19 Avril 2019

Ukraine. Incendies dans la région de Tchernobyl et conséquences environnementales

Depuis le 4 avril 2020, des incendies de forêts et d’espaces naturels, dans la région de Tchernobyl en Ukraine, ravivent le souvenir de la catastrophe nucléaire survenue dans cette région le 26 avril 1986 et suscitent des inquiétudes sur une possible diffusion d’éléments radioactifs à une échelle continentale.

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La centrale nucléaire de Tchernobyl : catastrophe industrielle, pollution radioactive et zone d’exclusion

Cette image a été prise le 5 avril 2020 par le satellite Sentinel-2B. Elle combine des données issues de bandes spectrales dans le visible et l'infrarouge. C'est la raison pour laquelle les incendies apparaissent dans les couleurs rouges / oranges.

Cette image couvre une distance d’environ 165 km d’ouest en est, depuis la commune de Narodytchi visible à l’ouest de l’image jusqu’à la ville de Tchernihiv, au nord-est, grande agglomération de près de 300 000 habitants.

Au centre de l’image est visible Prypiat, ancienne ville ouvrière située à 3 km de la centrale, et désormais « ville fantôme » vidée de tous ses habitants, ainsi que la ville de Tchernobyl, située à une quinzaine de kilomètres au sud. La centrale nucléaire et son ancien bassin de refroidissement sont clairement visibles, identifiables par une large tache grise. Ce complexe est situé le long d’un affluent du Dniepr, à une trentaine de kilomètres à l’est et orienté selon un axe nord-sud. Il serpente vers le sud avant de rejoindre l’affluent Prypiat au sein d’une zone humide, pour former une large retenue d’eau  observable  au sud de l’image, par une vaste zone sombre.

On peut également constater qu’au delà d’une zone d’une trentaine de kilomètres autour de la centrale, l’occupation agricole des sols est bien présente avec de nombreux champs, très identifiables à l’est et au sud par leur structure en damier.
La zone dite d’exclusion des 30 kilomètres, théoriquement totalement vidée de tous ses habitants et activités humaines pour des raisons de sécurité du fait de la radioactivité, reste peuplée avec notamment près de 800 habitants vivant à Tchernobyl en 2016, sans compter les populations clandestines, estimées à 200 personnes dans cette zone.
 
Les incendies : des causes multiformes

Plusieurs départs d'incendies auraient été observés dès le 4 avril 2020 « dans la zone boisée entre le village de Poliske et le village de Volodymyrivka, sur une superficie d’environ 6,5 hectares, et près du village de Roudnya Ossochnya, sur une superficie d’environ 4 hectares” selon Oukraïna Moloda, journal généraliste ukrainien. Ils seraient d'origine humaine.

Ces incendies sont clairement visibles sur l’image satellite, dans une large zone dans la partie sud-ouest de l’image entre les communes de  Narodytchi et Krasiatychi, à une cinquantaine de  kilomètres du réacteur accidenté. Ils prennent source dans une zone boisée et leurs panaches de fumée s’étendent sur plusieurs dizaines de kilomètres vers le sud-est.
Un autre incendie, de moindre amplitude est également observable le long du Dniepr au nord-est de l’image.

Cette situation n’est pas inédite car cette région, tout comme l’ensemble de l’Ukraine et de la Russie,  a été frappée a plusieurs reprises ces dernières années par des incendies de grande ampleur, notamment en 2002 et 2010. Alors que ces phénomènes semblent de plus en plus récurrents, accélérés notamment par le réchauffement climatique, les collectivités territoriales et les institutions publiques sont souvent largement démunies pour y faire face du fait d’un sous-équipement généralisé en moyens de combat contre les incendies.

Incendies, remobilisation et diffusion de la radioactivité en débat

Les conséquences de ces incendies sur la diffusion de particules, en particulier radioactives, sont loin d’être locale car l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) a modélisé le parcours de masses d’air, à partir des données de Météo France. Celles-ci devraient s’étendre sur une large partie de l’Europe, atteignant l’est de la France et même l’Egypte.

En 1986, l'accident de Tchernobyl a introduit dans l'atmosphère une forte concentration de nombreux éléments radioactifs, comme le cérium 144, le cérium 141, le ruthénium 106 dont la demi-vie n'excède pas un an ou le césium 137, le strontium 90 dont les demi-vies sont de l'ordre de trente ans ou encore plus pour le plutonium. Une demi-vie étant le temps mis par un échantillon radioactif pour que la moitié des noyaux soient désintégrés. L'activité radioactive décroît alors de moitié. Elle permet de comparer les décroissances radioactives de radionucléides.

En 1986, ces radioéléments se sont envolés dans l’atmosphère avant de se déposer sur le couvert végétal et le sol, essentiellement dans un périmètre de 30 kilomètres autour du réacteur. Ils ont ensuite migré, c’est-à-dire infiltrés, dans les sols. Les végétaux vont les absorber, comme l'eau et les autres nutriments par les racines puis les stocker, dans leurs aiguilles par exemple,  pour  le pin sylvestre, une espèce commune en Europe et très sensible à la radioactivité. Ces aiguilles tout comme les feuilles contaminées vont ensuite constituer la litière dont la décomposition sera plus lente.

Par ailleurs, la disparition de l'agriculture dans cette zone d'exclusion a conduit aux développements de forêts « sauvages » qui ne sont pas entretenues : l'accumulation de bois en décomposition et de litières plus importantes mêlée aux broussailles et aux jeunes arbres fait de ces forêts des milieux dans lesquels le feu se propage facilement et est très difficile à combattre.

Ces incendies ont pour conséquence de remettre en suspension dans l'atmosphère des radioéléments stockés par la biomasse. Les fumées vont ainsi transporter de fines particules radioactives et exposer des populations à une irradiation externes (par contact) ou interne (par inhalation) de façon immédiate ou différée. De façon plus générale, tous les êtres vivants sur ces territoires seront impactés par ces retombées.
                                     
Chez les animaux comme chez l'Homme, le césium 137 peut être assimilé dans l’organisme par l'intermédiaire des aliments et transporté par le sang. Il se distribue de la même manière que ses analogues chimiques, le sodium et le potassium, contribuant à une radiotoxicité interne.
Il a également une toxicité externe par l’exposition directe à son rayonnement ionisant qui, à très forte dose, arrache des électrons et sur son passage, se manifeste par des brûlures.

En France métropolitaine, une personne reçoit en moyenne 4,5 millisieverts par an (mSv/an). Ce chiffre représente l’exposition permanente à des rayonnements ionisants d’origine naturelle ou artificielle. Près des deux tiers de l’exposition sont liés à des sources naturelles et plus d’un tiers aux examens médicaux dont bénéficie la population française.
Suite à l’accident de Tchernobyl, les doses efficaces reçues par la population française ont été faibles. En 1986, année de l’accident, les doses efficaces reçues par les personnes résidant dans les zones les plus touchées de l’est du pays étaient en dessous de 1 mSv/an. Ces doses étaient principalement liées à l’ingestion de denrées contaminées.
Les années suivantes, les doses reçues du fait des éléments radioactifs persistant dans l’environnement ont décru de façon continue, pour atteindre à ce jour une valeur moyenne inférieure à 0,01 mSv/an

Ces incendies  se traduisent jusqu’à présent par de très faibles élévations d’activité dans l’air en France. Au vu des retours d’expérience précédents, les niveaux d’activité attendus dans l’air en France en césium 137 devraient être très faibles, voire non mesurables. De tels niveaux sont sans conséquence sanitaire pour la population et l’environnement.

A des fins de vérification, malgré la période de confinement liée à l'épidémie de coronavirus,  l’IRSN procède au relevé de filtres aérosols des stations OPERA-Air grand débit capables de détecter des traces infimes de radioactivité.  Le 7 avril 2020, date du dernier relevé dans l’est de la France, la dose ambiante de rayonnement γ n’avait pas évolué.

Par ailleurs le CRIIRAD qui exploite avec des collectivités locales un réseau de surveillance de la radioactivité atmosphérique en vallée du Rhône n'a relevé aucune anomalie au 8 avril 2020.

Médiatisation et évolution des incendies

Dans le contexte d’anxiété provoqué par la pandémie de Coronavirus, ces incendies ont été très largement relayés sur les réseaux sociaux (tendance dans la catégorie France pour le hashtag #Chernoby avec 72900 tweets au 14 avril 2020).  Par ailleurs, ils interviennent un an après le succès de la mini-série Chernobyl d’HBO qui avait contribué à remettre cette catastrophe en lumière.

Ces incendies ont par ailleurs des conséquences très importantes sur la qualité de l'air en Ukraine.

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Le 13 avril ces incendies n'étaient toujours pas maîtrisés. Une image Sentinel-2A du 12 avril montre que les feux ont progressé et se situent à moins de deux kilomètres du sarcophage de la centrale de Tchernobyl. Ils se sont par ailleurs étendus, et sur la deuxième image un autre foyer est également visible, juste au sud de l'ancien bassin de refroidissement. Ces informations sont confirmées par des observations au sol et l'alerte d'ONG telles que Greenpeace.

Les images satellites aident ainsi directement à l'observation, au suivi et la compréhension de catastrophes, notamment dans des zones difficilement atteignables comme celle de Tchernobyl aujourd'hui ou d'autres demain.


Carte

Le Service de gestion des urgences (Copernicus Emergency Management Service  )a été activé pour aider à répondre à ces incendies. L'évenement  a été cartographié à partir de l'image acquise le 12/02/2020 par le satellite Sentinel-2A.

Contributeurs :

Karine Bichet-Ramon, professeure de Physique-Chimie, collège Jean-Pierre Vernant - Toulouse.

Pierre Ferrand, professeur de SVT, lycée Berthelot  Toulouse, chargé de mission CNES.

Fabien Vergez - IA-IPR histoire-géographie - académie de Toulouse.

Liens :

La carte des zones d’exclusion en raison de la radioactivité (Eric Gaba – Wikimedia Commons user: Sting)

Une proposition pédagogique sur la série Chernobyl de HBO