25 Juillet 2022

Chine - Mongolie intérieure : les terres rares de Bayan Obo et Baotou, un enjeu technologique mondial

Le développement des nouvelles technologies civiles et militaires et la transition énergétique rendent les terres rares - une famille de minerais aux propriétés spécifiques – indispensables dans de nombreux secteurs. Grâce à un profond dumping social et environnemental et au contrôle de 37 % des réserves, la Chine réalise 58 % de la production mondiale. Face à la réaction des pays occidentaux aux tentatives d’instrumentalisation géopolitique de son quasi-monopole, la Chine construit une filière cohérente et intégrée, de l’extraction au produit final ; tout en se dotant d’un géant mondial China Rare Earth Group. Dans un contexte international de fortes rivalités géoéconomiques et géostratégiques, la mine de Bayan Obo est un site minier d’un intérêt majeur (45 % prod. mondiale). Il alimente la base industrielle, technologique et scientifique de la ville de Baotou, élevée au rang de capitale chinoise et mondiale des terres rares. Mais du fait de ses coûts sociaux et de ses très lourds préjudices environnementaux, la question de la soutenabilité du modèle chinois de croissance est de plus en plus aigüe dans la région.
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Légende de l’image

Cette image du nord de la Mongolie-Intérieure en Chine où se situe la  mine la plus importante du monde pour l'extraction des terres rares, a été prise par un satellite Sentinel-2 le 15 octobre 2021. Il s'agit d'une image en couleur naturelle et la résolution est de 10m  

Contient des informations © COPERNICUS SENTINEL 2021, tous droits réservés.


Repères géographiques

Présentation de l’image globale

Bayan Obo et Baotou : un système minier au cœur des grands enjeux technologiques mondiaux

Les hauts plateaux désertiques de Mongolie intérieure traversés par le Fleuve jaune

Nous sommes au nord de la Chine, dans la Région autonome de Mongolie intérieure. L’image couvre un espace géographique organisé en trois bandes parallèles.

Au nord s’étendent les vastes plateaux de la Mongolie intérieure du Yin Chan perchés à 1.500 ou 1.600 m. d’altitude. C’est à Bayan Obo que se trouve le district des terres rares. La ville se trouve à seulement 80 km de la frontière avec la République de Mongolie. La chaîne des Yin – ou Yin Chan – s’étend sur 1.000 km. et limite au sud le terrible désert de Gobi. Couverts par une vaste steppe, ces plateaux descendent vers le nord et la dépression endoréique du Tengge Rinaori (hors image) dans laquelle se jette par exemple l’Aibugai River qui passe à Bailingmiao. A l’inverse, au sud ces plateaux tombent sur la gouttière du Fleuve jaune par la Daqing Shan qui est assez élevée puisqu’elle culmine à 2.950 m et est entaillée par plusieurs rivières importantes, dont la Kundulum River qui arrose Baotou.

Au Sud s’étendent les vastes plateaux de l’Ordos perché entre 1.300 et 2.500 m d’altitude. On y distingue bien la ville et le grand bassin charbonnier de Dongsheng.  Il fait partie d’un vaste ensemble productif qui constitue un des plus importants gisements charbonniers au monde.

Au centre enfin, l’image est traversée d’ouest en est par une vaste gouttière topographique. Celle-ci est empruntée par le puissant Fleuve jaune. Faisant figure d’oasis dans un espace régional particulièrement aride, elle est dominée par la ville de Baotou, qui est la 2em ville de Mongolie intérieure.

Dans cette région située à seulement 560 km à l’ouest de Pékin, nous sommes déjà dans ce que le géographe Thierry Sanjuan définit comme la « Chine de l’Ouest » des périphéries continentales et ici frontalières. Sur l’espace couvert par l’image au nord de Baotou, environ cinq Murailles, ou grands systèmes défensifs contre les attaques nomades, furent successivement construites entre 400 av JC., durant la période des Royaumes combattants, jusqu’à 1234. Ils définissant ainsi pendant des siècles cet espace comme un vaste Limes impérial afin, en particulier, de protéger la grande boucle que dessine le Fleuve jaune vers le nord à partir de Lanzhou et dont on couvre ici la partie la plus septentrionale. Il convient par contre de noter que la plus fameuse d’entre elle, la Grande Muraille Ming (1368/1644), a été par la suite construite sensiblement plus au sud pour des raisons stratégiques. Nous sommes là dans une zone qui fut longtemps une zone de confins impériaux.   

Au plan administratif et géopolitique, nous sommes dans la Région autonome chinoise de Mongolie intérieure, dont la capitale Hothhot se trouve à quelques kilomètres à l’est (hors image). Cette Région couvre 1,1 million de km2 et est peuplée de 24 millions d’habitant (20 hab./km2), dont officiellement 80 % de Hans et 17 % de Mongols. Si comme partout en Chine, le territoire est découpé en préfectures et districts, le terme de « bannière » ou « bannière autonome » y est souvent utilisé comme pour la Bannière de Darhan Muminggan qui entoure le district des terres rares de Bayan Obo.  

Un espace aride, un axe stratégique

Nous sommes dans un espace dominé par un climat froid semi-aride ou aride marqué par l’hyper-continentalité avec des températures très froides ou très chaudes. Dans la ville de Baotou, au centre de l’image, on passe de -11°C en moyenne au mois de janvier à + 23°C en juillet, soit un gradient de 34°C, avec des records sensibles de froid (- 31°C) ou de chaleur (+ 39°C). La ville reçoit seulement 300 mm de précipitation par an, pour l’essentiel en juillet/aout alors que six mois de l’année sont dominés par une sécheresse marquée en recevant moins de 10 mm de précipitations. L’eau est donc rare. Comme le montre bien l’image, cet espace aride alternent déserts rocheux et sableux, telle la bande au sud-ouest de l’image, auréole de steppes semi-désertiques et dépressions éoliennes salines. Comme pour le Nil qui traverse le Sahara, le Fleuve jaune – ou Huang He - doit son écoulement pérenne aux volumes d’eau accumulés à sa source à 4.800 m. dans la Cordillère du Bayan Har des plateaux tibétains. Mais avant d’atteindre la Grande plaine plus à l’est,  il perd une partie considérable de son débit en traversant cette grande zone aride ; des pertes largement amplifiées aujourd’hui par une surexploitation de plus en plus inquiétantes de ses ressources.  

Malgré ces fortes contraintes, la région est un des laboratoires chinois du développement des énergies renouvelables. Dans l’éolien, grâce aux vents puissants de l’anticyclone sibérien qui soufflent une large partie de l’année mais y aggravent l’aridité et y accélèrent l’érosion des sols. On trouve ainsi de nombreux champs d’éoliennes, en particulier dans les plateaux du Yin Shan (zooms 2 et 3). Dans l’énergie solaire, grâce à un taux d’ensoleillement annuel de 74 % ou 3.200 heures par an. On peut ainsi remarquer la présence de nombreux champs de capteurs solaires ; dans les dunes de sables au sud le Baotou, les concepteurs ont même dessiné un cheval au galop visible de l’espace en forme de clin d’œil. Pour autant ces valorisations demeurent difficiles du fait de l’intermittence de ces ressources et de l’éloignement des principaux centres de consommation qui impose la construction de réseaux de transport couteux et vulnérables.  

Historiquement, cette zone des confins mongols est intégrée difficilement à la Chine et fait l’objet de nombreuses recompositions géopolitiques internes ; le découpage actuel de la Province - après de nombreux remaniements - datant ainsi seulement de 1979. Depuis des siècles, l’axe Pékin/Hohhot/ Baotou/ Yinchuan utilisant la vallée du Fleuve jaune est un axe majeur vers la gouttière du Gansu, le Xinjiang et l’Asie centrale.  Le premier désenclavement ferroviaire intervient entre 1905 et 1923 avec la construction de la ligne Pékin/ Jining/Hohhot/ Baotou. En 1955 les bons rapports entre la Chine populaire et l’URSS se traduisent par l’ouverture de la ligne Pékin/ Baotou/ Ulan Bator, la capitale de la République de Mongolie, elle-même reliée par le Transibérien à Irkoutsk depuis 1947. Dans la région, le fait urbain est bien d’origine chinoise et est né du chemin de fer puis de la mine.
 
Deux systèmes bien individualisés

Cette géographie et cette histoire structurent durablement l’organisation régionale autour de deux systèmes spatiaux bien distincts mais solidaires. Ils témoignent à l’échelle régionale des nettes hiérarchies multiformes organisant l’espace interne de l’immense Chine et de rapports centre(s)/périphéries particulièrement vifs.

Premièrement, ces hauts plateaux arides sont historiquement l’univers du monde pastoral nomade mongol, aujourd’hui totalement réduit par les processus de sédentarisation même si l’élevage (caprins, ovins...) peut parfois perdurer (cf. zoom 2). Sous-peuplés, voire désertiques, ils sont devenus aujourd’hui de grands pourvoyeurs de minerais autour d’isolats urbains spécialisés : Bayan Obo sur les terres rares au nord, Dongsheng et son bassin charbonnier sur les plateaux de l’Ordos au sud. Nous sommes là dans des espaces-déchets – les wastelands des géographes M-N Carré et F-M Le Tourneau - fondés sur une consommation courtermiste et dégradée d’espace et de ressources reposant sur le mythe de l’abondance, de l’immensité et de la sous-occupation humaine.  

A l’inverse, deuxièmement, la vallée du Fleuve jaune apparait bien mise en valeur par une agriculture irriguée, parfois depuis le XVIIème siècle, et accueille l’agglomération de Baotou. Seconde ville de Mongolie intérieure, elle domine et organise largement l’ensemble de l’économie régionale, en particulier avec le boom des terres rares dont elle devient la capitale chinoise et qui l’a fait accéder progressivement au plan fonctionnel à un statut métropolitain.  

Les terres rares : un ensemble de ressources minérales stratégiques

Le terme de « terres rares » désigne 17 éléments chimiques - scandium, yttrium et quinze lanthanides dont cérium, dysprosium, europium, indium, néodymium, praséodymium, terbium... - très peu connus du grand public mais dont les propriétés sont très recherchées. Pour autant, ces métaux ne sont pas moins abondants que l’or, l’argent, le cuivre ou le zinc. Mais leurs propriétés – stabilité thermique, conductivité électrique, magnétisme fort... – en font aujourd’hui des éléments incontournables pour de nombreuses applications stratégiques. Ces marchés de niche sont en effet pilotés par l’innovation, car ils jouent un rôle essentiel dans l'industrie de défense, la haute technologie ou la transition énergétique.

Ceci explique que durant ce dernier quart de siècle la production mondiale a explosé : elle passe de 80 000 t. en 1995 à 240.000 en 2020, selon l’U.S Geological Survey. Représentant actuellement 90 % du marché des terres rares, le néodyme est ainsi essentiel à la fabrication d'aimants permanents pour les radars militaires, les moteurs de voitures électriques, les rotors d'éoliennes ou les vibreurs de téléphone. L'indium et l'yttrium ont des propriétés optiques mobilisées pour la fabrication des écrans tactiles de smartphones... Du fait de leur position nodale au cœur des technologies bas-carbone en plein développement, les besoins en terres rares devraient d’ici 2050 augmenter dans une fourchette de 2,5 à 10.

Au total, les chaînes d’approvisionnement de pans entiers du système productif mondial – militaire, aéronautique, électronique, télécommunications, automobile, énergie, nucléaire... – dépendent de ces terres rares. Selon l’US. Congressional Research Service, chaque chasseur F-35 emporte l’équivalent de 427 kg de terres rares dans ses équipements et composants, un sous-marin nucléaire de classe Virginia 4,2 tonnes. Dans ce contexte, on comprend que Washington signe en 2018 avec l’Australie et en 2020 avec le Canada des accords bilatéraux afin de sécuriser ses approvisionnements futurs.     
 
L’extraction de ces minerais ne pose pas de problème majeur en dehors du fait qu’il faut extraire des masses énormes de roches pour disposer au final de volumes assez limités. Par contre, les opérations de concassage pour réduire les roches en poudre puis, surtout, les processus d’extraction et de raffinage pour en extraire les terres rares sous forme d’oxydes sont techniquement difficiles, nécessitent d’énormes quantités d’eau et sont extrêmement polluantes comme on peut facilement le constater sur les images (zooms 2 et 3).

Sur le marché mondial des terres rares et au-delà de ses réserves minières considérables, la Chine va se construire comme puissance minière de premier rang en survalorisant ces dernières décennies deux atouts majeurs : la disposition d’une vaste main d’œuvre à bon marché, le large sacrifice de ses équilibres environnementaux.

La Chine : la construction d’une puissance minière de 1er rang sur le dumping social et environnemental

Si les premières ressources de terres rares sont découvertes en 1927 à Bayan Obo, il faut attendre la période d’industrialisation maoïste pour voir lancer la production de concentrés de terres rares. Mais surtout, dès les années 1980/1990, Pékin décide de faire des terres rares un levier de puissance mondiale. Édicté comme domaine de souveraineté, l’État y interdit l’entrée de toute entreprise étrangère, engage la lutte dans la région contre l'extraction illégale et les trafics illicites (cf. nombreuses micro-mines abandonnées), baisse les taxes à l‘exportation pour favoriser ses champions nationaux sur le marché mondial face à la concurrence étrangère. Ces choix reposent donc sur une claire vision stratégique de long terme.

Entre 1985 à 1995, la production chinoise explose en passant de 8500 à 48 000 tonnes, et de 21,4 % à 60 % de la production mondiale, au détriment des Etats-Unis et de l’Australie. Cette stratégie lui permet jusqu’en 2010 de disposer d’un quasi-monopole mondial : elle réalise alors 90 % de la production mondiale de terres rares.

Face à la forte pression chinoise sur les coûts de production, on assiste en effet progressivement – comme dans bien d’autres activités productives – dans le cadre d’une nouvelle division internationale du travail, à l’abandon des opérations par les autres pays. Qu’ils soient producteurs comme les Etats-Unis (cf. fermeture de la grande mine de Mountain Pass au sud-ouest de Las Vegas) ou raffineurs comme la France (La Rochelle) au profit des importations. La Chine devient en effet le seul pays à accepter des coûts environnementaux très élevés liés à la mobilisation de techniques productives médiocres mais peu chères.

La Chine au cœur du système mondial des terres rares

Du fait de son quasi-monopole, la Chine devient une puissance minière incontournable. En 2020, seulement cinq pays captent 88 % des exportations chinoises de terres rares, dont le Japon (36 %), les Etats-Unis (33,4 %), les Pays-Bas (9,6 %) et la Corée du Sud (5,4 %). Au total, la Chine fournit 80 % des besoins en terres rares des Etats-Unis et 98 % de ceux de l’Union européenne. Dans ce contexte, Pékin utilise les terres rares comme levier de pression ou de menace (embargo, réduction des livraisons...) contre le Japon et les Etats-Unis dans le cadre de leurs rivalités géopolitiques croissantes.      

Mais face à l’explosion de la demande liée aux booms des technologies et de la transition énergétique d’un côté, à la prise de conscience des pays occidentaux de leur dépendance à la Chine - cf. mise en place de quotas annuels - dans ces produits hautement stratégiques de l’autre, la production mondiale est relancée (Etats-Unis, Australie, Suède...).

C’est pourquoi en 2020 la Chine est retombée à 58 % de la production mondiale. Ces volumes demeurent malgré tout absolument considérables (environ 140.000 tonnes), face aux Etats-Unis (15,6 %), à la Birmanie (12,3 %) et à l’Australie (7 %). Les estimations de l’USITC soulignent de même le poids majeur de la Chine dans les réserves mondiales (37 %), largement devant le Vietnam, le Brésil ou la Russie.

La localisation de Baotou et de Bayan Obo dans le bassin du Fleuve jaune

De l’extraction au produit fini : la construction d’une filière cohérente et intégrée des terres rares

Mais loin de se contenter d’exporter de simples minerais, comme le font de nombreux pays producteurs de matières premières minérales, la Chine a cherché à établir son contrôle sur l’ensemble de la filière des terres rares, de l’amont (minerais) à l’aval (séparation des terres rares et produits intermédiaires) puis au stade final (produits industriels finis, cf. turbines d’éoliennes du chinois Goldwind). A partir des années 1990, une stratégie de quotas annuels d’exportation de minerais est mise en place afin de décourager les exportations de minerais bruts au profit de la fabrication sur le sol national de produits à plus forte valeur ajoutée (cf. oxydes de minerais, métaux et alliages).

Cette stratégie de remontée de filière est un véritable succès. Le pays produit en effet 85 % des oxydes de terres rares, une activité très polluante. La Chine importe même des concentrés de minéraux, y compris des Etats-Unis qui ont pourtant rouverts leur principale mine, pour les transformer. De plus, la Chine réalise 90 % des métaux, des alliages et des aimants permanents de terres rares, qu’elle réexporte ensuite.

Enfin, du fait de sa place majeure dans le système productif mondial, le marché intérieur chinois est le principal consommateur mondial de terres rares (70 %). Alors que les firmes transnationales minières chinoises cherchent aujourd’hui à acquérir des gisements de terres rares à l’étranger afin de répondre aux immenses besoins du pays, la Chine devrait demeurer de loin le 1er producteur et le 1er consommateur mondial de terres rares ces prochaines décennies.   

Ces stratégies sont directement lisibles dans les images de ce dossier. Celle du district minier de Bayan Obo souligne l’impact spatial de la forte croissance des activités minières d’un côté, les efforts fait par la Chine en termes d’énergies renouvelables et de transition énergétique avec la multiplication des implantations de panneaux solaires et champs d’éoliennes de l’autre. Celle de Baotou témoigne des profondes mutations fonctionnelles et urbaines depuis que la métropole a été élevée au rang de « capitale chinoise des terres rares », en particulier avec l’extension du tissu urbain vers l’est et l’arrivée de multiples acteurs industriels et techniques nouveaux (laboratoires de recherche, dépôts de brevets...).  

La création d’une firme géante régionale et mondiale : China Rare Earth Group

Ces stratégies s’accompagnent de la création de champions nationaux de plus en plus puissants via la concentration économique et financière du secteur sous l’égide de l’État. Dans la décennie 2010, le secteur de l’extraction minière jusqu’ici fort dispersé économiquement et émietté techniquement est réorganisé autour de six entreprises étatiques, les State-Owned Entreprises (SOEs).

Puis, en décembre 2021, la Sasac – qui gère pour le gouvernement les grands groupes publics - décide de profondément réorganiser à nouveaux le secteur des terres rares autour de deux groupes miniers. L’objectif est maintenant de disposer de firmes géantes en capacité de dominer, contrôler et structurer au mieux des intérêts du pays le marché mondial des terres rares.  

On assiste à l’affirmation d’un nouveau géant mondial - China Rare Earth Group / CREG - dont le siège social est à Baotou, dans le Hi-Tech Industrial Development Park. Il est issu de la fusion trois groupes : China Minemetals Corp, Chinalco Rare Earth & Metals Co et China Southern Rare Earth Group Co. Le nouveau groupe CREG réalise à lui seul 70 % de la production chinoise de terres rares. De leur côté, les deux firmes Jiangxi Ganzhou Rare Metal Exchange et Ganzhou Zhonglan Rare Earth New Material Technology sont elles aussi amener à fusionner.

La Chine : d’un modèle extractiviste à une nouvelle puissance technologique

Dans ce cadre, la question de la soutenabilité du modèle chinois de croissance est de plus en plus aigüe dans la région de Baotou, en particulier du fait de ses coûts sociaux et de ses très lourds préjudices environnementaux. L’évolution de la transition démographique devrait se traduire progressivement par une réduction des volumes de main d’œuvre disponible et des exigences salariales et sociétales nouvelles. En particulier, les questions sanitaires et environnementales - pollution atmosphérique à Baotou, grave crise des écosystèmes naturels du Fleuve jaune, question de l’eau et de la contamination des sols à Bayan Obo et Baotou... - deviennent de vrais sujets de préoccupations, de tensions et de revendications.

Au plan économique et sociétal, la Chine est à la croisée des chemins et accumule en interne des contradictions majeures. A l’échelle nationale entre les grandes métropoles high-tech littorales de rang mondial (Shenzhen, Shanghai...) et les périphéries intérieures dominées. A l’échelle des Provinces - comme ici entre métropolisation de Baotou et modèle extractiviste des plateaux. Aux échelles locales, entre espaces-déchets – les wastelands – rendus inexploitables pour d’autres activités et centres de commandement ou de l’innovation.

Ce dossier sur les terres rares souligne cependant la capacité qu’à la Chine de rompre régionalement et nationalement avec un modèle purement extractiviste, qui fit son succès dans les décennies 1980/2010, pour remonter les filières et s’affirmer comme une puissance industrielle et technologique majeure sur l’échiquier mondial. L’immensité du territoire permet en fait au pays de disposer d’une gamme de possibilités très étendues dans son insertion dans la mondialisation.  

Zooms d’étude

Zoom 1. Bayan-Obo : la plus grande mine mondiale de terres rares, un site stratégique

Dans un espace de hauts plateaux dénudés aux rivières asséchées qui constituent le piémont septentrional des Yinshan se déploie un vaste ensemble minier. Il est constitué de deux pôles majeurs à l’ouest et à l’est et d’une petite ville ; Bayan Obo, la « riche montagne ». Nous sommes à 150 km au nord de Baotou. Au plan administratif, le « district minier de Bayan Obo » est fondé en 1958 : il couvre 250 km² et est peuplé de 22 600 habitants en 2020, soit 91 hab./km². Nous sommes là au cœur de la production chinoise des terres rares.

Malgré la découverte des minerais de fer en 1927 puis des terres rares en 1936, ses richesses minières ne sont exploitées qu’à partir de l’ouverture de la mine de fer en 1959 grâce à l’arrivée du chemin de fer. Initialement, la qualité exceptionnelle du minerais – avec un minerai de fer à 60 % - est exploitée par de grandes mines à ciel ouvert pour la sidérurgie de Baotou ; avant que les terres rares ne prennent une importance de plus en plus sensible car stratégique avec le développement des nouvelles technologies. La ville est totalement dominée par cette mono-activité puisque 80 % de la population locale, en comptant les employés et leurs familles, en dépend.

Couvrant environ 50 km², la mine est composée de quatre principaux gisements miniers qui fournissent du minerai de fer et du niobium, mais surtout des terres rares stratégiques, au total plus de 175 minéraux. L’activité minière de ce petit centre a des répercutions mondiales considérables puisqu’elle réalise 45 % de la production mondiale de terres rares en 2019, ce qui est fait un site stratégique majeur.

La faisabilité technique et l’équation économique de l'extraction dépend pour l’essentiel du degré de concentration, ou teneur, et de la minéralogie des terres rares recherchées dans le minéral ou la roche-hôte. Sans rentrer dans le détail, il convient de souligner que certains minéraux peuvent aussi parfois contenir de fortes concentrations d’éléments radioactifs comme l’uranium, le thorium ou les produits intermédiaires.   

Les quatre grands gisements à ciel ouvert sont bien repérables par leur forme, leur profondeur et leur ampleur. Environ 15 000 tonnes de roches sont extraites par jour, dont il faut ensuite extraire les minerais et les terres rares à l’aide entre autres de bains d’acides dans des usines de transformation. Dans la mine de l’ouest, la séparation technique des différentes phases est bien visible de l’espace : mines à ciel ouvert de plus en plus larges et profondes, unité de concassage et de broyage en rouge à gauche, unité de transformation et d’extraction des minerais et terres rares en bleu, deux lacs de déversoirs particulièrement pollués au sud.

De chaque côté des mines s’étendent de vastes zones de terrils qui couvrent environ 12 km² et représentent une accumulation d’environ 150 millions de tonnes de stériles miniers.  Dans cet espace aride, on identifie aussi très bien plusieurs lacs-réservoirs qui reçoivent les effluents liquides issus des opérations de transformation. Depuis 1960, cet espace est soumis à de très graves processus de contamination des sols et des eaux et de pollution de l’air du fait de rejets massifs de métaux lourds, de fluor, d’acides et d’arsenic. Ces dernières décennies de nombreuses surfaces agricoles et des milliers d’animaux d’élevage (chevaux, porcs, chèvres, poulets...) sont morts empoisonnés ; de nombreux résidents présentent des maladies lourdes (cancers, ostéoporose, diabète, hémiplégies...).   

Cependant, du fait de son potentiel éolien et solaire, ce district accueille un potentiel éolien de 200 000 kilowatts et un potentiel solaire de 90 000 kilowatts comme on peut s’en apercevoir sur l’image.

Mine de Bayan-Obo


Repères géographiques

Zoom 2. Les hauts plateaux mongols : la bannière unie de Darhan Muminggan face à la désertification et au changement climatique

Ces images permettent de réinscrire la ville minière de Byan Obo dans son cadre régional. Relativement plans, penchés vers le nord et culminant à 1.400 m., ces hauts plateaux se caractérisent par leur aridité, leur basse température (moyenne annuelle : 4,23°C) et la faiblesse de leur couvert végétal. Les précipitations sont rares (253 mm/an), concentrées à 60 % sur juillet/aout. Les quelques rivières sont à écoulement intermittent et largement asséchées sur l’image. Ce comté connait en effet des hivers très froids (janvier : -14,5°C) et secs, des étés chauds (juillet : 21,1°C) et des vents forts, surtout au printemps.

Nous sommes là dans une zone de transition entre écosystèmes semi-aride et aride, steppe et désert. Elle s’avère donc particulièrement sensible aux effets du changement climatique qui frappe singulièrement toute la Chine du Nord. Les steppes désertiques de la Mongolie intérieure sont en particulier une source majeure des tempêtes de sable qui frappent tout le Nord-Ouest de la Chine. La région est en particulier sensible à la surexploitation des milieux et, en particulier, au surpâturage des formations de graminées xérophytes, c’est-à-dire adaptées à la sécheresse - puisque nous sommes ici dans une bannière typique d’élevage frontalier avec la République de Mongolie. Cette augmentation de la pression est largement associée au boom de la demande en produits d’élevage – viande et lait - dans le pays.  

Administrativement, la ville minière de Bayan-Obo a été séparée de son encadrement régional par la création d’un district minier spécifique. L’espace administratif de la bannière unie de Darhan Muminggam - Darhan Muminggan Joint Banner (DMJB) - connait aujourd’hui un sensible déclin démographique en tombant 101 500 à 69 500 habitants ces dix dernières années, en particulier du fait de l’exode rural. Cet espace désertique et sous-peuplé d’une densité de 6 hab./km2 fait face à un processus général de crise économique, sociale et culturelle, comme tout le vieil espace traditionnel nomade mongol.   

Une vue plus détaillée de Bailingmiao et de son environnement local permet à la fois de souligner les fortes contraintes du milieu (enjeux liés à l’eau, érosion de sols steppiques peu épais, désertification...) et les importantes mutations intervenues ces dernières décennies : développement du réseau routier secondaire, accent mis sur les énergies nouvelles renouvelables avec le déploiement de parcs solaires et de champs d’éoliennes, profondes mutations urbaines avec large refonte de la ville-centre, émergences de nouveaux lotissements et nouveaux équipements publics.  


Darhan Muminggan


Repères géographiques


Bailingmiao


Repères géographiques

Zoom 3 : Baotou : la capitale chinoise et mondiale des terres rares

Une ville-champignon particulièrement duale : miracle et mirage
 
Située en rive gauche du Fleuve jaune dans un site classique de piémont sur le cône de déjection construit par la Kundulun, la ville se situe à 1.065 m. d’altitude à l’abri des inondations du grand fleuve. Pour autant, sa large vallée accueille un riche bassin agricole bien irrigué qui contraste sensiblement avec le cadre de hautes terres arides qui entoure la région. Baotou est aujourd’hui une métropole régionale dynamique qui est peuplée de 2,7 millions d’habitants dont la population augmente de + 23 % ces vingt dernières années. Elle dépasse Hohhot, la capitale administrative de la province de Mongolie intérieure qui se trouve quelques dizaines de kilomètres plus à l’est.

Sa structure la caractérise comme une ville han (95 % de Hans, 2,3 % de Mongols), jeune et très attractive du fait de son marché du travail : on estime sa population « flottante », c’est-à-dire ne disposant pas de l’autorisation officielle de résidence – le hukou - à un million de personnes, ce qui est considérable. On repère assez facilement dans la ville les espaces urbains occupés par un habitat précaire, souvent dense, bas et de mauvaise qualité. Comme de nombreuses métropoles chinoises, les structures sociales, économiques et urbaines y sont particulièrement duales.   

Une métropole de province périphériques née de l’industrialisation maoïste

Si l’arrivé du chemin de fer en 1923 dope la croissance urbaine et économique, le grand essor de l’agglomération date de la période de l’industrialisation maoïste des décennies 1950/1960 aidée par l’URSS alors que la ville n’atteint que 97 000 habitants en 1950. Elle repose sur la découverte en 1950 d’importants gisements de charbon et du vaste gisement de fer à haute teneur de Byan Obo qui va être rapidement relié par une voie ferrée de 120 km. En 1954 avec la création de la firme Baotou Steel, la ville devient le second centre sidérurgique du pays derrière Anshan avec un combinat – hauts fourneaux, aciéries et laminoirs - de 45 000 ouvriers.

L’immense combinat demeure encore bien visible sur l’image puisqu’il organise et domine toute la partie de l’agglomération située à l’ouest de la Kundulum River. Il occupe une emprise foncière considérable, domine par ses cheminées et ses fumées le paysage urbain et est cerné au nord comme au sud par d’importantes zones industrielles et d’activité. On repère bien en particulier l’étendue du vaste déversoir de Baogang cerné par une longue digue qui borde le complexe à l’ouest : construit entre 1955 et 1963, il couvre 10 km2 et peut recevoir 85 millions m3 d’eaux usées. Il est depuis des décennies le réceptacle des eaux usées, des boues et des déchets industriels issus des nombreuses usines de raffinage des terres rares situées à proximité. C’est sans doute un des sites les plus pollués au monde. Ses rejets contaminent toute la nappe phréatique et polluent les eaux du Fleuve jaune qui coule en contrebas.

Cette partie ouest de l’agglomération compte 788.000 habitants (2.500 hab./km2). Elle est fonctionnellement spécialisée dans la sidérurgie, l’aluminium et la transformation des terres rares autour du groupe Baogang – le plus grand sidérurgiste de Mongolie intérieur – qui y garde un rôle majeur. L’activité industrielle est complétée par une université scientifique et technique et des instituts de recherche

Terres rares et mutations urbaines et sociale d’une capitale régionale

Cette ville-champignon attractive au plan migratoire voit son économie renforcée par l’arrivée de capitaux occidentaux dans les années 1990/2000 (camions Mercedes Benz, britanniques, singapouriens ou taiwanais) tout en gardant une large place aux industries métallurgiques (deux grandes usines d’aluminium avec Chaco...). Construit en 1934 à 23 km de Baotou, le Baotou Donghe Airport est modernisé en 1999 puis à nouveau 2014 et accueille 1,4 million de voyageurs par an pour les lignes intérieures.

Mais son dynamisme principal repose sur son statut de « capitale des terres rares » qui apporte investissements, usines et sièges sociaux, emplois et logements. Le développement des terres rares est centré sur les districts de Kundulum et Qingsham, dans une moindre mesure de Jiuyan.

Le district de Quingsham couvre 283 km2, dont une partie des pentes au nord-est de l’agglomération. Il passe de 620.300 à 720.000 habitants en deux décennies. A l’ouest du Saihantalah Grasslands Park s’étend par exemple depuis 1990 la Rare Earth High-tech Industrial Development Zone, définie par Pékin comme « zone de développement industriel de haute technologie » en 1992 sur une surface de 122 km2. Elle accueille aujourd’hui quelques 8.500 firmes, dont 95 entreprises des terres rares. Cette zone urbaine est elle-même constituée de sous-ensembles spécialisés travaillant sur les logiciels, l’aviation, la voiture électrique ou les nouvelles énergies : parc d'application de terres rares, parc de fabrication d'équipements haut de gamme, parc scientifique universitaire... On assiste ces dernières décennies à un sensible essor des activités de recherche-développement des universités, y compris originaires de Shanghai, ou de l’Académie des sciences de Chine et à l’arrivée de nombreux laboratoires de géants chinois de l’électronique et des hautes technologies de Pékin, Shanghai ou Shenzhen.

Ce dynamisme se déverse sur le district voisin de Jiuyan qui passe de 195.800 à 245.000 habitants. Il abrite en particulier un parc industriel des nouveaux matériaux de terres rares de 80 km2. A côté des activités industrielles (chimie, électrique, acier, équipements, nouveaux matériaux), on y trouve de nombreuses activités périproductives (commerce, logistique, assurance) et sociales (culture, sport, congrès). Ces espaces bénéficient d’investissements immobiliers haut de gamme et de la création d’un cadre urbain sensiblement plus attractif pour les nouvelles couches salariées qualifiées que l’Ouest du district de Kundulum dominé par Batou Steel et ses nuisances.  


Baotou


Repères géographiques

Zoom 4 : Dongsheng et les gisements de charbon de l’Ordos

doc 11. Wanli Town-Z07 en fait Jianche.jpg
doc 12. Dongshen lieux reperes.pptx

Avec cette image, nous nous trouvons en rive droite du Fleuve jaune, qui dessine une grande boucle autour de l’immense plateau de l’Ordos. Situé à 1.300 m. d’altitude, le district de Dongsheng est peuplé de 575 000 habitants. L’agglomération de Dongsheng est au cœur d’un vaste bassin minier charbonnier. L’image témoigne de la présence de dizaines de mines à ciel ouvert, plus ou moins étendues et qui valorisent des veines peu profondes dans le cadre d’un grand boom charbonnier qui se déploie dans la région depuis les années 1990.


Dongsheng


Repères géographiques

D’autres ressources

Sur le site Géoimage, d’autres ressources sur la Chine de l’Ouest

Laurent Carroué  : Jiuquan : un centre spatial chinois en Mongolie intérieure dans le désert de Gobi
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Laurent Carroué : Jiuquan et le corridor du Gansu : un rôle géostratégique dans la construction nationale chinoise et les Nouvelles Routes de la Soie
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Thierry Sanjuan : Chine - Pékin, de la capitale d’empire à la métropole d’une puissance émergente https://geoimage.cnes.fr/fr/geoimage/pekin-de-la-capitale-dempire-la-met...

Bibliographie

Thierry Sanjuan : Atlas de la Chine. Une grande puissance sous tension, Coll. Atlas, Autrement, Paris.

Thierry Sanjuan et Pierre Trolliet : La Chine et le monde chinois. Une géopolitique des territoires, Collection U, Armand Colin, Paris.

Marie-Nöelle Carré et François-Michel Le Tourneau : Espaces-déchets, wastelands et junkspaces, site Géoconfluences, ENS Lyon. https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/espaces-dechets


Contributeur

Proposition : Laurent Carroué, Inspecteur général de l’Éducation nationale, du sport et de la recherche, directeur de recherche à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris VIII)

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