29 Juin 2019

Indonésie - Semarang : une grande ville littorale face à des défis multiformes, entre croissance et résilience

Située dans la partie centrale de l'île de Java, sur le pasisir, la côte nord ouverte sur la Mer de Java, la ville de Semarang est la cinquième plus grande ville d’Indonésie. Couvrant quelque 374 km², cette cité portuaire est peuplée d'environ 1,6 million d'habitants mais à la tête d’une aire métropolitaine de 6 millions d’habitants. Cette ancienne ville-comptoir est l’interface traditionnelle entre les régions agricoles de Java centre et l’océan. A l’image de ce grand pays émergeant, la ville et la région sont confrontées aujourd’hui à des défis majeurs multiformes : démographiques (croissance), urbains (étalement, risques, ségrégations), économiques autant qu’environnementaux (recul des côtes, érosion, inondations…) ou géopolitique (sécurité alimentaire).

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Légende de l’image

L'image de la grande métropole Indonésienne, Semarang, située sur la côte nord de Java, a été prise par le satellite Sentinel 2A le 11 octobre 2018. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.
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Ci-contre, la même image satelitte issue de Sentinel-2A, présente quelques repères géographiques de l'agglomération indonesienne,  située sur la côte nord de Java.



Localisation

Présentation de l'image globale

Semarang : entre croissance, durabilité et résilience

Cette image satellite nous présente la région de Semarang et de Demak. La Mer de Java occupe toute la partie gauche de l'image. Site portuaire depuis le XVIe siècle, avec des traces d'occupation remontant au IXe siècle, la région de Semarang doit beaucoup à la mer. La ville est célèbre pour avoir accueilli l'explorateur chinois Zheng He au XVe siècle. C'est aussi à Semarang qu'Arthur Rimbaud a débarqué en Indonésie en 1876.

Grâce à son port, visible en bas à gauche de l'image, Semarang est une interface entre les productions agricoles de Java centre - principalement le riz, mais aussi le maïs, le manioc et le tabac - et le reste de l'Indonésie.

Capitale de la province de Java Centre, la ville est à la tête d'une aire métropolitaine de plus de 6 millions d'habitants s'étendant sur 5 subdivisions administratives environnantes ou kabupatens. Celui de Demak, dont le noyau urbain est au centre d'un réseau routier en étoile, occupe la moitié droite de l'image. L'aire métropolitaine de Semarang inclut, comme on peut le voir, de nombreux espaces ruraux, et les différents centres urbains demeurent encore distincts.

Entourée de massifs volcaniques, la province de Java Centre bénéficie de terres fertiles, d'importantes ressources en eau et constitue la principale région rizicole d'Indonésie, 3ème producteur de riz au monde.

Ville côtière, Semarang doit composer avec de fréquentes inondations liées aux marées. La montée du niveau des eaux est un réel défi pour les autorités et les communautés des zones résidentielles situées à peine plus haut que le niveau de la mer. Un phénomène de subsidence vient aussi renforcer ces risques, notamment au nord de Semarang, à cause de la croissance de la population et du développement urbain. Comme plusieurs autres villes d'Indonésie, Semarang connaît en effet une croissance assez forte. Ceci entraîne une densification des espaces déjà urbanisés accompagnée d'un étalement urbain, le long des axes routiers et sur les espaces ruraux à proximité des centres urbains.


Zooms d’étude


Semarang city : les transformations d’une ville littorale

Entre Kampung (villages traditionnels) et clusters (résidences fermées privées)

Semarang est à l’origine un comptoir commercial colonial hollandais qui apparaît en 1547 et attire aussitôt une population aux origines diverses provenant de la région de Java central, de Chine et d’autres régions d’Asie du Sud et du Sud-Est comme le Gujarat (au nord de l’actuel Mumbai).

On distingue encore cette première installation coloniale bornée entre les deux plus grands fleuves qui traversent la ville, le Semarang qui serpentent sur la partie droite du zSémarang oom et le Garang, canalisé au centre du zoom.

On retrouve encore aujourd’hui quelques vestiges de l'époque hollandaise, le plus célèbre étant le Lawang Sewu, siège de la VOC et qui date du début du XXe siècle (qui reste le carrefour principal de la ville, au centre du zoom). Le quartier chinois est toujours situé dans la boucle que crée le Semarang, au sud du pasar Johar, le plus vieux marché de la ville.

La ville a connu une croissance démographique forte et donc, en l’absence de toute tour d’habitations et processus de densification, un étalement urbain très important, par l'agglomération progressive des Kampung (village) qui ont gardé cette appellation même si aujourd’hui ils sont largement intégré au tissu urbain.

Ces Kampung qu’on retrouve dans toutes les villes indonésiennes ont accueilli une population de migrants pauvres, précaires ou modestes. Formés d’habitats le plus souvent informels et illégaux, ils ont conservé des identités très fortes et font l’objet de réhabilitation qui passe notamment par un développement du tourisme intérieur : Kampung Kauman (au nord-est du pasar johar) devient le kampung du batik ; Kampung Pelangi, - au pieds d’une colline sur laquelle se trouve un cimetière (îlot de couleur vert dans la partie centrale du zoom) - est devenu le quartier Arc-en-ciel, tirant son nom des maisons peintes de couleurs vives.

La densité de population dépasse parfois les 23.000 habitants/km² et ces kampung restent le lieu d'épidémies (dengues) causées par la promiscuité et l’absence ou le mauvais état des réseaux d’assainissement.

Une nouvelle étape de l’extension urbaine consiste dans la dernière décennie en l’urbanisation des collines du sud sous forme de « clusters », ou résidences privées, accueillant une population plus aisée, la classe moyenne augmentant rapidement dans tout le pays. On peut voir ces nouveaux quartiers dans le bas à gauche de l’image, encore dans un paysage vert constitués de forêts.
Au sud-est l’urbanisation longe la route qui mène vers Salatiga et plus au sud vers le Merapi, volcan le plus actif de Java.

     
Semarang city, nœud de communication et d’échanges

Dès son origine, Semarang apparaît comme un comptoir commercial entre l'océan et l'intérieur agricole de Java central. Le port, toujours 3em port d'Indonésie, a été agrandi vers l'océan avec un terre-plein accueillant le trafic de conteneurs comme le montre bien l’image.

Ce terminal, construit dans les années 1990, permet d’exporter des produits industriels et agricoles dont le kapouk, fibre végétale servant à remplir les coussins et oreillers, mais aussi le caoutchouc, le café, les crevettes. De nombreuses industries, bien visibles en blanc sur l'image, se trouvent à l'est du port et au sud-ouest de l'aéroport. Semarang abrite en effet des activités industrielles diversifiées, comme par exemple les usines de voitures Toyota situées au sud-ouest de la ville, ou une centaine d'entreprises produisant du batik.      

Le trafic passager est quant à lui, relativement modeste, principalement à destination de l’archipel des Karimunjawa dans la mer de Java.

Le transport de passagers est principalement assuré par l’aéroport qu’on peut voir sur le côté gauche de l’image sur un espace également gagné sur la mer. L’avion est un moyen de transport relativement commun pour la classe moyenne indonésienne surtout au vu des distances du pays qui s’étend d’est en ouest sur plus de 5000 km et de l'élévation du niveau de vie.
     
L’ancienne gare de Semarang (Kampung Kemijen) est la plus ancienne du pays puisque la première ligne en opération dans les Indes Néerlandaises relia Semarang à Yogyakarta (sud de Java central) entre 1864 et 1873.

Semarang est par ailleurs désormais relié à Jakarta par le Trans-Java Toll road, achevé en juillet 2018 et qui fait partie des grands travaux d’infrastructures voulu par le président Joko Widodo durant son premier mandat.
     
Semarang : face à la montée des risques, une des 100 villes résilientes de la planète

La sédimentation et plus récemment l'activité humaine ont, au cours des siècles, modifié le trait du littoral d’environ 4 km depuis le VIe siècle. Le littoral se situait alors à la limite des premières collines de Bergota qu’on distingue au centre de l’image (zone verte). C’est dans cette partie basse de la ville qu’on trouve les plus fortes densités urbaines et où le risque d'inondation due aux fortes marées est le plus important d’autant que ce sont près de 21 fleuves qui serpentent dans la ville. C’est aussi la zone la plus menacée par la montée actuelle des eaux d’autant que la ville s’enfonce chaque année (phénomène de subsidence).

L’extension récente de l'agglomération de Semarang qui se fait vers le sud provoque la déforestation des collines, ce qui a accru le risque d’inondation torrentielle et de glissement de terrain dans ces nouvelles zones d’habitat.

Face à ces nombreux risques, les autorités ont décidé de rejoindre le groupement des 100 villes résilientes dans le monde en 2016, afin de s’engager dans une démarche conciliant la croissance urbaine avec les problématiques de mobilité et de sécurité.


Le littoral, recul de la mangrove et aquaculture

Une mangrove réduite et morcelée au profit de l’aquaculture

L'Indonésie est le pays possédant la plus grande superficie de mangroves au monde. On distingue nettement sur l’image trois zones qui correspondent aux villages de Timulyo, longeant une zone industrielle en bas à gauche, Bedono, au centre qui se trouve le long d’un cordon d’habitat, et, enfin, Timbul sloko dans la partie supérieure de l’image.

A l’instar de toutes les mangroves du pays, celle-ci apparaît aujourd’hui réduite et morcelée. Cette dégradation s’est particulièrement accélérée à partir des années 1980 à mesure que les étangs d’aquaculture consacrés le plus souvent à l’élevage de crevettes (rectangle vert clair dans l’image) remplaçaient l’association mangrove-terre agricole. Les agriculteurs ont perdu ou reconverti leurs rizières en bassins d'élevage avant de voir cette activité elle-aussi déclinée.
     
Des villages menacés parles inondations et le recul des côtes
     
Cette évolution a accru la vulnérabilité des populations (abrasion, impact des marées hautes, montée du niveau des eaux) dans le Kabupaten (régence, circonscription administrative) de Demak. Ces douze dernières années, 16 villages côtiers ont été touchés par des inondations de plus en plus fréquentes qui ont même provoqué la disparition d’au moins deux villages.

Sur les 17 km de côte - de Semarang au delta du Wedung qui se trouve en haut à droite de l’image généale - le trait de côte a reculé de 500 m à près de 2 km à l'intérieur des terres entre 2003 et 2013. Les spécialistes estiment que ce recul devrait dépasser les 6 km à l’horizon 2100.

Les inondations de plus en plus fréquentes ont amené les villageois à surélever leur maison quasiment en permanence, à surélever les routes et à construire des digues en béton, ce qui a eu pour principal effet de bloquer la sédimentation et donc d’empirer la situation.
     
… et des habitants résilients : vers la protection de la mangrove

Cependant la prise de conscience de la part des autorités et des populations locales - notamment à Timbul sloko - a permis un accroissement depuis 2004 de la mangrove grâce notamment à une éducation des populations locales, une valorisation de cet espace par l'écotourisme et par des projets pionniers en Indonésie de digues perméable avec des matériaux naturels, de replantations de mangroves le long des rivières et de relocalisation des bassins d’aquaculture derrière la mangrove.

Le futur des habitats groupés qu’on peut voir au milieu de l’eau désormais reliés au continent que par des cordons de routes régulièrement inondés, dépend de la réussite de ces projets en cours.
     


La riziculture inondée : structures, pressions et mutations

Le primat d'une riziculture inondée conventionnelle
     
La Province de Jawa Tengah - ou Java Centre - est l'un des plus grands centres de production rizicole d'Indonésie. La quasi totalité de cette production provient de la riziculture inondée.

Les rizières occupent environ 60 % du kabupaten de Demak. Elles sont visibles à leurs teintes vertes intenses dans la partie centrale de l'image, et contrastes fortement avec les terres plus sèches (landes et jardins visibles en marron au nord-est,  et fermes piscicoles sur le littoral).

On peut diviser les rizières en trois catégories selon le type d'irrigation pratiqué : la riziculture pluviale, la riziculture dotée de systèmes d'irrigation simples (canaux et tranchées) et enfin, la plus productive, celle plus mécanisée avec un système complexe de pompes et d'intrants.

Cette dernière n'est pas la plus pratiquée pour autant, car elle nécessite de coûteux investissements, hors de porté pour toute une frange de la population rurale. De très nombreux canaux d'irrigation sont visibles sur la partie supérieure de l'image. De tailles diverses, ils viennent en renfort des nombreux cours d'eau naturellement présents et dotent ainsi l'espace rural d'un maillage hydraulique très serré.

De nombreuses exploitations suivent des méthodes conventionnelles ayant recours aux intrants chimiques, entraînant ainsi des problèmes de pollution des sols et des eaux. Mais depuis la fin des subventions et la crise de 1998, les prix des engrais chimiques est souvent devenu hors de porté pour de nombreux paysans. Certains riziculteurs se tournent également vers l'agriculture biologique, sans toutefois pouvoir en respecter totalement le cahier des charges.
     
Des caractéristiques bioclimatiques favorables

Outre des terres fertiles et une hydrographie généreuse, la région de Semarang et Demak bénéficie de conditions climatiques permettant deux récoltes de riz annuelles. Le climat y est équatorial proche d'un climat de mousson, avec une période de l'année plus sèche entre juin et octobre, et une saison plus arrosée le reste de l'année. Toutefois, même durant les mois secs, il ne pleut jamais moins de 60 mm.

Le volume moyen de précipitation annuelle est de 2800 mm. La chaleur est constante toute l'année, l'amplitude thermique est faible, oscillant entre 25 et 31 degrés. La ville de Semarang est détentrice du record de température la plus élevée en Indonésie (39,5°C, le 27 octobre 2015).
     

Des rizières entre pressions et protection

La riziculture, activité économique importante de cette région, subit cependant un ensemble de pressions. Alors que la demande augmente, en lien avec la croissance démographique, la production peine à se maintenir. L'augmentation du nombre de foyers ruraux ne s'accompagne pas d'une hausse des terres agricoles disponibles : La terre devient une ressource rare et disputée.

Par ailleurs, du fait de l'étalement urbain, de nombreuses terres agricoles sont converties pour des usages autres, résidentiels (60 % en moyenne sur Java) ou industriels (20 %). Ceci constitue une menace pour la sécurité alimentaire de la région ainsi que pour la pérennité de la production rizicole et des communautés rurales qui, faute de terre, partent contribuer à l'exode rural.

Pour tenter d'y faire face, le gouvernement indonésien a promulgué en 2009 une loi dite de protection des terres agricoles durables. Cette loi régule les usages des terres agricoles et empêche leur conversion en usages non-agricoles et vise à protéger les communautés paysannes.


D’autres ressources

Yutri Aprillia, Bitta Pigawati : “Urban Sprawl Typology in Semarang City”, in Forum Geografi, vol 32, Desember 2018, p131-145.

Ecosystem-based adaptation at scale through Building with Nature: towards Resilient Coast on Indonesia (Demak Coastel Area), Weltands International.
    
Miranda Martiza Mourisl & Bakti Setiawan. (2019) "Types of Agriculture Land Tenancy System in Demak District, Demak Regency", Journal of Regional and Rural Development Planning p.23-24

Rahman, Mentari. "Central Java As The Hub of Sustainable Rice Production in Indonesia." Rikolto in Indonesia, Rikolto, 3 May 2018, indonesia.rikolto.org/en/news/central-java-hub-sustainable-rice-production-indonesia-0.

"Demak Regency."(2017) Central Java Corridor, Keris Jateng -Central Java Economic, Trade, Investment and Tourism Corridor, centraljavacorridor.id/p/kabupaten-demak.

    

Contributeur

Florent Lacroix et Gregory Vlerick, enseignants d’histoire et géographie au Lycée Louis-Charles Damais de Jakarta