Venise : un pôle touristique mondial à l’arrêt face à la pandémie du coronavirus

La clarté des eaux des canaux de Venise a été largement commentée sur les réseaux sociaux, photographies à l’appui, et relayées dans les médias internationaux. L’image satellite permet une réflexion sur ce phénomène à une autre échelle, celle de la lagune. Dans une perspective de comparaison entre deux images de la région, prises avant et après le confinement, des observations sur la baisse du trafic maritime peuvent être effectuées. Il est également possible d’émettre des hypothèses sur les effets primaires et secondaires des différences de couleur des eaux, visible sur l’image, depuis la baisse de la fréquentation touristique.

Les satellites Sentinel-2 ont réalisé ces images à 3 semaines d'intervalle, le 28 février (soit avant les mesures confinement) et 19  mars 2020 (soit pendant les mesures de confinement). Il s’agit d’images en couleurs naturelles avec une résolution de 10m.
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A partir du 8 mars 2020, la ville – tout comme tout le Nord du pays et un quart de la population de la péninsule - est mise en quarantaine afin d’endiguer la propagation de la pandémie de coronavirus – le Covid-19 - qui cause des milliers de victimes. Par la suite, les mesures de confinements sont renforcées de manière drastique.

Musées, théâtres, cafés et restaurants – dont les plus célèbres comme la Café Florian, les hôtels Danieli ou Gritti, le Harry’s Bar… - sont fermés. Le Carnaval de Venise, qui accueille 25 000 personnes par jour et a généré un chiffre d’affaires de 65 millions d’euros en 2019, a été amputé, puis la Vongalonga annulée alors que les touristes, italiens ou étrangers qui s’élevaient à plus de 5 millions en 2018, fuient en masse.  Venise devient une ville fantôme.

La comparaison de cette image en vraies couleurs, prise par un satellite Sentinel-2* le 19 mars 2020 à 13h14 (heure locale) de la région de Venise avec celle prise par le même satellite à la date du 28 février (11h48 heure locale), avant la quarantaine, permet d’effectuer plusieurs observations.

Une baisse du trafic maritime

Le trafic maritime s’est fortement réduit.  Dans sa partie nord, Venise est notamment reliée à Murano et à l’aéroport international Marco Polo par un réseau de vaporetto et bateaux privés qui suivent un chenal délimité. Clairement visibles sur l’image du 28 février, ceux-ci ont pratiquement tous disparu.
La baisse du trafic est également spectaculaire au sud de Venise : la partie qui sépare La Guidecca au sud du reste de Venise, le sud de la place San Marco et le sud de St Elena voit pratiquement tout le trafic maritime disparaître. Un regard attentif permet même de distinguer la baisse de fréquentation sur le grand canal qui traverse Venise.
Sur la partie ouest de l’image, le long de la côte qui abrite le complexe industriel du port de Marghera, on peut clairement observer une baisse du trafic. En Adriatique la comparaison des images ne permet pas d’observation significative, le nombre de grands navires passant de deux à un entre les deux images.

Analyse des conséquences sur la lagune

La différence de turbidité de l’eau semble par ailleurs observable entre les deux images. Cet aspect plus ou moins trouble de l’eau trouve son origine dans la teneur en particules organiques et minérales mais également dans leur mise en mouvement. Différents paramètres peuvent donc être à l’origine des observations.
D’après le calendrier des marées le 28 février le niveau de la mer est +40 cm par rapport au niveau de référence, il de +10 cm le 19 mars. Une différence de niveau d’eau de 30 cm qui est à considérer pour aborder des différences de couleur ou de transparence des eaux. La vitesse des vents est légèrement plus forte le 19 mars, la direction étant sensiblement la même ; ce paramètre n’influence donc pas les observations en faveur d’une baisse de la turbidité.

Ainsi les matériaux sédimentaires fins (vases, sables…) d’habitude en suspension n’étant plus régulièrement brassés, on observe des zones beaucoup plus foncées, notamment dans la partie Sud de la lagune et le long du Lido, les sables en suspension renvoyant une couleur bleue claire. De même, les couloirs maritimes sont clairement dessinés dans la deuxième image, le passage des bateaux entraînant un creusement du fond sablonneux qui apparaît clairement à l’image, faute d’être agité en permanence. La différence est également particulièrement visible dans le passage entre la lagune et l’Adriatique, le panache de sédiments remués dans la lagune disparaissant complètement.


Cette baisse du tourisme a également des effets secondaires comme une diminution de la quantité de matière organiques rejetées (eaux grises…) ce qui entraîne une baisse de la turbidité.

Mise en perspective avec des observations au sol

Les médias et réseaux sociaux ont relayé ces dernières semaines la limpidité et la clarté retrouvées des canaux de Venise et le retour des poissons et des oiseaux avec des hashtags tels que #clearwater ou #crystalwater. Il est ainsi possible de corréler les observations par satellites aux les observations sur le terrain diffusées sur ces réseaux et ainsi d’envisager une origine anthropique à cette baisse de la turbidité à partir depuis le début de la période confinement.

Cette crise amène par ailleurs la municipalité de Venise à poursuivre sa réflexion sur une réduction du tourisme de masse, déjà engagée avec la mise en place de portiques pour accéder à la place Saint-Marc à certaines périodes de l’année.

Alors que le tourisme s’effondre, les gondoles restent à quai, les vaporettos sont à l’arrêt, les gigantesques bateaux de croisière absents, ce recul des activités humaines entraîne des conséquences environnementales déjà observables par satellite.

*Sentinel-2 est un satellite de l’ESA qui permet de faire de l’observation des terres émergées et pour lequel le CNES a des accords de coopération.

Document complémentaire

Dossier GeoImage : Venise : une «ville-musée» face à son avenir

Contributeurs

Pierre Ferrand - professeur de SVT - lycée Berthelot Toulouse- chargé de mission CNES

Fabien Vergez- IA-IPR histoire-géographie - académie de Toulouse