Groenland - Nuuk : la capitale du Groenland autonome

Sur la côte sud-ouest, Nuuk est la ville la plus peuplée d’un immense territoire, le Groenland, qui est une île-continent glacée de 2,1 millions de km2 ancrée au nord-est du continent nord-américain. Très modeste pôle urbain peuplé de moins de 20.000 habitants, Nuuk assume les fonctions de capitale politique et administrative d’un territoire aujourd’hui largement autonome. Regroupant un tiers de la population de l’île, elle est dotée de tous les attributs d’une petite métropole, tout en restant un isolat. Dans un site contraint, sa forte croissance urbaine tout comme la volonté accrue d’indépendance du Groenland ou les effets du réchauffement climatique présentent des défis de taille pour cette petite ville de l’Arctique.

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Légende de l’image

Cette image de Nuuk, petite ville située sur la côte sud-ouest du Groenland, a été prise le 21 octobre 2019 par le satellite Sentinel 2A. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.




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L'image ci-contre présente quelques repères géographiques de la région.

Présentation de l'image

Nuuk : une petite capitale accrochée au littoral sud-ouest de l’immense Groenland


Un site contraint dans une situation régionale plus favorable sur la côte sud-ouest.

Située en position littorale comme l’essentiel des villes et des villages du Groenland du fait de la présence d’un immense inlandsis de glace couvrant l’essentiel de l’île, Nuuk est située au sud-ouest du Groenland à 64°10’ de latitude nord et 51°44 de longitude ouest. Cette position à la fois très excentrée et très marginale par rapport au reste du Groenland lui permet de bénéficier d’un climat d’abri relativement clément à l’échelle du Groenland.

Comme le montre l’image, Nuuk se trouve sur une côte très découpée par de puissants fjords, ces anciennes vallées glaciaires ennoyées par la remontée des eaux marines à la fin des glaciations quaternaires. Le rivage est ponctué d’une myriade d’îles et d’îlots et dominé au sud-est par des hauteurs bien marquées comme l’indique les jeux d’ombres bien identifiables sur l’image. Ainsi, le Sermitsiaq situé juste au nord de la ville culmine à 1.210 m. De même, sur cette image prise à la fin janvier, le couvert neigeux souligne clairement les surfaces dépassant les 400 à 500 m d’altitude. Le paysage présente un sol rocheux à nu, le Groenland étant localisé largement au nord de la ligne de Köppen (isotherme 10°C en juillet). Il porte les marques d’une intense érosion glaciaire, la morphologie survalorisant à la fois la lithographie, c’est à dire la différence de nature et donc de dureté des roches, et la tectonique (jeux de failles et des cassures).

La ville s’est développée sur un tout petit cap (signification de « Nuuk » en kalaallisut, langue inuite locale) près de l’embouchure de l’immense fjord Nuup Kangerlua, qui dessine une profonde échancrure de plus de 150 km de long en bordure orientale de la Mer du Labrador. Le site lui même est très contraint du fait de la taille très réduite des terrains plats, l’image témoignant de l’absence de plaine littorale facilement aménageable.

Située à 64°10’N, Nuuk se trouve à moins de 250 km au sud du cercle polaire arctique. Le climat y est donc contraignant. Les hivers y sont longs et rigoureux, avec des moyennes mensuelles de presque -10°C en février tandis que les étés y sont courts et frais avec moins de +7°C de moyenne en juillet. Pour autant, Nuuk fait presque figure d’oasis face au reste du territoire groenlandais car il bénéficie de l’influence adoucissante de la proximité de la mer qui y explique un climat arctique à faciès maritime relativement humide. C’est d’ailleurs pourquoi son port reste libre de glaces toute l’année.

Un site anciennement occupé mais une croissance urbaine récente

Ce site d’abri favorable est occupé de longue date : on y a découvert des traces de peuplement vieilles de plus de 4.000 ans. Et les Vikings y ont installé l’une de leurs colonies au Moyen-Âge à la faveur d’un période climatiquement plus clémente, l’anomalie climatique médiévale, avant de disparaître et de céder la place aux populations inuites venues du nord à partir du XVème siècle. La ville à proprement parler est fondée en 1728 sous le nom de Godt-Haab (« bonne espérance » en danois) à partir d’une mission luthérienne. Mêlant populations danoises et autochtones, la ville connaît une phase de forte croissance après la Seconde Guerre mondiale.

En effet, la population a doublé depuis la fin des années 1970, sous l’effet combiné d’une croissance naturelle vigoureuse d’un côté et surtout de migrations internes issues des plus petites villes et villages du reste du Groenland de l’autre. Cette dynamique s’inscrit en effet dans une logique de concentration croissante de la population groenlandaise qui répond à la politique danoise de concentration des services dans les villes à partir des années 1950, une stratégie accélérant en retour l’exode rural et le dépeuplement d’un grand nombre de petites communautés.

Nuuk, la capitale du Groenland, un territoire autonome en mutation

Vaste île de plus de 2 millions de km², soit près de quatre fois le territoire métropolitain, le Groenland est un « pays constitutif » du Danemark. Située de l’autre côté de l’Atlantique-Nord à plus de 2.000 km au nord-ouest de Copenhague, l’île oscille entre dépendance et volonté d’autonomie de plus en plus marquée. En particulier, le Danemark assure par ses transferts financiers annuels, qui représentent environ 3,5 milliards de couronnes danoises, soit 500 millions d’euros, la moitié de son budget. Dans l’avenir, l’indépendance, qui supposerait des ressources financières propres, pourrait être assurée par l’exploitation des ressources minérales, nombreuses et abondantes, en particulier l’uranium (12 % des réserves mondiales) et les terres rares.

Celle-ci pourra être facilitée par le réchauffement climatique dont les effets commencent à être sensibles, les latitudes polaires connaissant une dynamique deux fois plus rapide que la moyenne mondiale. Ainsi, bien que l’image satellite soit prise en janvier, et bien que Nuuk se situe en bordure de l’inlandsis groenlandais qui couvre plus de 80 % de l’île, on constate le net recul du glacier qui draine l’inlandsis jusque dans les fjords (importantes quantités d’icebergs et de glaces flottantes rappelant les tristes records atteints ces dernières années par la fonte de la calotte glaciaire groenlandaise), ainsi que le faible enneigement relatif.

Ces nouvelles perspectives attisent les convoitises : celles des grandes firmes minières transnationales (australiennes par exemple), celle de la Chine qui consomme une part croissante des ressources mondiales, celle des Etats-Unis pour qui le Groenland représente une importance stratégique majeure, un peu comme un pendant oriental de l’Alaska. Loin de tomber du ciel, la proposition d’achat au Danemark par les Etats-Unis du territoire présentée à l’été 2019 par le président Donal Trump est cohérente avec une certaine vision géopolitique de puissance impériale hémisphérique; même si elle fit scandale au Groenland, au Danemark et en Europe.

Un pôle urbain relativement isolé, une île urbaine macrocéphale dans l’île

Au sein de ce territoire, Nuuk se présente comme un pôle isolé dans un très vaste espace désertique et sous-peuplé : l’image satellite ne montre ainsi aucune autre concentration urbaine. Cette situation est très caractéristique du peuplement groenlandais. Le peuplement y est très peu dense comme en témoigne l’organisation politique et administrative du territoire.

Nuuk fait en effet partie de l’immense commune de Semersooq. Celle-ci couvre la quasi-totalité du sud de l’île et ne compte pas plus de 26 hab./ km². Son peuplement est exclusivement littoral, et plutôt concentré sur la côte sud-ouest plus abritée, et très majoritairement urbain à plus de 86 %. De même, la trame, c’est-à-dire la répartition des villes et villages dans l’espace, et le réseau urbains sont très déséquilibrés : 60 % de la population totale est concentrée dans les cinq pôles urbains principaux que sont Nuuk, Sisimiut, Ilulissat, Aasiaat et Qaqortoq. Enfin, la hiérarchie urbaine est très déséquilibrée : Nuuk, la capitale, abrite à elle seule un tiers de la population de l’île, bien loin devant Sisimiut, qui est la deuxième ville de l’île avec seulement 5.500 habitants. Par le poids de sa population et la polarisation de ses fonctions politiques et économiques, Nuuk présente à l’échelle du Groenland  un cas de macrocéphalie caractérisé.

Plus grande ville du Groenland avec ses 18.000 habitants, capitale administrative et politique la plus septentrionale au monde et située quasiment à mi-chemin entre Iqaluit, le petit pôle urbain à la tête du Nunavut canadien à l’ouest, et Reykjavik, la capitale islandaise, à l’est, la ville de Nuuk apparaît ainsi doublement en situation d’insularité. C’est en effet presque une île dans l’île ; on le voit au tracé des routes : si le maillage est relativement dense en ville, en revanche il s’interrompt brusquement aux abords de l’agglomération, avec des axes au nord-est et au sud-est qui ne mènent littéralement nulle part.

Zoom d'étude

Nuuk, une petite ville de l’Arctique

Une ville en forte croissance, une morphologie urbaine originale

L’agglomération présente un paysage discontinu, juxtaposant quartiers résidentiels et espaces vides en lien avec une topographie contrastée et contraignante, alternant maisons en bois coloré et grands ensembles hauts de plusieurs étages.

Le Vieux-Nuuk avec ses quelques bâtiments historiques se situe au centre-ouest de la ville. Le port, bénéficie d’un site très bien abrité. Il est relativement grand pour une ville de cette taille. A l’ouest se trouvent les installations pour la pêche, qui représente encore 85 % des exportations groenlandaises, et pour la plaisance. A l’est se déploie une zone logistique dédiée au trafic de marchandises, relevant aussi bien de l’exportation de minerais et de ressources halieutiques que de l’importation de biens de consommation (notamment des denrées alimentaires), d’ailleurs à un coût très élevé.

Malgré d’importants développements récents, la construction de logements sociaux, sous forme de logements collectifs pour l’essentiel, peine à répondre à la demande d’une population socialement fragile, dont les revenus modestes, tirés pour une bonne part des aides sociales, ne suffisent pas à se loger dans le parc privé, aux loyers exorbitants reflétant des coûts de construction élevés (importation de tous les matériaux).

Certains quartiers sont particulièrement déshérités et révèlent le mal-être des populations autochtones dans les sociétés arctiques contemporaines (consommation de drogues, alcoolisme, importants taux de suicide…).

La ville continue de s’étendre avec le quartier de Nuusuuaq, datant des années 1970, et le récent quartier de Qinngorput datant des années 2000, qui sont situés respectivement au sud-ouest et au sud-est de l’aérodrome. D’importantes politiques de revalorisation ont été menées, comme avec la destruction en 2012 du « Blok P », une imposante barre de 200 mètres de long, remplacée par des immeubles plus petits.

Une « mini-métropole »

Malgré la modestie de son poids démographique, le profil fonctionnel de Nuuk en fait pourtant le pôle majeur du territoire groenlandais. C’est d’abord un pôle d’emplois, un pôle économique et un centre de services de premier rang. On y trouve ainsi un important centre hospitalier, la plupart des fonctions industrielles de l’île (transformation, congélation et conditionnement des produits de la mer), et c’est par Nuuk aussi que s’exportent les ressources minières.

C’est en effet une interface importante, mais incomplète, du territoire groenlandais. C’est un important hub portuaire à partir duquel s’organise la desserte côtière des localités de l’ouest groenlandais, ce qui a rendu nécessaire sa modernisation en 2016 avec l’inauguration d’un terminal à conteneurs. Mais du fait de ses fortes contraintes de site dues à l’exiguïté des surfaces places, il n’est doté que d’un aérodrome de second rang spécialisé dans les dessertes régionales. Air Greenland, la compagnie aérienne groenlandaise basée à Nuuk, dessert ainsi par vols intérieurs 13 aéroports et 45 héliports.

De fait, le grand aéroport international qui connecte le Groenland au reste du monde se situe à Kangerlussuaq, au nord du cercle polaire dans la municipalité de Qeqqata à 67°01’ de latitude nord. Ce grand aéroport est une ancienne base militaire étasunienne construite durant la Seconde Guerre mondiale lorsque le Groenland passa dans l’orbite des Etats-Unis à la suite de l’occupation du Danemark par les armées nazies. Le Groenland y retrouva définitivement sa souveraineté en septembre 1992 lorsque la base aérienne fut fermée à la suite de l’effondrement de l’URSS et la fin de la Guerre froide.

Enfin, à la faveur de l’émancipation du territoire groenlandais de la tutelle danoise symbolisée par les référendums de 1979 et 2009, la ville de Nuuk a en effet vu ses fonctions s’étoffer progressivement. Rassemblant presque un tiers de la population groenlandaise, Nuuk concentre les services et les équipements. C’est un centre administratif majeur, avec les fonctions de commandement d’une capitale classique. Nuuk abrite ainsi le parlement groenlandais (Inatsisartut) dominé par le parti indépendantiste de centre-gauche Siumut (« en avant »), et le siège du gouvernement (naalakkersuisut). C’est aussi le siège de l’université du Groenland (Ilisimatusarfik) et de l’essentiel des services d’enseignement supérieur, de la bibliothèque nationale ou encore de la Banque du Groenland ou de l’institut de statistiques groenlandaises, ainsi que des deux journaux et de la radiotélévision nationale, ou encore des grandes entreprises.

Avec le Katuaq (centre culturel), le musée d’art ou le musée d’histoire nationale, l’accent est aussi mis sur la culture autochtone, aujourd’hui revalorisée comme l’un des fondements de l’identité nationale. Nuuk apparaît ainsi comme le symbole de la volonté d’autonomie accrue des Groenlandais.

Zoom sur l'image générale présentant la ville Nuuk, vue par le satellite Sentinel-2A


D’autres ressources


Ouvrage :

Clara LOÏZZO, Camille TIANO, L’Arctique, à l’épreuve de la mondialisation et du réchauffement climatique, A. Colin, 2019

Articles :

Antoine DELMAS, « L’affirmation d’une ville polaire à la périphérie du monde : le cas de Nuuk au Groenland », Les régions de l’Arctique, Atlande, 2019

Marine DUC, « (se) loger et étudier à Nuuk », http://www.revue-urbanites.fr/vu-portfolio-duc/, 2019

Clara LOÏZZO, « Le Groenland, territoire à vendre ? », Carto, novembre 2019

Yvette VAGUET, « Les formes et les enjeux de l’urbanisation en Arctique », Daniel JOLY, L’Arctique en mutation, Editions de l’EHPE, 2016

Le site Géoconfluences de l’ENS de Lyon : les régions de l’Arctique

 http://geoconfluences.ens-lyon.fr/programmes/concours/arctique-ens-lyon-...

Contributeur

 Clara Loïzzo est professeure de chaire supérieure au lycée Masséna de Nice

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