Réseau EuroMed earthquakes. Dossier spécial sur le site du CSEM ESCM
https://www.emsc-csem.org/Earthquake/271/Earthquake-sequence-in-Turkey-February-6th-2023

Carte des séismes de 1900 à 2010 de la Turquie à l’Indus par l’USGS
https://pubs.usgs.gov/of/2010/1083/k/pdf/of2010-1083_K_v1.1.pdf

Systèmes d’alerte, de secours et d'évaluation des catastrophes

Charte Internationale Espace et Catastrophes Majeures
Charte Internationale Espace et Catastrophes Majeures : séismes en Turquie et en Syrie
https://disasterscharter.org/fr/web/guest/activations/-/article/earthqua...
https://disasterscharter.org/web/guest/activations/-/article/earthquake-...

Systèmes d’alerte et de secours Copernicus de l’Union européenne. (Emergency Management Service)
Système d’alerte et de secours Copernicus de l’Union européenne pour les séismes en Turquie et en Syrie
https://emergency.copernicus.eu/mapping/list-of-components/EMSR648

Service français de cartograhie rapide
https://sertit.unistra.fr/

The United Nations Satellite Centre (UNOSAT) : Programme opérationnel des Nations Unies (ONU) pour les applications satellitaires
UNOSAT pour les séismes en Turquie et en Syrie
https://www.unitar.org/about/news-stories/news/unosat-emergency-mapping-service-activated-over-syria-and-turkiye-following-major-earthquakes
https://experience.arcgis.com/experience/af8529245dbb4041ba532fab46ee02d2/page/UNOSAT/?views=UN-ASIGN

Articles dédiés à l'évènement

Séisme en Turquie et en Syrie : comment les satellites peuvent aider les secours à réagir au plus vite, entretien avec Emilie Bronner, Représentante CNES au Secrétariat Exécutif de la Charte Internationale Espace et Catastrophes Majeures, Centre national d’études spatiales (CNES)
https://theconversation.com/seisme-en-turquie-et-en-syrie-comment-les-satellites-peuvent-aider-les-secours-a-reagir-au-plus-vite-183675?

Unistra/ Laboratoire des sciences de l'ingénieur, de l'informatique et de l'imagerie, Université de Strasbourg
https://savoirs.unistra.fr/societe/seismes-en-turquie-et-syrie-la-teledetection-au-service-des-victimes?mtm_campaign=unistra_homepage&mtm_source=unistra&mtm_medium=web

Jake Horton & William Armstrong : “Turkey earthquake: Why did so many buildings collapse?”, BBC Reality Check & BBC Monitoring (Tremblement de terre en Turquie : pourquoi tant de bâtiments se sont-ils effondrés ?")
https://www.bbc.com/news/64568826

Pages dédiées au séisme NASA
https://appliedsciences.nasa.gov/what-we-do/disasters/disasters-activati...
https://maps.disasters.nasa.gov/arcgis/apps/MinimalGallery/index.html?ap...

Planet-Terre : Séismes de Turquie du 6 février 2023 : apports de la télédétection (Aurélien Augier)
https://planet-terre.ens-lyon.fr/ressource/seisme-Turquie-fevrier-2023.xml

Une analyse des cartes en ligne par le géographe Sylvain Genevois, Université de La Réunion
https://cartonumerique.blogspot.com/2023/02/seismes-en-Turquie-et-Syrie....


Sites pédagogiques

IPGP - Institut de physique du globe de Paris
https://www.ipgp.fr/actus-et-agenda/actualites/3-questions-a-robin-lacas...

l’ObservaTerre : site pédagogique des scientifiques du Réseau sismologique et géodésique français Résif-Epos.
https://public.resif.fr


Contributeur

Laurent Carroué, Inspecteur général de l’Éducation nationale, du sport et de la recherche, directeur de recherche à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris VIII)
Pierre Ferrand, enseignant de SVT, chargé de mission au service Education du CNES.


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