Rabat-Salé : la métropole-capitale du Maroc

Occupant un site sur le littoral atlantique au nord du Maroc, la ville de Rabat présente des caractères urbains très intéressants. Par son histoire ancienne mais surtout par ses transformations contemporaines, son espace urbain est à la fois un modèle de l’urbanisme des villes coloniales, de l’affirmation des métropoles des pays émergents et des défis du développement qui restent à relever.

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Légende de l’image

Image de l'aggolmération de Rabat-Salé au nord-ouest du Maroc prise par le satellite Pléiades le 20 avril 2017. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 0,70m. 

Contient des informations PLEIADES © CNES 2017, Distribution Airbus DS, tous droits réservés

Présentation de l'image globale

Rabat-Salé : patrimoine et modernité, l’invention d’une métropole

Une métropole littorale au centre du pays et au cœur du pouvoir

L’image satellitaire se compose de quatre ensembles bien différenciés : le littoral et ses aménagements organisés dans une logique linéaire, la vallée fluviale, espace marginali-sé en profonde transformation, la ville ancienne de Salé sur la rive nord du fleuve et les quartiers nouveaux de Rabat correspondant à l’expansion récente de la capitale maro-caine.
Comme le montre l’image, la métropole de Rabat-Salé, est donc un ensemble urbain situé sur la façade atlantique du Maroc à l’embouchure du Bouregreg. Elle appartient à la région administrative de Rabat-Salé-Kénitra qui compte un peu moins de cinq mil-lions d’habitants. Elle est limitée à l’Ouest par l’Océan Atlantique. Rabat est depuis la période du protectorat (1912-1956) la capitale administrative du pays, situation con-fortée depuis de l’indépendance.

La ville est aujourd’hui le centre du pouvoir de la monarchie chérifienne : elle con-centre ainsi l'administration royale, le parlement, les ministères et les ambassades. Son statut lui assure les fonctions administratives essentielles et une économie tournée vers le tertiaire. Cette réalité a fondamentalement influencé la structure géographique et urbaine de la ville de Rabat, tout en accentuant les différences avec Salé sa jumelle, sur la rive opposée du Bouregreg, dans laquelle les secteurs industriels et artisanaux restent importants.

Rabat-Salé : un doublet urbain organisé par l’embouchure d’un petit fleuve

Comme le montre l’image, la métropole Rabat-Salé est un ensemble urbain composé de deux villes situées sur le littoral atlantique, à l’embouchure du Bouregreg. Le bassin fluvial forme un estuaire et le fleuve, long de 240 Km, est l’un des plus important du pays. La position à l’embouchure du fleuve a donné une urbanisation originale par le développement de deux espaces urbains distincts et longtemps en concurrence. L’évolution récente tend à tisser un lien par-delà le fleuve pour constituer un territoire continu et cohérent.

Le Bouregreg et sa vallée, territoire longtemps peu valorisé, frontière entre deux es-paces qui se tournent le dos, est ainsi passé de lieu marginalisé, délaissé et limité à des usages traditionnels (pêche et agriculture), à un espace à fort enjeu.

Une antique fondation romaine

Le modèle d’urbanisation de cet ensemble est à la fois constitutif du modèle des villes du Maghreb tout en développant une identité propre. La ville présente en effet un mo-dèle d’urbanisation continu depuis la période romaine.

L'origine visible de l’agglomération est la cité romaine de Sala sur la rive méridionale. Proche du limes de l’empire, la cité, dont le développement atteint son apogée au se-cond siècle après J.C., fait partie de l’ensemble urbain de la Maurétanie tingitane ro-maine. Les ruines situées dans la nécropole mérinide du XVe siècle de Chellah, visible sur le cliché sur le deuxième méandre, est riche d’enseignement sur le modèle urbain antique. Le site choisi se situe sur un espace en hauteur et en retrait du littoral. Cette situation en acropole témoigne d’une urbanisation présente sur tout le pourtour médi-terranéen : site défensif, protégé des zones d’eau plus insalubres (présence de mous-tiques), la colonie de Sala est aussi une étape plus terrestre que maritime au contact avec la cité de Volubilis. Elle est à environ 250 km de la capitale de la province Tingis (Tanger). On distingue les deux axes du décumanus maximus le long de la pente et le centre de la cité romaine autour du forum et de la basilique.

Une histoire urbaine inscrite dans le modèle des villes arabes puis coloniales

La fondation de la ville actuelle date de 1150 avec la construction par les Almohades de la citadelle appelée Kasbah des Oudayas. Située à l’extrême embouchure du fleuve, la citadelle assure une présence humaine assez limitée sur la rive sud. La ville est alors constituée des deux espaces classiques dans les villes arabes : la forteresse et la médi-na.

À partir de 1912, le choix opéré lors de la colonisation française de faire de Rabat le siège du gouvernement colonial va profondément transformer les réalités urbaines de la ville. Ainsi, après le percement d’une artère au nord de la Médina annonçant la colo-nisation urbaine du littoral (artère allant de la Kasbah et parallèle au littoral vers le sud-ouest et premier siège du résident général au Maroc), c’est l’espace situé au sud de la Médina qui fait l’objet d’un plan concerté d’urbanisme, véritable manifeste de l’œuvre coloniale voulue par le Maréchal Lyautey résident général au Maroc. Il s’agit, dans une logique de gestion indirecte de la colonie, de préserver les espaces urbains préexistants en leur adjoignant un modèle moderne, inspiré des villes européennes.

La ville devient donc à la fois lieu de pouvoir mais aussi symbole ou incarnation de l’apport de la « civilisation coloniale » et manifeste pour l’avenir du pays. Organisé au-tour d’un axe au sud de la ville et d’une place centrale, elle est le centre du pouvoir co-lonial : la trilogie du pouvoir y est représentée avec faste. La cathédrale, le palais de justice et la résidence du gouverneur général incarnent avec force le protectorat. La présence du palais dans ce même espace illustre le statut de la colonie marocaine (pro-tectorat) qui permet le maintien sous tutelle française des autorités locales représen-tées par le Sultan. Enfin, la gare est la représentation de la diffusion de la technologie européenne et la modernisation du territoire sous son impulsion.

L’architecture est un exemple à la fois de modernisme, de tradition mauresque et orientale revisitées par des architectes français. Rapidement, la ville connait une expansion démographique et de nouveaux quartiers informels se développent le long de la mer (quartier de l’Océan).

Les processus d’urbanisation des années 1970

L’expansion urbaine s’effectue le long du littoral et des axes routiers dominants la val-lée fluviale. Se développent ainsi à partir des années 1970 les quartiers résidentiels de Fath en bord de mer, de Hay Riad le long de l’ancienne rocade autoroutière de con-tournement de Rabat et le quartier de Souissi où vit une population aisée et ou s’installent de nouvelles ambassades.

L’urbanisation le long de la vallée du Bouregreg dans une orientation du nord-ouest au sud-est est moins dense en raison d’un relief plus marqué et de prix du foncier plus élevés. Cet espace fait donc figure de territoire délaissé mais à l’approche de l’embouchure, l’image dévoile les nombreux travaux en cours, symbole d’un intérêt nouveau pour ce territoire (voir zoom 1).
Au nord du fleuve, la ville de Salé connaît une urbanisation importante mais plus dense. Le noyau historique est celui de la médina proche de l’embouchure. La médina ras-semble de nombreux artisans. lle est plus ouverte sur l’extérieure avec sa médersa (école coranique) mérinide du XIVe siècle. Son urbanisation dense à l’intérieur des remparts est parfaitement visible sur l’image satellitaire.

Une urbanisation originale : un modèle en hélice et le transport successif de centralité.

 Le développement urbain de la ville est donc largement perceptible sur l’image satel-lite et les grands axes de transport (routes ou chemin de fer) illustrent le développe-ment de la ville autour de cet axe nord-sud. Pourtant, une analyse, à une autre échelle, menée par le géographe J.F. Troin, permet de comprendre avec plus de finesse les dy-namiques urbaines spécifiques de la ville de Rabat.

Alors que le développement de Salé obéit à une logique structurée sur l’axe côtier, la ville de Rabat semble connaître un double mouvement de développement : celui vers le sud le long de la côte freiné par la présence de la barrière verte mais aussi une exten-sion vers l’intérieur suivant un axe sud-ouest.

Cette expansion urbaine planifiée s’accompagne d’un transfert progressif de centralité vers l’extérieur de la ville au fur et à mesure que les nouveaux quartiers proposent une lecture moderne et renouvelée de l’espace urbain. Siège du pouvoir colonial, le quartier Hassan voit sa centralité commerciale et politique remise en question après la Seconde Guerre mondiale avec l’expansion du quartier de l’Agdal (“le jardin”) : espace privilégié, universités, ambassades, ministères s’y installent. La rue centrale du quartier constitue un véritable modèle de centre-ville à l’Européenne.

Le développement récent du quartier de Souissi, le long de l’avenue des Zaers (route de Romani devenue l’avenue Mohamed VI), permet une extension de la ville vers un quartier résidentiel favorisé. La construction récente de nombreuses ambassades té-moigne là encore de ce transfert des fonctions de commandement. Les ambassades des Etats-Unis, du Canada, de la Chine, de nombreux pays africains se sont donc installés dans ce nouveau quartier. L’image montre un quartier moins dense avec des rési-dences entourées de jardins et qui tranchent avec la densité très visible sur le littoral et vers les quartiers anciens proche du fleuve.

Plus récemment, le quartier de Hay Riad devient le nouveau territoire concentrant les fonctions économiques de la ville. Organisé autour d’un axe central, il incarne une ville inscrite dans les dynamiques de la mondialisation bien loin cependant de l’influence économique exercée par sa proche voisine, Casablanca. Les immeubles, à fort caractère symbolique, illustrent cette ouverture récente du pays vers le monde : la tour Maroc-Telecom constitue le point central du quartier dans lequel s’installent de même la re-présentation de l’Union Européenne et la cour des comptes.

J.F. Troin a identifié ce modèle d’expansion en forme de pales d’avion. Les consé-quences sont complexes à saisir d’un point de vue géographique : si aucun quartier nouveau ne se substitue totalement à l’autre (le palais reste situé à proximité de Has-san, l’Ambassade de France et le grand lycée français René Descartes dans l’Agdal…) ce transfert de centralité accentue l’étalement urbain et favorise l’essor de nouveaux centres. Les fonctions de ces quartiers sont donc moins développées par rapport aux grands centres d’affaire des capitales mondiales. Cette dilution des espaces de com-mandement favorise aussi une sorte d’abandon des espaces anciens au profit des nou-veaux dont le caractère symbolique inscrit la ville dans la modernité.

Le quartier de l’Agdal est représentatif de cette évolution de la ville : sa modernité laisse place à un relatif laisser-aller urbain avec une dégradation des espaces collectifs, du bâti. La construction du tramway et l’aménagement des rives du Bouregreg a en-traîné un nouvel intérêt pour les espaces anciens, motivé aussi par la vocation touris-tique que la ville veut embrasser (zoom 1).

Rabat-Salé : les déséquilibres géographiques de l’espace urbain

Les villes de Rabat et Salé, si elles ont une histoire longtemps partagée, restent profon-dément séparée par la vallée du Bouregreg et leurs évolutions différentes.

En effet, au sud du Bouregreg, la croissance urbaine de Rabat reste limitée après l’indépendance, la ville passant ainsi de 250 000 à près de 600 000 habitants. Le pou-voir a freiné cette croissance en développant des quartiers résidentiels de villas vastes entre l’hippodrome et le golf. Ces villas possèdent des jardins et des piscines facilement identifiables. Les anciens quartiers de l’Agdal et d’Hassan voient le remplacement de villas par des immeubles de faible hauteur. Ainsi la population de Rabat est-elle large-ment composée de classes sociales aisées et moyennes travaillant dans les administra-tions et de grandes entreprises (la Royal Air Maroc et Maroc Telecom par exemple).

La présence de bidonvilles à Rabat est désormais résiduelle depuis la vaste opération “villes sans bidonvilles” lancée par le pouvoir en 2004 visant à éradiquer le phéno-mène dans un délais de 10 ans. Les bidonvilles de Rabat, concentrés sur le littoral dans une ville qui a longtemps tourné le dos à ses fronts d’eau, ont été détruits. Une route côtière accompagne ce bouleversement profond : le littoral est reconquis dans une lo-gique visible aisément sur l’image satellitaire. Les aménagements proposent une typo-logie claire : l’espace de promenade et de loisir le long de la mer (terrains sportifs col-lectifs, aires de jeu et de promenade, projet en cours de la grande piscine de Rabat), un axe de communication large (six voies pour les automobiles qui reprend l’ancienne voie littorale vers Casablanca) qui dessert rapidement les villes résidentielles de la proche banlieue, enfin un espace mixte associant logements collectifs et commerces.

Le renouveau du front d’eau est symbolisé par le projet de construction d’une vaste école américaine symbole de l’intérêt nouveau pour ce territoire longtemps délaissé. Les quartiers défavorisés ou populaires (l’Océan, El Hakkari) longtemps coupés du front d’eau par un mur sont désormais ouverts sur la côte. Le percement de portes donnant sur la route côtière accompagne ce mouvement de réhabilitation dans lequel la gentrification ne semble pas encore totalement à l’œuvre pour le moment. La réno-vation de l’ancien hôpital militaire Marie Feuillet sur un promontoire rocheux le long de la route littorale en un complexe de luxe annonce peut-être une seconde phase de transformation de ce front d’eau (zoom 1).

Sur l’autre rive, à Salé, la population est plus fragile. Les classes aisées sont rares. Beaucoup de milieux populaires vivent dans l’ancienne médina à la très forte densité. Sur l’image, les quartiers apparaissent à petite échelle pour l’essentiel de couleur orange, ce qui correspond à des zones d’immeubles où les appartements sont plus pe-tits qu’à Rabat.

Des dynamiques nouvelles depuis les années 2000 : de nouvelles ambitions

L’arrivée au pouvoir du souverain Mohammed VI en 1999 correspond à un profond bouleversement pour le pays et plus particulièrement pour la capitale. Désirant ancrer le pays dans les dynamiques de la mondialisation, le souverain a lancé et accompagné de nombreux projets ambitieux dont le caractère symbolique indiscutable vise à faire de la capitale du pays l’emblème du pouvoir, de la monarchie mais aussi une ville sym-bole d’un Maroc nouveau, moderne tourné vers l’avenir. La qualification de la ville au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO participe du projet Rabat-Ville Lu-mière lancé en 2014. Les aménagements se multiplient : grand théâtre de Rabat (archi-tecte Zaha Hadid) et plus grande tour d’Afrique (250 mètres de haut) dans la vallée du Bouregreg.

La volonté d’inscrire Rabat dans la dynamique des métropoles mondiales est évidente. Sans pouvoir rivaliser avec Casablanca, cœur économique du royaume, Rabat veut in-carner la ville verte (20 mètres carré d’espace vert par habitant soit le double de la norme prescrite par l’OMS et 20 fois plus qu’à Casablanca) et la ville de la culture. Cette volonté de faire coïncider l’image de la ville, ses fonctions urbaines et une nouvelle image internationale est parfaitement lisible sur l’image satellite. A ce titre la vallée du Bouregreg apparaît comme l’espace le plus remarquable de ces bouleversements : l’aménagement des quais à Salé et d’une marina, la rénovation des médinas avec les remparts, la mise en valeur de la tour Hassan et du Mausolée dans lequel reposent Mohamed V et Hassan II sont autant d’indices que cet espace, au centre de l’agglomération et au contact entre les deux cités, incarne la ville telle qu’elle veut être lue désormais.

Les transports urbains repensés à plusieurs échelles

Située sur la route littorale allant de Tanger jusqu’à Agadir, Rabat-Salé fait partie de l’axe littoral qui organise une grande partie des transports du pays. A partir de la ville, un réseau dessert donc le nord et le sud mais aussi l’intérieur vers Fes. La rénovation profonde du réseau des voies ferrées (plan de sécurisation et de modernisation des voies ferroviaires en cours de développement) accompagne l’arrivée de la première LGV sur le continent africain qui relie Tanger à Casablanca en passant par Kénitra et Rabat. Renforçant l’attractivité économique d’un littoral proche de l’Union Européenne, le projet donne naissance à de vastes gares à vocation de hubs ferroviaires, espaces multimodaux et centres commerciaux et économiques visible avec un carré blanc en bas du quartier Agdal. Fin 2018, la circulation des trains à grande vitesse marque la fin de cette seconde tranche des transformations des transports du pays. Ce nouveau ré-seau double l’ancien, renforçant la densité du réseau ferré mais posant déjà la question de l’accessibilité de la LGV pour les populations fragiles dont les besoins nécessitent toujours des trains aux arrêts nombreux afin de desservir les villes petites ou moyennes. Le réseau autoroutier visible lui aussi a constitué la première tranche de la transformation des réseaux. De Rabat, les autoroutes desservent le nord, le sud et l’intérieur du Maroc.

A l’échelle locale, la ville laisse une large place au transport automobile : le nombre croissant de voitures individuelles et l’espace disponible au développement urbain a laissé place à un urbanisme d’avenues larges et rectilignes favorisant une circulation fluide des véhicules mais repoussant l’exigence du développement des transports en commun. Ainsi, une véritable concurrence existe entre des transports en commun vé-tustes et les petits taxis dont le coût faible et la souplesse leur permet d’assurer une part non négligeable et difficilement quantifiable des transports collectifs. La construc-tion récente de deux lignes de tramway remet au cœur du projet urbain les transports urbains longtemps délaissés. Véritable colonne vertébrale dans la ville, le tramway relie désormais Rabat et Salé offrant un trait d’union entre les deux cités rivales. L’ambition d’une métropole organisée est ainsi visible. Le tramway offre une dynamique de re-centralisation des espaces situés le long du fleuve. Prolongé vers Salé et vers la sortie sud de Rabat ces lignes de tramway vont être renforcées par la construction d’une gare routière nouvelle à proximité du grand stade de Rabat.

En conclusion

Modèle d’urbanisation continu, l’agglomération de Rabat-Salé offre au regard des ob-servateurs un patrimoine urbain exceptionnel. L’explosion urbaine est récente mais s’est accompagnée du maintien des traces anciennes et du patrimoine de la ville.

La lecture de l’image satellite permet donc de raconter la ville marocaine et son his-toire de la période romaine à l’époque la plus récente. Les profonds changements con-temporains et les chantiers gigantesques toujours en cours remodèlent largement la ville.  

Entre croissance et vocation internationale, ségrégation et pauvreté, rupture et conti-nuité urbaine entre Rabat et Salé, l’agglomération veut s’inventer un avenir ambitieux symbolisant un pays émergent, porte ouverte d’un continent en devenir. Il n’en reste pas moins que les défis à relever restent encore très nombreux. Par bien des aspects, Rabat et Salé gardent des allures de villes de province tranquille. La ségrégation socio-spatiale largement observable incarne les contradictions d’une société qui doit encore relever nombre de défis du développement.

Zooms d’étude


L’aménagement des fronts d’eau à Rabat-Salé

Le nord-ouest de l’agglomération de Rabat-Salé est marqué par la présence du fleuve Bouregreg et de son embouchure. Cet axe fluvial a longtemps opposé son statut de barrière naturelle séparant les deux espaces urbains. Aujourd’hui objet de convoitises, les rives du fleuve retrouvent une nouvelle centralité dans le cadre des projets d’aménagements « Rabat, ville lumière ».

Le coeur historique de Rabat-Salé

L’image montre bien le site sur lequel la duopole Rabat-Salé s’est développée. A l’embouchure, la Kasbah fortifiée est située sur un site permettant le contrôle du fleuve. Le port de Salé, dont la fortune est assurée par la course contre les navires chrétiens à partir du XVIe siècle, bénéficie d’une situation exceptionnelle. Port atlan-tique, proche de la Méditerranée, il profite de l’augmentation des flux de navires au large de la côte marocaine dans le cadre de l’ouverture atlantique. L’image montre deux éléments remarquables qui témoignent de cette vocation de Salé à la course : le système défensif assuré par les murs autour de la médina de la ville et les vastes cime-tières marins collés aux remparts qui forment une barrière entre la mer et la cité. Le port est à cette période situé à l’intérieur des remparts de la ville au-delà de l’actuel port de plaisance dans un espace comblé aujourd’hui : la toponymie (porte de Bab La-mrissa, « petit port ») rappelle que deux portes fermaient l’accès au bassin.

Un enjeu urbain : les transports

L’image illustre aussi l’enjeu fondamental des aménagements contemporains. Le déve-loppement de Rabat et son affirmation en tant que métropole et capitale nécessitent une intégration, un lien fort avec sa voisine afin de constituer un ensemble urbain co-hérent avec un poids démographique fort. D’un point de vue pratique, le nombre d’habitants de Salé travaillant quotidiennement à Rabat nécessite un véritable aména-gement des transports dans une métropole dont l’extension se fait de plus en plus sur la façade littorale. Cette logique de développement linéaire s’inscrit à une échelle plus petite dans la constitution d’une conurbation Kenitra-Casablanca dont Rabat-Salé pourrait à terme devenir le coeur.

L’enjeu autour des transports a donc donné lieu, comme l’illustre l’image, à des amé-nagements remarquables. Peu visible, si ce n’est par les deux ronds-points qui desser-vent son accès, le tunnel des Oudayas offre une continuité de circulation et une fluidité entre les rives du fleuve et la route côtière. Il est complété par les nouvelles lignes de ponts sur le Bouregreg. Quatre ponts sont visibles sur l’image. Le plus important, le plus proche de l’embouchure, relie la médina de Salé à Rabat et offre un axe de circula-tion au tramway et aux automobiles. Les autres ponts permettent le contournement du centre-ville et l’interconnexion avec la rocade et l’aéroport.

Aménager le fleuve : Rabat, ville lumière

Le projet « Rabat ville Lumière » tend à renforcer la tertiarisation et à développer le tourisme. A ce titre l’image offre un remarquable regard sur les aménagements de la vallée fluviale portés par l’Agence pour l’Aménagement de la Vallée du Bouregreg. Ce schéma directeur global et structurant s’appuie sur plusieurs projets phares. Le pre-mier porte sur l’aménagement des rives du fleuve côté Salé : une marina a ainsi été implantée à proximité de l’ancien port de Salé. L’aménagement des quais associe l’implantation d’immeubles de faibles hauteurs à destination de populations favorisées avec un ensemble de commerces et de restaurants ou cafés. La corniche offre une vue imprenable sur les monuments les plus célèbres de Rabat. L’ensemble reste à ce jour inachevé et semble avoir des difficultés à attirer populations et professionnels. L’accès à Rabat facilité par la proximité du tramway n’offre cependant pas la fluidité demandée par les automobilistes.

Le second aménagement est bien sur le Grand Théâtre de Rabat porté par l’architecte Zaha Hadid. Le chantier visible au sud-est de cette image illustre l’ambition de doter la ville d’un bâtiment de prestige dont le caractère symbolique inscrit Rabat dans le phé-nomène de métropolisation. L’image de capitale culturelle, de ville verte est ici privilé-giée et le théâtre doit par ailleurs offrir une offre musicale plus ambitieuse.

Enfin la politique de rénovation des médinas de Rabat et Salé (aménagement des murs extérieurs et des foundouks par exemple) affirme la volonté réelle de la ville de deve-nir une destination touristique. Il s’agit en tout cas de construire un centre-ville qui va-lorise ses monuments. Le classement par l’Unesco de la Kasbah des Oudayas à la liste du patrimoine mondial participe de cette volonté de mettre la ville au cœur des par-cours culturels et touristiques du pays alors que les flux se concentrent essentiellement autour des pôles de Marrakech et Fes.

Au final, l’image illustre bien les ambiguïtés dans les ambitions de la ville. Les aména-gements visent à donner à l’agglomération une image de modernité illustrant la voca-tion de l’ensemble du pays au développement. La démarche veut aussi affirmer l’ouverture du pays vers le monde par l’affirmation d’une vocation culturelle et touris-tique. Les conséquences de ces aménagements sont nombreuses. D’un point de vue géographique, les travaux visent à re-dynamiser le centre-ville et son accessibilité. La ségrégation socio-spatiale très marquée opposant les espaces fragilisés des médinas et les nouveaux territoires de la ville ne sont toutefois pas remis en question par les amé-nagements récents.

Le phénomène de gentrification visible dans de nombreuses métropoles dans le monde ne semble pour l’heure pas toucher le centre-ville de la capitale marocaine. Le centre de gravité de la ville reste dynamisé par la croissance vers l’extérieur et les nouveaux quartiers. L’affirmation du centre de l’agglomération comme lieu de pouvoir, lieu tou-ristique, espace à fort caractère symbolique reste donc un pari encore à relever.


Références ou compléments

- Hicham Mouloudin, L’aménagement de la corniche de Rabat face au développement du-rable : quand la société civile prend le devant de la scène publique, Les cahiers d’Eman (Études sur le Monde Arabe et la Méditerranée), 2017

- Zineb Sitri et Mohamed Hanzaz, Pouvoirs et contre-pouvoirs en matière de planification urbaine au Maroc : pour une nouvelle régulation des pouvoirs de décision, Revue RIURBA (revue internationale d’urbanisme)

- Hicham Mouloud, Les ambitions d’une capitale, CJB, Rabat, 2015

- Sonia Serhir, Hay Ryad à Rabat : de la ville nouvelle au quartier ? Les cahiers d’Eman (Études sur le Monde Arabe et la Méditerranée), 2017

- J.F. Troin, Les trois phases de l’extension de Rabat, de la médina aux quartiers modernes en 2001, la Documentation Française, 2001

- CL dément Fabreguettes et Elise Mazaud, La problématique des transports à Rabat-Enjeu d’avenir et de développement, 2017 :

- Rabat, capitale moderne et ville historique : un patrimoine en partage, liste du patrimoine mondial de l’UNESCO

Contributeurs

Youenn Cochenec et Xavier Gosset, enseignants, Lycée Descartes, Rabat.


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