Cap Canaveral, les enjeux de l’accès à l’espace pour la 1ère puissance mondiale

A partir de 1950, Cape Canaveral devient un lieu stratégique de première importance pour les Etats-Unis. D’abord tournée vers les essais militaires de missiles le site devient un haut-lieu de la conquête spatiale, activité dans laquelle une puissance dominante comme les Etats-Unis ne pouvaient que s’investir. Aujourd’hui, 5 complexes de lancement sont encore en activité et les 25 autres témoignent, alignées le long de l’Atlantique, les uns à côté des autres, des débuts de l’histoire de la conquête spatiale.

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Légende de l’image

Image prise le 15 mars 2018 par un satellite Sentinel 2. Il s’agit d’une image en couleurs naturelles de résolution native à 10m.

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Présentation de l’image globale

Sur la côte est de la Floride, au bout d’un cap à dominante sableuse, dans l’ancienne région occupée par les Indiens Séminoles se dressent l’un des fleurons et des témoignages les plus vivants de l’aventure spatiale humaine. Si le nom de Cape Canaveral est devenu mythique dans le domaine du spatial, cette simplification ne doit pas faire oublier que la base est en fait double. Le complexe astronautique de Cape Canaveral est en fait constitué par 2 bases aux fonctions et aux modes de gestion (Armée de l’Air et NASA) distinctes. Elles sont séparées l’une de l’autre par la Banana River.

Une base spatiale en Floride littorale

La région de Cape Canaveral dispose de multiples atouts qui peuvent expliquer le choix de l’installation de la base de lancement. La base se situe à 28° de latitude Nord, il s’agit d’un territoire américain les plus proches de l’équateur. Une telle localisation est importante puisqu’une latitude équatoriale offre une vitesse additionnelle liée à la rotation de la terre lors du lancement. Cet élément permet de réduire les coûts liés à une charge supérieure en carburant, et, de ce fait, permet d’augmenter la charge utile du lanceur. Par rapport à ses principales concurrentes que sont Kourou et Baïkonour , Cape Canaveral dispose d’une position intermédiaire : elle a un rendement inférieur à Kourou (de l’ordre de 27%) mais meilleur que celui de Baïkonour (de l’ordre de 18%).

La position littorale a constitué un des principaux facteurs de choix de cette région puisque ce territoire de lagunes littorales offre une occupation humaine des plus limitées vers l’est, ceci permettant d’éviter les risques liés à un survol de zones habitées. Ces risques avaient conduit les autorités américaines à renoncer à plusieurs sites qui n’offraient pas les mêmes garanties (tels que Brownsville au Texas).  La base de Cap Canaveral n’autorise par contre pas les lancements en direction de l’ouest et du sud, c’est pour cela qu’une 2ème base de lancement  est présente sur le sol américain, celle de Vandenberg sur la côte Californienne qui elle permet de lancer vers le sud. Cette complémentarité est une des forces du secteur aérospatial américain et compense la position relativement septentrionale des 2 bases.
Le site de Cap Canaveral (CCAS et le KSC) dispose de 28 complexes de lancement (lanceurs spatiaux et tirs de missiles) dont 5 sont encore opérationnels. La pluparts des autres complexes de lancement ont été abandonnés lors de l’arrêt des programmes spatiaux qu’ils accompagnaient. Ainsi, les vols habités vers la station internationale ne se font plus qu’à partir de la station russe de Baïkonour.

Une base chargée d’histoire

Le premier site se nomme le Cape Canaveral Air Force Station (CCAFS) et se situe sur le cap en lui-même, il a joué un un rôle militaire de premier ordre dans la conception et les essais liés aux lancements des premiers missiles américains, les Bumper, dont le lanceur reposait sur la technologie des V2 allemands hérités de la 2ème Guerre mondiale (en particulier grâce aux travaux des équipes de l’ingénieur allemand W. von Braun exfiltré du IIIème Reich à la fin de la guerre). Il a été inauguré en 1949 après la décision du président Truman de faire de cette zone un pôle de développement militaire et une chaine de test pour les missiles. Les premières activités astronautiques se passeront donc dans les années 50 sur ce site sous gestion militaire américaine.

Au début des années 1960, le président Kennedy approfondit les politiques spatiales de ses prédécesseurs qui avaient par exemple conduit à la création de la NASA (1958) sous la présidence Eisenhower. Il fait de la conquête spatiale un objectif géopolitique de première importance avec l’annonce du programme Apollo dont le but ultime devait être l’envoi d’un homme sur la Lune avant la fin de la décennie. En raison des craintes de saturation de la base du Cape Canaveral la décision de créer le centre spatial américain voit le jour sur l’île Merritt, de l’autre côté de la Banana River. En effet, la NASA projette le lancement potentiel d’une centaine de fusées de type Saturn par an alors que les 2 bases de lancement du Cape Canaveral ne pouvaient en accueillir qu’une quinzaine sur les complexes 34 et 37. Après l’assassinat de JFK, le centre prend le nom du président défunt : le Kennedy Space Centre (KSC).

Le complexe constitué par la base ce Cape Canaveral et le KSC  va voir se succéder 3 des plus grands programmes spatiaux mis en place par la NASA dont les succès ont été rendus possibles par la conception des fusées de type Saturn : de 1958 à 1963, le programme Mercury (A. Sheppard, J. Glenn…) qui assure la première présence et la première mise en orbite d’un américain dans l’espace quelques mois après le soviétique Y. Gagarine, le projet Gemini de 1963 à 1966 (sortie extravéhiculaire, manœuvres orbitales…devant préparé les expéditions luniares) et bien sûr le programme Apollo (1961-1975)  dont le succès le plus retentissant surviendra le 21 juillet 1969 avec la présence de 2 astronautes américains (N. Armstrong et B. Aldrin) sur le sol lunaire (mission Apollo 11).

Aujourd’hui,  la base reste active. En 2018, le nombre de lancements a été de 21 unités, ce qui représente 18% des lancements d’engins spatiaux mondiaux (Vandenberg a assuré 10 tirs et Wallops en Virginie, ce qui monte le nombre de lancements américains à 36). Avec 16 lancements à Jiuquan, 16 à Xichang  et 8 à Taiyuan, la Chine est la première puissance spatiale avec 40 lancements. Viennent ensuite le CSG de Kourou avec 11 lancements et Baïkonour avec  8 lancements.

Derrière les 39 lancements chinois « Longue Marche », le lanceur de la firme privée Space X Falcon 9 est le 2ème lanceur mondial en 2018 avec 21 tirs dont 15 ont été lancés du LC39A du KSC et du LC40 de la base militaire de Cape Canaveral (les 6 autres l’ont été de Vandenberg). La société SpaceX est une des 2 compagnies privées à avoir signé un contrat de prestataire de service afin d’assurer du transport de fret vers la station spatiale internationale (ISS).

Zooms d’étude

un nom mythique, une base double

L’image prise par le satellite Sentinel-2 permet de bien mettre en évidence les différents sites de la base du Cap Canaveral. Sur l’océan Atlantique, le Cap Canaveral en lui-même regroupe les installations militaires du CCAFS : on y relève les complexes de tir 34 et 37 qui ont permis le lancement  de fusées Saturn pour le programme Mercury  ainsi que dans le domaine militaire le pas de tir des fusées Pershing 1 (1960/1963) dont le nom évoque à lui tout seul la course aux armements liée à la Guerre Froide.

Sur l’île Merritt, on peut également distinguer quelques-uns des sites les plus connus de l’aventure spatiale américaine : on relève le centre de contrôle des tirs,  le VAB (Vehicle Assembling Building), la piste d’atterrissage des navettes de retour de l’espace (SLF : Shuttle Landing Facility d’une longueur de 4,5km) et les complexes de lancement 39A et 39B. Le complexe 39A fut celui de l’immense majorité des missions Apollo dont celle qui devait conduire les premiers hommes à fouler le sol lunaire.

Par sa résolution à 0,5m, l’image prise par un des  satellite Pléiades permet de mettre en évidence le Vehicle Assembling Building. Le VAB est un des plus grands bâtiments industriels construit au monde, il permettait l’assemblage vertical des fusées Saturn 5 dont la hauteur dépassait les 110m. Les dimensions du VAB sont exceptionnelles : il couvre une surface au sol de 3,25 hectares, il mesure 160 m de haut, 218 m de long et 158 m de large. Son volume intérieur est de 3,7 millions de m3. Il est aujourd’hui le bâtiment le plus emblématique de tout le site de Cap Canaveral avec son drapeau américain de 65m sur 33m réalisé en 1976 année du bicentenaire de la Déclaration d’Indépendance américaine.


Secret-défense et société des loisirs, le tourisme spatial

2,5 millions de personnes visitent chaque année le Kennedy Space Center qui constitue un lieu privilégié du tourisme floridien  puisqu’il s’agit de la 4ème fréquentation pour une attraction sur le sol américain. Le site a été classé Site Historique National (National Historic Landmark) en 1984 et témoigne, malgré les obligations de préservation des secrets technologiques et militaires d’une volonté de patrimonialisation de l’aventure spatiale américaine, véritable vitrine de la superpuissance du pays dans la 2ème moitié du XXème siècle. L’alignement des complexes de lancement (Launches Complex) témoigne des différents programmes qui se sont succédés sur le site et offre un panorama continu des grandes étapes de la conquête spatiale puisque chaque pas de tir était quasiment à usage unique et correspondait le plus souvent à un programme précis. Sur l’image Sentinel ci-contre, les principaux lieux touristiques de la visite du centre sont écrits en blanc.

C’est en 1964, en pleine Guerre Froide,  que commence cette curieuse association entre le développement touristique et les secrets d’un site stratégiquement sensible : les premiers visiteurs, le samedi, sont les membres des familles des employés qui ont la possibilité de faire des photographies depuis leur voiture  en mouvement mais ils n’ont pas la possibilité de s’arrêter : c’est le développement du premier safari spatial qui sera à l’origine du « space boom ». La Floride tient une nouvelle attraction touristique à moins d’une centaine  de kilomètres de la capitale floridienne de l’amusement et des parcs de  loisirs, Orlando. D’ailleurs c’est un architecte proche de la firme Disney qui est à l’origine de la mise en tourisme du site (Welton Becket) Le principe du tour de la base en bus sera reconduit et constitue le moyen privilégié de visiter le site et amène en fin de visite sur le centre Apollo Saturn 5 en référence au programme lunaire. Le Visitor Center à l’entrée du site présente une gamme variée d’attractions et d’exposition.

A ce tourisme pleinement dédié à l’espace s’ajoutent d’autres dimensions propres aux activités de loisir : la visite du KSC peut être organisée à partir d’Orlando à la journée. Cette mise en relation entre le site spatial et la capitale américaine des parcs d’attraction explique la scénarisation touristique de la visite du site et la volonté, malgré les contraintes techniques et les mesures de sécurité, d’en faire une attraction ouverte au plus grand nombre. Comme dans le cas du port spatial européen de Kourou, les mesure s de sécurité et la surveillance militaire du site ont permis le développement d’une faune et d’une flore luxuriante, en particulier dans ces espaces marécageux de Floride et le Merritt Island National Wildlife Refuge (1963) offre à plus de 1500 espèces animales et végétales un cadre privilégiée d’évolution sur une superficie de 560 km².

Le développement local autour de la base

Aux activités touristiques propres au centre spatial  s’ajoute plus au Nord le Canaveral National Seashore dont le cordon sableux de la Klondike Beach sépare la lagune (Mosquito Lagoon) de l’Océan Atlantique : ce parc a reçu depuis sa création en 1976 plus de 46 millions de visiteurs (1,6 millions en 2017). Ce parc est un exemple de cogestion puisque la NASA est propriétaire de 2/3 de la superficie protégée et la gestion est réalisée en commun avec la réserve de l’île Merritt. Le parc contient 58 000 acres d’île barrière, de lagune ouverte, de hamacs côtiers, de bois plats de pins et d’eaux au large des côtes le long de la côte centrale est de la Floride. C'est un excellent exemple de plage barrière relativement stable soutenue par un système de lagons productif. Ainsi le Mosquito Lagoon permet de développer des pêcheries commerciales et récréatives de crevettes, d’huitres, de palourdes… La plage, longue de 30 km n’est pas accessible en voiture et offre un lieu de protection pour certaines espèces de tortues.

Une bonne partie de l’activité touristique locale s’organise autour de la petite ville de Titusville : ancienne zone de production d’oranges, cette localité de 46 mille habitants vit de la présence du KSC (60% de l’emploi direct dans cette région) et des activités récréatives. Cette ville peut définitivement être qualifiée de ville du Kennedy Center dans la mesure où sa population est passée de 6400 habitants en 1960 à plus de 30 000 en 1970, décennie durant laquelle Cap Canaveral est devenu le haut lieu de la conquête spatiale américaine.

Enfin, à une échelle plus globale, le port de Cap Canaveral qui avait été créé en 1953 pour accompagner la création du centre spatial et acheminer matériaux et ressources énergétiques nécessaires au développement de la base est devenu depuis le début des années 2000 un port de croisières important. D’abord timide, cette activité s’est développé de manière importante puisque l’ouverture vers les Caraïbes (40% des croisiéristes mondiaux dans cette région) rendait sa position extrêmement favorable, en particulier vers les Bahamas.
Parmi les compagnies présentes dans le port, on peut citer Disney (filiale de la société mère très implantée en Floride) ou Norwegian Cruise, la 3ème compagnie de croisière au monde. Le navire Oasis of the Seas (compagnie Royal Carribean International) qui entre 2009 et 2015 était le plus grand navire de croisière du monde a son port d’attache à Port Canaveral (plus de 6000 passagers en capacité maximale et plus de 2000 membres d’équipage).



Contributeur

Vincent DOUMERC, professeur agrégé de géographie, Lycées Saint-Sernin et Fermat (Toulouse)